A TRAVERS NOS PAS: 5ème chant
Troublé par ce à quoi il avait assisté, Sans-Nom poursuivit son chemin chimérique. Il avait peur de jeter ne serait-ce qu’un regard en direction de l’arène aquatique où s’était jouée la vie de ces deux amants bretteurs. ELLE ne lui avait jamais raconté l’histoire ainsi. ELLE ne lui avait jamais raconté ainsi aucune autre histoire. Il comprit la véracité des premiers mots prononcés par le dandy aux ailes noires et réfléchit à tout ce qu’il avait appris. Il en était là lorsqu’il entendit des voix glapissantes chanter à tue-tête:
Promenons nous dans les bois
Pendant que le loup n’y est pas.
Si le loup y était
Il nous mangerait
Et comme il n’y est pas
Il ne nous mangera pas!
Cette comptine était braillée par un buisson de roses qui avec malice chantaient de plus belle lorsque la cible de leur moquerie répondait avec fureur. Leur victime, le Grand Méchant Loup, enrageait sans oser s’approcher d’elles et d’une voix tonitruante leur hurlait:
Silence!
Silence petites péronelles
Ou je vous dévore jusqu’à la dernière!
Je dévorerais les frêles pétales dont vous êtes si fières
Et vos racines fragiles
Jusqu’à ce que vous laisser exsangues!
Les roses moqueuses rirent de plus belles et lui répondirent:
Jamais tu n’oseras
Grand Méchant Loup
Tu es paralysé par la peur.
Jamais tu n’oseras
Toucher à notre beauté et notre fragilité.
L’idée même de nous sentir t’effraie.
Se rappelant du conte et du rôle terrible du Grand Méchant Loup, mais pourtant plein de compassion en cet instant pour lui, Sans-Nom s’approcha sans crainte. La bête se retourna vivement vers lui, recula dans l’ombre tout en retroussant ses babines pour mieux montrer ses crocs. De là où il s’était mis, on ne voyait qu’eux et ses yeux dorés. Sans-Nom continua à s’avancer et le Grand Méchant Loup continua à reculer dans l’obscurité devant cet étranger jusqu’à ce qu’il fût acculé. Sans-Nom leva une main et caressa l’encolure du fauve. D’une voix douce il demanda:
Qu’es-tu devenu Grand Méchant Loup
Toi dont la seule évocation de ton nom
Suffit à effrayer les enfants?
Quels sont les tourments
Rappelés par ces roses
Qui suscitent en toi une telle colère?
Le Grand Méchant Loup fut surpris par ces caresses impromptues. Apaisé par celles-ci il se laissa aller aux confidences. Sa voix grondante quelques instants avant était maintenant brisée par le chagrin:
Je suis le Grand Méchant Loup
Et je suis né
Sous la plume de l’auteur
Pour dévorer le petit Chaperon Rouge.
Ni une malédiction. Ni une bénédiction.
Juste mon rôle.
Hélas depuis qu’elle sait
Que j’ai dévoré sa grand-mère
Le Petit Chaperon Rouge a peur de moi.
Elle n’ose s’approcher de moi
De crainte de subir la même épreuve.
Tel n’était pas notre lot.
Notre histoire ne devait pas être écrite ainsi
O mais je ne la blâme pas.
Je comprends ses craintes et son dégoût.
Mais chaque jour que les écrivains font
Je dois me contenter de contempler
L’objet de mes désirs
Sans pouvoir assouvir ma faim.
A la fin de la confession, Sans-Nom entendit un soupir quasi silencieux, mais aussi déchirant qu’un cri, venant de l’autre rive. Il y vit une jeune femme vêtue de rouge, portant un panier en osier et dont le visage était à moitié caché par sa capuche. Il perçut des sanglots et une larme roulée sur la joue de celle qu’il reconnut évidemment comme étant le Petit Chaperon Rouge. Sans-Nom haussa le ton pour recouvrir le tumulte des flots et s’adressa à l’innocente écarlate:
Pourquoi te lamentes-tu Petit Chaperon Rouge?
Là où tu te trouves tu n’as rien à craindre
Du Grand Méchant Loup.
Tu lui es inaccessible.
Le Petit Chaperon Rouge de lui répondre timidement:
J’ai peur
Du Grand Méchant Loup
Et cela le blesse.
J’ai honte de fuir ainsi
Et de lui faire plus de mal qu’il ne pourrait jamais m’en faire.
J’aimerais le rejoindre
Mais j’ai trop peur pour cela.
Si je n’étais pas à son goût?
Sa déception serait pire
Pour moi
Que sa frustration.
Me tuera-t-il d’un coup de dent
Sans douleur
Ou me laissera-t-il agoniser
Après avoir jouer avec moi?
J’aimerais le rejoindre
Mais j’ai peur
Et ne sait comment dépasser mes craintes.
Sans-Nom écouta attentivement les mots du Petit Chaperon rouge. Il se souvint qu’il avait traversé la rivière par un petit pont sur lequel passait le sentier des brumes. Il dit alors à l’attention du Grand Méchant Loup et du Petit Chaperon Rouge:
Vous êtes de chaque côté de la rivière sans fond
Mais seul un pont vous sépare.
J’en ai vu un
Qui inlassablement résiste a ces eaux furieuses
Capables de briser des rochers.
Mais il reste debout face aux éléments déchaînés,
N’attendant que d’être traversé.
Trouvez vous
Au milieu et au dessus de ces flots
Et ensembles
Écrivez votre histoire.
L’innocente et la bête remercièrent chaleureusement Sans-Nom et lui souhaitèrent de trouver à son tour l’objet de sa quête. Ils partirent ensuite séparément vers l’endroit d’où était venu leur bienfaiteur afin d’y trouver leur passerelle. Sa dernière vision d’eux fût celle de la jeune fille retirant sa capuche pour dévoiler son visage et s’éloigner en amont vers le pont, un sourire sur les lèvres et l’air calme. Sans-Nom poursuivit son chemin avant d’être rattrapé par le vent charriant l’odeur du sang du petit Chaperon Rouge et les cris du Grand Méchant Loup. Il caressa de nouveau la bourse contenant les cendres de l’oiseau et s’enfonçant plus en avant dans la forêt, guidé par le sentier des brumes.
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