UNE HISTOIRE CLASSIQUE, UNE MORALE CONVENUE
Je me permets de prendre la parole pour vous raconter l’histoire d’une bonne copine qui avait tout pour réussir mais qui est toujours tombée sur des sales types. Ce n’est pas une fille méchante, je dirais même qu’il s’agit de quelqu’un de bien. Pour commencer je parlerai de ses parents, des gens d’exception qui ont tout fait pour elle. Ils lui ont enseigné les sciences, les arts et les lettres. Ils lui ont fourni les meilleurs précepteurs. Ils lui ont apporté la meilleure éducation possible. Pour apporter un bémol je dirais qu’ils ont peut-être trop attendu d’elle. Malheureusement ils sont morts trop tôt sans avoir pu lui enseigner les choses de l’amour. Du coup elle s’est retrouvée seule. Elle a tenté toute sa vie de combler ce vide en partant en quête du prince charmant. Nous en connaissons tous des gens comme elle, hommes, femmes, blancs, noirs, hétéros, homos, de gauche, de droite ou de tout autre profil qui vont régulièrement en boite ou dans des bars en espérant que la personne qu’ils ramasseront sera la bonne. Nous en connaissons tous et qui sait, certains d’entre nous sont peut-être comme elle. Afin de s’attirer les faveurs de ceux qu’elles convoitaient elle faisait l’erreur d’écarter les cuisses trop facilement. Vous imaginez bien qu’elle est surtout tombée sur des mecs qui se cassaient une fois l’affaire conclue sans laisser le moindre numéro. Les autres qui restaient étaient principalement des parasites qui ne cherchaient qu’à profiter de la fortune que ses parents lui avaient laissée en héritage. Les histoires les plus longues que ma copine a connu étaient avec des mecs qui la trompaient ou la battaient lorsqu’elle ne tombait pas sur des mecs qui lui faisaient subir les deux. Je me souviens l’avoir déjà vu avec des bleus et n’avoir pas réagi à temps. On en connaît tous et peut-être certains d’entre nous sont passés par là, victimes isolées ou témoins silencieux. A force de changer de partenaires et de se faire bafouer à chaque fois, elle finit par perdre le respect des gens et même parfois celui de ses amis. Je l’ai déjà vu se faire insulter ou tabasser en pleine rue sans que personne ne réagisse si ce n’est en détournant les yeux ou en s’excitant devant ce spectacle misérable. J’en ai vu quelques-uns sourire à l’agresseur. Parfois une bonne âme prenait sa défense mais dès qu’il tournait le dos le calvaire de ma copine reprenait de plus belle. Qu’ai-je fais dans ces cas là ? Je ne sais plus, ou peut-être que je ne veux pas m’en rappeler. Vous allez croire que j’affabule mais il est même arrivé que certains de ceux qui étaient entré dans son lit jouent les macs et la foutent sur le trottoir. J’ai l’air d’exagérer mais je peux vous jurer que l’histoire est vraie. Regardez dans votre entourage ou pour certains regardez-vous.
Il n’y a pas longtemps j’ai appris qu’elle était tombée enceinte. Elle a refusé de dire qui est le père et honnêtement, je ne sais pas si elle-même le sait. Ce qui est problématique c’est qu’elle s’en est rendue compte trop tard, du coup le délai légal pour avorter est passé. La connaissant, je suis sur que de toute façon elle ne l’aurait pas fait. Elle commence à être un peu défraîchie et elle doit sûrement voir dans cette occasion la dernière chance pour elle d’avoir un enfant. J’aurais pu faire avec si je n’avais appris qu’en plus, d’après les meilleurs spécialistes, il s’agit d’une grossesse à risque et qu’elle a une chance sur deux de clamser pendant l’accouchement ; quand au bébé il n’est même pas sur qu’il soit viable. Elle a morflé toute sa vie et j’ignore si elle pourra une jour être heureuse. Je vous l’ai écrit dès le départ c’est une histoire classique. Ce qui m’emmerde le plus dans tout ceci c’est que la seule erreur de ma copine c’est de s’appeler « la démocratie ». A mon sens le plus malheureux est que cette histoire est hélas classique et cette morale convenue.
Je terminerai juste en disant que je suis noir, bisexuel, immigré avec une carte de séjour et que cette bonne copine que j’ai toujours connue m’a permis de vivre avec des gens différents de moi, de les accepter et d’être accepté d’eux. Pourtant je ne me suis jamais autant senti une fiote qu’en fermant les yeux sur tout ce qu’elle a subi. Je ne me suis jamais autant senti esclave qu’en laissant d’autre décider pour moi de la direction que ma vie et le monde devaient prendre. Je ne me suis jamais autant senti étranger à ce monde qu’en le regardant sans pouvoir donner mon opinion de citoyen dans les urnes en cet instant où j’écris. Il existe des lois pour punir ceux qui refusent leur aide aux êtres en danger mais aucune pour châtier notre passivité face à ceux qui agressent cette femme que nous connaissons tous. La pauvre n’a pas mérité ça ; ou peut-être est-ce nous qui ne la méritons plus. Ce texte comporte beaucoup de « peut-être », j’en suis conscient, mais je ne suis plus sur de rien. Ma seule certitude est que depuis quelques mois j’ai étrangement mal au cul et j’ai un truc qui me reste coincé au travers de la gorge.
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