Ophidius Rex
Serpents, dragons, des créatures que l’on semble retrouver dans toutes les cultures. Ceux ci on tous la même signification: puissance et connaissance. D’où peut donc venir cette universalité? Le terme d’ophidien sera employé pour englober à la fois, les serpents, les dragons et autres formes de reptiles.
Commençons par Babylone: Tiamat, déesse primordiale souvent représentée sous la forme d’un serpent de mer, le léviathan, est vaincue par Marduk. En accomplissant cet exploit, il crée le ciel et la terre avec le cadavre de celle qui est aussi appelée Tannin. Il n’est pas ici question de lutte du bien contre le mal mais plutôt de lutte de pouvoir. Je tenais à aborder ce point pour présenter mon exégèse de l’ophidien dans le monothéisme.
Nous connaissons tous l’histoire du serpent, de la pomme et d’Ève. Je rajoute que dans le livre d’Hénoch, texte apocryphe, celui -ci est appelé Tabaet. Ce nom semble être un autre nom de Tiamat, faisant ainsi la liaison entre le panthéisme hérité de Ur et les prémisses du monothéisme. En effet, au moment de l’écriture de la genèse, voire de l’ancien testament, il n’est nullement question d’un dieu unique. Cette notion ne viendra que lorsque le judaïsme se confrontera au mazdéisme, et ne s’implantera réellement qu’avec le christianisme. Pour l’instant, restons sur un axe Hénothéiste qui permet de mieux comprendre le rôle de l’ophidien (pour le dire vite et mal, l’henothéisme consiste à croire en un dieu sans renier l’existence d’autres divinités) Jéhovah ne dit il pas qu’il est un dieu jaloux? (exode chap 20 vers 3-6) Cette digression sur les formes de croyances a pour but de mettre en exergue le fait que le serpent n’est pas alors l’ennemi, mais une forme d’opposition comme une autre. Après tout, la cosmogonie judéo-chrétienne est trop entachée de traductions orientées et de textes manquants pour écarter cet aspect: YHVH comme représentation du dieu Marduk luttant contre Tiamat. Il est d’ailleurs fait référence dans la théologie à Théom, l’abysse primordial vaincu par Dieu pour créer le monde. Bref, le serpent apparaît ici comme incarcération de forces anciennes dépassant l’être humain. Il n’a pas besoin d’être nommé par Adam pour exister, et n’a pas besoin de Dieu pour avoir accès à la connaissance.
Arrêtons nous un peu pour parler des rapports entre Ève et le Serpent: C’est pour moi très symptomatique de la tentative obsessionnelle de contrôle du réfèrent masculin sur le référent féminin. Finalement, c’est par le serpent que Ève fût déflorée, non pas physiquement bien sur, mais de la pire manière: affectivement et intellectuellement. Après qu’il lui ai fait goûter le pomme, elle connait le désir, l’envie et accède à la conscience. Non seulement l’homme a été trompé par une créature bien plus longue qu’il ne le sera jamais, mais en plus de cette union nait non pas une simple vie, qui est un miracle en soit, mais une nouvelle ère. C’est la femme qui crée au delà de l’aspect biologique. L’homme devient alors inutile, réduit au statut de simple reproducteur physique. En réduisant le serpent à ramper sur le sol et la femme à l’écraser de son talon, Dieu bloque ainsi la possibilité d’une nouvelle création.
Il faudra attendre l’apocalypse de saint jean pour qu’une femme soit de nouveau confrontée à l’ophidien.A présent elle y est opposée; le dragon tente de l’abattre pour empêcher un nouvelle ère. Il est intéressant de noter que cette fois encore, le référent masculin est totalement effacé: le messie est fils de Dieu, pas d’un homme. Behemot, Léviathan, on retrouve dans le livre des révélations les incarnations de la grande Théom. La défaite du dragon de l’apocalypse est elle le symbole de la fin définitive de Tiamat et ainsi d’un héritage culturel? Fini les guerres entre dieux? Fini les luttes pour imposer sa vision du monde? Quoi qu’il en soit, c’est à ce moment que l’ophidien me semble être définitivement rattaché à Satan. Créature mystérieuse dans la genèse, Il n’avait encore que l’image d’un animal rusé et corrupteur sans être pour autant le démon lui même, sans doute parce que le dualisme n’avait pas cour à l’époque. Ce n’est que plus tard que l’ophidien sera assimilé au malin sous le nom de Samael, le poison de Dieu (venin de serpent?)
Je souhaiterais rester un peu encore sur le cas de Ève en faisant un lien avec la mythologie grecque. Dans les mythes pélasgiques de la création, Eurynomé est la déesse mère. Elle danse sur les flots et de ses mains malaxe le vent qui prend la forme d’un serpent, Ophion. Dans une danse d’amour elle s’unit à lui et sous la forme d’une colombe, pond un œuf d’où surgissent le ciel, les étoiles, la terre , le monde. Ophion se vante de la création de toute chose. Furieuse, Eurynomé lui écrase la tête sous son talon. Les dents d’Ophion tombent au sol et ces « graines » naissent les premiers hommes. Il est intéressant de noter que Yahvé pourrait être une déclinaison de « Iahu » l’autre nom de… Eurynomé . Pour plus de précision sur les mythes pélasgiques, je recommande l’excellent livre « les mythes grecs » de Robert Graves.
Revenons si vous le voulez bien sur l’ancien testament (tant pis pour vous si vous le ne voulez pas mais vous allez en bouffer) Lorsque Moïse se dresse face à pharaon en l’an moins beaucoup d’années avant Charlton Heston, Dieu lui dit de jeter le bâton d’Aaron au sol. Il s’exécuta et celui-ci devient un serpent. Les prêtres de pharaon font de même, mais leurs serpents se font dévorer par celui de Moïse. Passons sur le côté « j’en ai une plus grosse que la tienne alors c’est mi qui décide » pour nous pencher un peu plus sur le rôle du serpent. À ce niveau, on peut imaginer que cette démonstration signifie: « je suis si aimant que je peux utiliser le mal qui est en moi sans me détruire. Je suis infiniment plus malfaisant que tu ne le seras jamais car je suis infiniment bon ». De plus, par cet acte, il est montré que Yahvé contrôle les forces primordiales qui ont voulu détruire sa création. Il en va de même pour le serpent de feu et le serpent d’airain. On pourrait là aussi traduire ça par: « notre vertu est telle que le mal que nous pouvons employer nous guérit au lieu de nous détruire » du côté humain et « va et agit selon ma volonté tu ne crains rien si tu crois en moi » pourrait on dire du côté divin.
Quittons l’ancien testament pour parler un peu de la mythologie. Vous l’attendiez, la voici (mais si, vous l’attendiez je vous dis).
L’ophidien apparaît souvent dans les mythes grecs, même si son rôle est au final assez ingrat: généralement, il se fait écraser pour permettre à l’autre d’accéder à de nouvelles connaissances, comme ce fût le cas pour le serpent de Delphes abattu par un Apollon encore enfant, jeté dans une fosse et écrasé sous une pierre. Au dessus de sa tombe est installée une femme, la pythie, humant tous les jours ses effluves et lançant grâce à elles des prophéties. C’est ainsi que fût crée l’oracle de Delphes. L’ophidien se révèle ici dans sa connaissance des évènements passés, présents et futurs.
Autre moment où il est écrasé comme un malpropre? Tirésias se promène, il tombe sur deux serpents entrain de s’accoupler. Il écrase la femelle et se change en femme. Pour avoir oser faire du mal à cette créature il est puni. Des années plus tard, il tombe de nouveau sur une scène d’accouplement et prend garde cette fois à écraser le mâle pour redevenir un homme. C’est la sagesse acquise par cette expérience qui fera de lui le juge lors de la dispute entre Zeus et Héra (le thème étant de savoir qui avait le plus de plaisir entre l’homme et la femme)
J’ai parlé succinctement du serpent d’airain et du serpent de bronze De Moïse. Un autre symbole qui nous a rassuré bien des fois ressemble à cet aspect de l’ancien testament: le bâton d’Asclépios appelé plus communément le caducée. Alors que deux serpents se battaient, Hermès se mit en tête de les séparer (pour une fois qu’un dieu grec voulait jouer les pacifistes…) Les deux serpents s’enroulèrent autour et se figèrent. Ce nouveau bâton plût à Apollon qui fit un échange pour ensuite l’offrir à son Fils, Asclépios. Celui devint le plus grand guérisseur de l’histoire. Par contre ce fut plus ou moins à cause de serpents qu’il mourût: il voulût aller trop loin en tentant de ressusciter les hommes grâce au sang de Méduse, une des trois gorgone. Est il utile de rappeler que la chevelure de Méduse était faite de serpents hurlants? Pour éviter ce sacrilège, Zeus (Yahvé?) le foudroya.
Il arrivait que l’ophidien soit employé par les dieux pour exécuter les basses œuvres: Héra enverra des serpents pour étrangler Héraclès dans son berceau. Des serpents seront envoyés par les dieux pour étouffer le devin Laocoon qui tentait de prévenir les troyens. Le fait qu’il soit étouffé après avoir frappé le cheval de Troie confortait ceux qui avaient assisté à sa mort que les dieux voulait qu’ils acceptent ce présent. Insidieux et respecté, l’ophidien est la volonté divine. Celui qui sait s’en défendre tel le jeune Héraclès est celui qui aura un destin glorieux. Celui qui succombe à leur constriction ou à leur morsure, comme Eurydice ou Laocoon, ne pourra jamais échappé au fatum.
Je terminerai cette présentation de différents ophidiens par la mythologie nordique où ils ont une importance particulière. L’ophidien est la créature à abattre. Il faut noter que comme dans la cosmogonie hindou, c’est un serpent qui entoure le monde; il a pour nom Jörmungand. Un des hauts fait de Thor sera d’ailleurs d’abattre celui-ci, ce qui permettra aux vikings de naviguer plus loin pour découvrir d’autres terres. Niddhog est celui qui petit à petit dévore les racines d’Yggdrasil, l’arbre soutenant le monde, apportant ainsi le Ragnarok-apocalypse. Je me dois de rappeler que les dieux grecs ne sont par passés loin de ce destin avec la naissance de Typhon, le géant aux jambes de serpents enfanté par une Gaïa revancharde. Siegfried, lui, devient invincible en tuant le dragon et en se recouvrant de son sang. Systématiquement, la destruction du serpent est un signe de survie, si ce n’est de prospérité.
Après tous ces exemples, voici où je voulais en venir: Quelque soit la culture, le pays, on retrouve au moins une histoire d’ophidien, que se soit Python, le dieu de la sagesse au bénin, Quetzalcóatl en Amérique du sud, les grands dragons asiatiques et j’en passe. L’ophidien représente systématiquement la puissance et la connaissance. Ce qui semble finalement en être l’ultime archétype est l’Ouroboros, le serpent qui se mort la queue, incarnation même des ésotériques caput draconis et cauda draconis. Tout est dans forme, celle du cercle lorsqu’il se love sur lui même dans l’imaginaire collectif; un cercle qui symbolise le cycle éternel de la vie et de la mort. Détruire le cercle permet de sortir de son contexte et d’accéder à d’autre vérités. Siegfried brise le cercle et devient immortel. Apollon brise le cercle et crée son oracle. Jésus brise le cercle lors de sa parousie et apporte la paix sur le monde. Quetzalcóatl s’immole, brise le cercle et crée un cinquième monde. Si la mue même de l’ophidien fait de lui un symbole de renaissance, l’abattre brise le cycle et élève l’humain.
Je terminerai cet exposé en parlant d’un reportage vu il y a quelques années. Celui traitait de différentes variétés de serpents. L’un d’eux m’a particulièrement marqué: en mordant, il injecte une toxine extrêmement douloureuse. Lorsque sa victime le revoit après cela, même des années après, elle se rappelle instantanément de cette douleur comme si elle venait d’être mordue. Finalement c’est ce que l’ophidien a fait à l’ imaginaire collectif humain quelque soit ses nuances. Il nous a mordu une fois et à jamais nous nous en rappellerons.
Que le serpentaire veille sur vous
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