LA TEMPÊTE ET LE CIEL
L’empereur du ciel se mourrait du haut de son trône antique. Désireux de rejoindre les étoiles, il ne pouvait quitter ce monde sans avoir un successeur digne de régner sur les terres orientales. Telle était la loi de la roue céleste. La loi du cycle éternelle. Depuis des éons les grands dragons pleuraient pour ce souverain, pour sa douleur ne paraissant connaître aucune fin. L’air se faisait murmure suppliant. Les cimes des plus hauts arbres se courbaient devant sa peine. La terre tremblait de rage devant sa propre incapacité à soulager sa douleur. Le métal était brisé par son agonie. Seuls ses enfants auraient pu sauver l’empereur radieux. Mais ils ne savaient comment se départager. Un seul trône pour un seul successeur. Hors l’empereur avait cinq enfants : la solide fille d’ambre qui portait en elle les piliers de la vie; la méticuleuse fille de cristal, détentrice des secrets de la pensée; l’ombrageux fils d’obsidienne gardien des passions; La discrète fille d’opale dont l’équilibre était la raison et le mélancolique fils d’émeraude dont le regard se perdait souvent dans le lointain. Trois d’entre eux s’affrontaient depuis des temps immémoriaux pour savoir qui serait le plus digne de monter sur le trône céleste tandis qu’une autre observait ces joutes fratricides. Un seul se tenait à l’écart de ces luttes fraternelles. Chacun combattait avec ses meilleures armes. En vain… des conflits stériles ayant pour fond des quêtes absurdes.
Ils décidèrent de partir en quête d’une épreuve enfin digne de les départager. Ils questionnèrent chaque être, chaque chose ; se Livrèrent à chaque épreuve proposée. Rien ne pu les satisfaire. Ils traversèrent les terres de l’empire de l’orient à l’occident ; du septentrion au midi. Allant même du zénith le plus radieux au nadir le plus infernal. C’est dans ces profondeurs hécatonchires qu’ils trouvèrent la voix. C’est au milieu des seigneurs yama qu’ils virent un cygne attaché à la roche par des chaînes de fer et de sang. Son plumage immaculé reflétait ce ciel qu’il n’avait vu depuis si longtemps. Interrogé par les enfants de l’empereur, il leur apprit qu’une tempête avançait sur le monde, dévastant tout sur son passage, alors même qu’ils se soumettaient à des épreuves indignes. Ils voulaient savoir qui règnerait ?! Alors que celui qui dompte la tempête soit le prochain empereur du ciel. Le cygne poussa son dernier chant, son ultime prophétie. Une symphonie qui fit vibrer les fondations du monde ; un appel au jugement du ciel. Son plumage se ternit, son cou gracile devint de la pierre, son regard infini devint deux perles. Il ne fut plus qu’une statue maintenue au mur de l’enfer par des chaînes de fer et de sang.
Les enfants de l’empereur se retrouvèrent sur le toit du monde. De là, ils virent une tempête que nul n’avait pu contempler jusqu’à présent. Un maëlstrom hurlant détruisant tout sur son passage, n’épargnant rien sur le monde pour témoigner de son action. Elle était le chaos, le désordre incarné abritant en son sein les éclairs les plus effrayants et poussant de grands cris démoniaques. Elle était la mort. Elle était le vide. Elle était ce que le monde refusait.
La solide fille d’ambre fût la première à descendre de la montagne pour faire face à la tempête. Elle clamait à la face du monde que son corps seul suffirait à soumettre les vents furieux. Sans la moindre hésitation elle se confronta au tumulte dans un corps à corps insensé. Elle resta ancrée au sol et bravait fièrement la tourmente jusqu’à ce qu’elle soit soulevée dans les airs, et à sa surprise son corps qui n’avait jamais connu la défaite se disloquait petit à petit. Dans un cri d’impuissance elle sentit ses chairs devenir des lambeaux. Sa douleur fût son lot. Sa douleur fût sa défaite. Sa défaite fût sa récompense. Ses cris furent couverts par le vrombissement de la tempête et dans ses distorsions aériennes elle disparut. Il ne restait de la solide fille d’ambre qui portait en elle les piliers les piliers de la vie que l’écarlate sanguine dont la tempête se parait désormais.
La méticuleuse fille de cristal s’avança à son tour. Elle restait silencieuse. Elle s’assit face à la tempête et lorsque celle-ci vint vers elle, elle se contenta de murmurer que l’esprit en viendrait à bout. En sentant l’odeur du sang apporté par les vents elle se souvint des combats menés contre sa sœur défunte, de la façon dont elle réussissait à la vaincre en comprenant sa nature. Il en irait de même pour cette tornade dévastant le monde. Elle la laissa l’engloutir. Elle sentait les différentes circonvolutions aériennes sur sa peau et entendait le sifflement dans ses oreilles. Elle parvint à saisir une trame puis lorsqu’elle voulut la saisir celle-ci lui échappait. Elle se concentrait sur une autre qui se dérobait à son tour à sa raison. Il en allait ainsi jusqu’à ce qu’une tapisserie complexe se crée dans son esprit, si complexe que son esprit finit par se perdre dans la contemplation. Son esprit suivait les vents qui l’emportèrent avec eux au centre de la tempête au point que la méticuleuse fille de cristal, gardienne des secrets de la pensées disparue de la vue de ses frères et sœurs restants ne laissant plus que des vents chaotiques devenir des vents tournoyants sur eux même.
L’ombrageux fils d’obsidienne gronda. Il ne serait pas vaincu à son tour. Avec colère il injuriait la tempête qui l’avait séparé de celles qu’il avait combattu avec tant de ferveur et qu’il avait autant aimé. Il libérait sa fureur pour mieux soumettre le maëlstrom. Il courut vers lui et s’y jeta de toute son âme. Il fût immédiatement soulevé dans les airs où sa fougue tentait de briser la tempête. Leurs natures s’affrontèrent dans un déchaînement de tonnerres et d’éclairs. Les passions de l’ombrageux fils d’obsidienne rencontrèrent celles de la tempête. Elles trouvèrent un écho en chaque duettiste. Elles se mêlèrent au tumulte et celles du tumulte se fondirent en lui. Leurs âmes se confondirent. Le fils de l’empereur fut emporté par les vents, tournoya avec eux jusqu’au cœur de la fureur du ciel et y disparut. Il ne laissa de l’ombrageux fils d’obsidienne gardien des passions d’autres traces que son rire qui apportait la joie sur le monde et ses imprécations qui le soumettaient et dont l’écho surgissait de la tempête.
La discrète fille d’opale regardait son frère restant. Il ne regardait pas la tempête. Il était le plus frêle de tous. Il était le plus jeune mais son regard semblait le plus âgé. Tous deux étaient considérés comme une quantité négligeable par tous. Personne ne prêtait attention à eux. Tous se courbaient devant eux mais se sont ses trois aînés défunts que tous regardaient. Elle connaissait sa place dans l’ordre céleste. Sans un dernier regard pour son plus jeune frère, elle s’avança à son tour vers la tempête et y entra pour y retrouver ses frères et sœur, sans un mot. La tempête écarlate, tournoyante, poussant des cris et des rires s’ouvrit devant elle et se referma sur elle avant d’apaiser les éclairs qui la déchiraient. Elle tournait maintenant doucement, lentement après avoir accueilli la discrète fille d’opale dont l’équilibre était la raison d’être.
Le mélancolique fils d’émeraude restait seul sur la montagne. A aucun moment il n’avait regardé les affrontements. Il en connaissait déjà les résultats. Il descendit à son tour de la montagne et pour la première fois regarda la tempête. Il reconnut en elle le sang de sa sœur aînée, la solide fille d’ambre. Les formes circulaires qu’elle avait prise lui rappelait sa sœur deuxième, la méticuleuse fille de cristal. La voix de la tempête était devenue celle de son seul frère, l’ombrageux fils d’obsidienne. La douceur qu’elle arborait venait de la plus jeune de ses sœurs, la discrète fille d’opale. Le mélancolique fils d’obsidienne s’approcha de son ordalie tandis que celle-ci vint vers lui. Ils se rencontrèrent. Il traversa l’ondée imprégné du sang de sa sœur et il en fût à son tour recouvert. Il traversa les vents et entendit les pensées de son autre sœur. Il traversa les cris et ressentit l’âme de son frère. Il atteignit l’œil de la tempête et retrouva l’équilibre qu’affectionnait sa sœur. Le mélancolique fils d’émeraude dont le regard se perdait au lointain vit le monde à travers l’œil de la tempête et se souvint de toutes les épreuves qu’ils avaient ensembles tous affrontés. Il se souvint et n’oublierait jamais ce qu’ils avaient été séparément et ce qu’ils sont ensembles.
Le monde vit la tempête engloutir un à un chacun des enfants de l’empereur et se désolait face à ce destin. Lorsque le dernier enfant disparut, l’empereur du ciel expira. Son denier souffle quitta son corps. La tempête devint un vent léger qui s’éleva vers le trône orné d’un corps sans vie. Elle s’éleva et investit les poumons de l’empereur disparu. Le monde retint sa respiration. Le vieillard rajeuni sous les yeux émerveillés du monde. Les traits de l’empereur devinrent ceux de chacun de ses enfants. Il tendit la main sur l’univers et tous la reconnurent. Son pouce était la solide fille d’ambre qui portait en elle les piliers de la vie, celle qui dressée sauvait et abaissée détruisait. Ils reconnurent ensuite la méticuleuse fille de cristal détentrice des secrets de la pensée et qui indiquait la direction à suivre. Ensembles, corps et esprit, ils saisissent délicatement les objets. Se fût ensuite au tour de l’ombrageux fils d’obsidienne gardien des passions de se faire reconnaître, celui sans qui la vie n’est rien, être majeur parmi tous. Tous se ravirent en reconnaissant la quatrième enfant, la discrète fille d’opale dont l’équilibre était la raison et qu’on ne regardait que lorsqu’une nouvelle alliance était établie. Vint enfin le plus jeune, le plus frêle, celui qu’on ne nommait jamais mais qui se rappelait des joies et des douleurs grâce à sa fragilité, celui qui en étant le dernier était le premier à approcher les réalités. La tempête destructrice devint une paume caressante. Du nadir le plus profond s’éleva un chant vers la roue céleste et tous mirent un genou à terre devant ce nouvel empereur, devant cette main qui contrôle le monde.
RENOUVEAU
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