A TRAVERS NOS PAS: 2ème chant

Homme et femme contemplant la lune par Caspar David Friedrich
Homme et femme contemplant la lune par Caspar David Friedrich [Public domain ou Public domain], via Wikimedia Commons
Le lendemain à l’aube, Sans-Nom, qui ne pouvait échapper au souvenir de son festin macabre, prépara un sac avec les quelques vêtements qu’il lui restaient. Il sourit en se rendant compte qu’ils dataient de l’époque où ceux de ce monde s’occupaient encore de lui. Lorsqu’ils avaient disparu, il n’avait plus songé alors à se vêtir. Il s’habilla avec ce qu’il avait pu trouver et roula le reste en boule pour le mettre dans sa besace. Il attacha la bourse contenant les cendres de l’oiseau à sa ceinture, la caressa, inspira un grand coup et ouvrit la porte. Ce monde n’était plus une agression pour ses sens. Il percevait distinctement les sons, les lumières ne le brûlaient plus, il découvrait enfin les odeurs pour ce qu’elles étaient. Il comprit alors le présent qu’ELLE lui avait fait. Toutefois, il ignorait comment se rendre sur l’île où les rois se reposent. Il entendit alors le vent se lever et murmurer à ses oreilles. Pensant mais ne croyant pas reconnaître la voix de sa promise défunte, il décida tout de même de suivre ce chant nouveau. Il entama sa longue marche quittant les terres du septentrion pour se diriger vers le midi. Il marcha jour et nuit sans s’arrêter car depuis sa communion il ne connaissait ni la faim, ni la soif, ni la fatigue. Il se contentait de suivre les ailes du vent céleste sans prêter réellement attention à ce qui l’entourait, ses seules pensées allant vers celle qui lui manquait tant. Il finit par arriver à un port de ce monde. Pour la première il vit la mer dont lui avait tant parlé l’oiseau. Il fut à la fois ébloui et intimidé par ce spectacle et ce sentiment d’infini qu’il inspirait. Se ressaisissant, il se dirigea vers le premier marin qu’il vit, lui fit signe et entreprit de lui demander de l’amener sur l’île où les rois se reposent. Aucun son réellement audible ne sortit de sa gorge, uniquement des glossolalies sans forme. Il n’avait jamais parlé à aucune autre personne que l’oiseau et ne savait comment faire. Gentiment le marin lui demanda comment il s’appelait. Il ne réussit à articuler que « Sans-Nom ». Le marin lui demanda donc d’écrire ce qu’il voulait s’il était muet, mais Sans-Nom ne savait pas écrire non plus. Personne n’avait essayé de lui apprendre. Perdant patience en s’apercevant qu’il ne pourrait rien en tirer, son interlocuteur lui tourna le dos en lui intimant l’ordre de ne plus le déranger. Il avait beau essayer auprès d’autres personnes, Sans-Nom se retrouvait sans cesse en proie aux mêmes difficultés. Rapidement dans le port se répandit la rumeur d’un demeuré au regard mélancolique qui ne savait dire que « Sans-Nom », si bien que même les âmes les plus généreuses finirent par se détourner de lui. Le désespoir, la solitude, le sentiment que la mort de l’oiseau était inutile torturait Sans-Nom. Il se dirigea vers un quai qu’il savait isolé pour se recueillir. C’est là qu’il vit un vieil homme qui n’avait qu’un œil encapuchonné dans un grand ciré jaune lui faire signe. Il s’approcha, craignant de subir encore quelques quolibets. Le vieil homme lui dit:

Je peux te louer ma barque

Pour que tu puisses te rendre sur l’île où les rois se reposent

Contre une obole.

Sans-Nom montra ses mains et ses poches vides. Il n’avait jamais eu d’argent. Il fouilla dans son sac et innocemment tendit le contenu au vieil homme pour le lui offrir. Celui-ci gronda et rétorqua:

Si tu n’as pas d’argent pour un vieil homme comme moi

alors donne moi ce qui est précieux pour toi!

Le vieil homme qui n’avait qu’un œil et encapuchonné dans un grand ciré jaune tendit le doigt vers la bourse contenant les cendre de l’oiseau. Sans-Nom serra l’objet lui en implorant du regard le vieillard pour qu’il ne le prive pas de son denier souvenir. Devant cette détresse, le vieillard qui n’avait qu’un œil et encapuchonné dans un grand ciré jaune se radoucit et lui dit:

Je ne te demande pas tout le contenu de ta bourse.

J’en veux juste une poignée pour payer ton passage.

Si tu refuses, tu n’iras jamais sur cette île.

Il s’agit là du prix à payer depuis des siècles.

Sans-Nom hocha de la tête. Il avait compris. Il mit la main dans la poche de cuir et frémit en sentant les cendres sur sa peau. En tremblotant il tendit l’offrande au vieil homme qui n’avait qu’un œil et encapuchonné dans un grand ciré jaune. Cet étrange nautonier l’accepta et lui tendit les rames de la barque. Sans-Nom mit sa besace dans la barque, prit place, saisit les avirons et commença à ramer vers l’île où les rois se reposent. Pour se diriger, il se contentait de suivre ce même vent qui l’avait guidé jusqu’au port. La terre ferme n’était plus visible depuis longtemps lorsque le vent devint de plus en plus furieux se faisant tempête. La mer elle-même se révoltait, se soulevait prête à engloutir l’embarcation et son passager. Un tourbillon apparut devant sa barque et il fût engloutît sans autre forme de procès. L’eau remplissait ses poumons. Il suffoquait. Il ne savait vers où se diriger pour se sauver. Plus de haut. Plus de bas. Juste les profondeurs. Juste l’inconscience.

Il fût réveillé par les rayons du soleil sur son visage. Il sentit le sable chaud et l’eau caresser ses pieds. Il se releva, se frotta les yeux et vit un vieillard qui n’avait qu’un œil et encapuchonné dans une grande robe noire tirer la barque sur la plage. Réalisant soudainement ce qui s’était passé, il mit la main à la ceinture et soupira en voyant que sa bourse était toujours là et miraculeusement sèche. Il chercha du regard son sac et vit que celui-ci était emporté au large par les vagues. Il se mit alors à rire. Une voix sardonique lui demanda:

Pourquoi ris tu Sans-Nom?

Tu viens pourtant de perdre tes seuls vêtements

Et qui plus est tes seules possessions.

Sans-Nom lui répondît d’une voix claire que nul n’avait jamais entendue:

Cela n’a aucune importance.

Je pourrais voyager d’un pas plus léger

sans être encombré.

Pour prouver ses dires, Sans-Nom retira tous les habits qu’il avait sur le dos, les jeta tous à la mer en riant, et ne garda pour seul atour attaché à sa taille que la poche contenant les cendres de l’oiseau. La question venait d’un homme assis sur un champignon géant. Il était habillé comme ceux de ce monde, d’un pantalon et d’une veste noirs, d’une chemise blanche et portait des chaussures vernies. Ses cheveux longs étaient aussi blancs que la cime des montagnes en dépit de son jeune âge apparent et ses yeux dorés rappelant la dernière étoile visible à l’aube. Il avait adopté une posture débonnaire, tirant de temps en temps une bouffée sur sa cigarette et regardait Sans-Nom avec un sourire en coin. Pendant que cet être le regardait, le naufragé innomé regarda les alentours. Le vieil homme qui n’avait qu’un oeil et encapuchonné dans une grande robe noire avait fini de ramener l’embarcation sur la plage. De plage il s’agissait plus précisément d’une crique. Des rochers trop hauts empêchaient de voir ce qu’il y avait autour et semblaient trop acérés pour être gravis sans blessure. Le champignon sur lequel se trouvait le dandy se trouvait à l’orée d’une forêt touffue. De cette forêt émergeaient à l’occident la tour d’un château, et au septentrion une montagne dont les pics se perdaient au-delà des nuages. Le soleil brillait plus que dans le monde de ce siècle et la lune était tout aussi visible bien qu’il fasse encore jour. Il finit alors par demander au dandy sur son champignon:

Où sommes nous?

Peut être accepterais tu de répondre à mes questions?

Le dandy répondit sur un ton plus moqueur encore:

Bienvenue sur l’île où les rois se reposent,

Terre d’infini et d’impossible

Où tout ce que tu crois est aussi faux que la vérité!

Interloqué Sans-Nom questionna:

Et pourquoi les rois se reposent-ils?

Hilare, l’interlocuteur répondit entre deux éclats de rires et de volutes de fumée:

Ils attendent qu’une âme errante vienne les réveiller.

Beaucoup ont tenté.

Tous ont échoués,

Perdus dans la forêt sans âme,

Noyés dans les rivières sans fonds,

Jetés du haut de la montagne sans pics.

Une question taraudait Sans-Nom. Il ne pouvait s’empêcher de la poser:

Qui es tu?

Tu sembles venir du même monde que moi.

Es tu de ceux qui ont tenté de résoudre cette quête et qui ont échoué?

Est-ce pour cela que tu me mets en garde?

Pour seule réponse, le rieur lui révéla six grandes ailes noires dans son dos. Ils se contentèrent de se regarder dans un silence uniquement brisé par le ressac des vagues et le bruit de ces ailes noires battant lentement dans le vide. Sans-Nom reprit la parole:

Un poète de mon monde écrivit:

« Quoiqu’il ne pousse ni grand gestes ni grand cris,

Il ferait volontiers de la terre un débris

Et dans un bâillement avalerait le monde;

C’est l’ennui!-l’œil chargé d’un pleur involontaire,

Il rêve d’échafaud en fumant son houka. »

Cela semble te correspondre.

Le dandy compléta le poème:

Ce poète à qui tu fais référence, Baudelaire, termine en disant:

« Tu le connais, lecteur, ce monstre indélicat,

-hypocrite lecteur, -mon semblable, – mon frère! »

Sans-Nom renchérit:

Beaucoup de contes et d’histoires m’ont été racontés.

Assis sur un champignon et fumant…

Je croyais que tu étais une chenille.

Le dandy aux ailes noires de répondre:

Je croyais que tu étais muet.

Les deux se regardèrent et Sans-Nom ne pouvait s’empêcher de rendre son sourire à la chenille devenu un dandy aux ailes noires. Il lui demanda pour finir:

Puis-je entrer?

De nouveau un rire malicieux avant la réponse:

A ta guise.

Le dandy aux ailes noires tira une bouffée de sa cigarette et la souffla en direction de la forêt. La fumée enfla et semblait écarter les arbres pour former un sentier chimérique. Le fumeur moqueur dit:

Suis le sentier des brumes jusqu’à l’objet de ta quête.

Sans-Nom s’engouffra dans le forêt en empruntant cet étrange chemin non sans avoir remercier le dandy aux ailes noires dont le regard s’était déjà perdu par delà les mers.

Ô mon aimée,

C’est ainsi que j’entre nu dans cette forêt

Avec tes cendres pour seule parure

Et pourtant le froid ne saurait me faire plus de mal

Que l’entêtant goût de ton sang sur mes lèvres.

Je pars en quête de mon nom

Alors que j’ignore le tien.

Je pars en quête de ta sépulture

Moi qui n’ai jamais vécu

Que par toi.

Ô mon aimée

Le bruit de nos noces funèbres résonne en moi

Comme une pavane

Dont le chant serait l’homélie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

%d blogueurs aiment cette page :