Le fantasme de Renfield

Le sang qui coule dans nos veines. Chaque battement de cœur qui l’exalte et nous fait vivre. Est ce cette proximité qui rend le vampire si intemporel et si universel? Si le dragon/serpent représente la puissance et la connaissance, et que le lycanthrope est le symbole de la bestialité, le vampire n’est il pas la représentation de nos passions refoulées?

Qu’entends je par passions refoulées ? Je résumerai ceci par les mots de sexe et de mort, Eros et Thanatos. Ce qui caractérise le vampire est bien entendu son aspect nocturne, dans ces ténèbres qui nous effraient tant, où les ombres semblent prendre vie; cet instant où les larcins peuvent s’accomplir… Si le vampire est l’incarnation de nos refoulements, il est normal alors qu’il ne puisse agir que de nuit, que lorsqu’il est loin de la surveillance du divin soleil. La nuit environnante qui révèle le vampire n’est que l’incarnation de l’obscurité tapie dans nos cœurs.. j’irais jusqu’à dire que c’est lorsque notre environnement est semblable à notre cœur que ce qui est en nous peut s’exprimer librement. Je parlais du soleil comme étant l’incarnation divine qui veille sur nous et qui de fait détruit l’obscurité; j’ajouterai à cela que si le vampire brule au soleil, c’est aussi parce que le soleil est la vérité. Le vampire disparaît au soleil parce qu’au final il n’y a que nous et rien d’autre. En pleine lumière les chimères sont inutiles. À ceci se rattache la légende selon laquelle le vampire n’a pas de reflet dans le miroir. En effet, si le vampire est le désir inavoué en nous, que voyons dans le miroir si ce n’est nous? Il en va de même pour les versions disant qu’il n’a pas d’ombre: le vampire est déjà notre ombre. Il est également dit qu’il ne peut entrer dans un lieu que s’il y est invité. Ne peut on voir ici une mise en garde plus profonde? Il ne rentre dans nos cœurs que si on les ouvrent au péchés, à la tentation. Pour résumer, il nait de nos frustrations engendrées par les valeurs d’une société, nos tabous sur le sexe et la mort. Quelles sont les choses que vous avez en tête mais que jamais vous n’accomplirez, parce que vous savez que « c’est mal » ?

Affiche du film entretien avec un vampire (adaptation du roman d'Ann Rice par Neil Jordan)
Affiche du film entretien avec un vampire (adaptation du roman d’Ann Rice par Neil Jordan)

Afin de vous présenter au mieux cet aspect essentiel, je me concentrerai sur le folklore judéo-chrétien qui me semble être un modèle d’interdiction et de règles morales. Tout commence avec le meurtre d’Abel par Caïn. Leurs parents avaient connu le sexe, eux ont connu la mort. Ce passage entérine le rôle du sang des hommes comme étant une chose maudite mais qui pourtant révèle une certaine vérité. De ce passage, certains verront en Caïn le premier vampire.

genèse,chapitre 4, verset 10-11 « alors dieu dit : qu’as tu fait ? La voix du sang de ton frère crie du sol jusqu’à moi. Maintenant, tu seras maudit loin du sol qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère »

Le meurtre d’Abel (par William Blake)
Le meurtre d’Abel (par William Blake)

Toutefois, depuis l’avènement du christianisme, chaque dimanche, les catholiques boivent le sang du christ et dévorent sa chair, et ainsi se rapprochent de leur seigneur. Le sang est là à présent pour guérir, pour sceller cette «alliance nouvelle et éternelle ». ce phénomène de transsubstantiation semble finalement avoir pour but de laver ce premier sang versé qui a maudit l’humanité et l’a condamné à la violence. Là où le pénitent communie avec son seigneur, le vampire lui, s’abaisse à chaque fois qu’il s’abreuve sur l’homme. Le sang du christ était pur, le sang des hommes est souillé depuis le premier meurtre. Peut on considérer qu’en faisant ceci, le vampire essaye de communier avec l’homme, de retrouver l’humain en lui? Et si le sang finalement, au delà de l’aspect « nutritionnel » était un réservoir de passions pour ces créatures immortelles? J’y reviendrai ultérieurement.

Tableau de Carlo Crivelli
Tableau de Carlo Crivelli

Revenons en au contexte religieux. Le christianisme depuis sa création se méfie des passions et recommande de ne pas s’y attacher. Cette mise en garde est représentée par la délicieuse liste des 7 péchés capitaux qui ne sont contrecarrés que par les 4 vertus cardinales et les 3 vertus théologales. J’en profite pour vous interroger de façon perfide: vous saurez sans peine, je vous fais confiance, citer la liste des péchés, mais saurez vous en faire de même pour les vertus? Essayez, je vous prie, de vous souvenir de ces listes. Quand vous aurez fini de vous torturez les méninges puis de faire une recherche sur google, nous pourrons revenir au cœur de la thématique. Sachez toutefois que cette question et vos éventuelles hésitations concernant la réponse n’avait pas seulement pour but de m’amuser à vos dépends (quoiqu’en imaginant vos têtes à cet instant…) Pour la plupart vous avez pu citer spontanément plus de péchés que de vertus, mais ce n’est pas ce qui fait de vous des dangers pour la société; simplement il est plus facile de se rappeler des interdits qui nous fascinent. Si l’on y succombe, c’est délicieux parce qu’interdit, si l’on y résiste, on se prouve sa valeur morale, quitte à tomber dans l’orgueil (une de formes de déviance qui amène au protestantisme charismatique) voire à s’enfermer chez soi terrorisé comme un Kant. Bref, ce qui résume cet état de tempérance dans lequel doit se trouver l’être humain: on aime un autre humain mais on n’adore que son dieu. L’excès n’est toléré que pour un seul sujet. Tout de même soyons justes: il est important de rappeler que cet ensemble de règles, comme n’importe lequel dans n’importe quelle culture a finalement pour but de fixer un cadre de vie collectif. Je vais à présent être plus terre à terre. Je vous laisse un instant visualiser une cocote minute… Vous avez je pense compris où je voulais en venir à travers cette image: le vampire est la vapeur qui s’échappe pour relâcher la pression. Il est universel car chaque culture à ses tabous sur le sexe et la mort. Il est immortel là où nous mourrons. Il reste inchangé et pendant ce temps que nous vieillissons. Il n’est plus soumis aux lois morales tandis que nous tremblons face à nos pensées intimes.

Affiche du film "La sagesse des crocodiles"
Affiche du film « La sagesse des crocodiles »

La question est maintenant de savoir pourquoi ce rôle universel échoit au vampire. Pour ceci, je vais rester encore un peu sur ce modèle qui est le plus proche et le plus connu au monde, celui que l’on peut nommer le transylvanien. Il se nourrit de sang pour prolonger sa non vie. Pour comprendre cette raison, il est intéressant de revenir à la théorie des quatre humeurs: le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire. Les hommes étaient considérés comme composés de ces quatre aspects qui définissaient leurs humeurs et leurs déséquilibres. Il est bon de se rappeler que chacune d’elles étaient associées à un élément. Parmi elles, le sang était associé au feu. Ainsi le transylvanien ne se nourrit pas que de sang, il se nourrit aussi du feu qui est en nous, ce feu qui symbolise la passion chez l’homme. Le vampire lui, a cessé de vivre, de fait dans le folklore sa peau est froide et pale comme celle d’un mort, son corps ne contenant plus de sang, donc plus de passion. Tel une phalène, il est attiré par la flamme humaine. Je parlais précédemment de communion; en quelque sorte il communie avec cette part d’humain qu’il ne possède plus. Le sang est aussi la raison de l’érotisme associé au transylvanien; il suffit de se référer à la  pléthore de films d’horreur érotiques qui ont fleuri dans les années 70 avec le vampire comme alibi. Il ne cherche que le sang et les passions qui y sont enfouies, il ne connait ni genre ni sexe, juste le plaisir de la morsure. Il représente une forme de liberté sexuelle. Anna Rice dans sa magnifique chronique des vampires, surtout connue pour « entretien avec un vampire » a décrit sans tabou le plaisir sanguin qu’éprouvaient les différents personnages (qui d’autres d’ailleurs que Neil Jordan, réalisateur du bouleversant « the crying game » aurait pu réussir l’adaptation au cinema) De même, la Carmilla de Sheridan Le Fanu séduit une jeune fille innocente qui se laisse attirer par cet appel. Pour être dans la caricature outrancière, les gays aiment « entretien avec un vampire »; les lesbiennes , « Carmilla »; les hétéros, « Blade », et moi qui suis bisexuel, les trois.

"Carmilla" de Sheridan Le Fanu, un classique du roman gothique
« Carmilla » de Sheridan Le Fanu, un classique du roman gothique

Plus communément, faire couler le sang étant des prérogatives divines, le faire malgré tout vise à dépasser le destin et l’ordre divin. Que se soit une comtesse Bathory ou une lady Macbeth, elle ont fait verser des litres de sans pour obtenir ce qu’elles souhaitaient. L’une pour ne pas succomber au temps, l’autre pour l’accélérer. Leux deux voulaient grâce au sang dépasser leurs conditions humaines. C’est finalement ce que fait le vampire: « emmenez-moi loin de ce monde de morts »,  fait dire Coppola à Mina Harker dans sa version de Dracula.

Pochette de "Cruelty and the beast", un album du groupe de black metal "Cradle of filth". Tout le disque est construit sur le mythe de la comtesse Elisabeth Bathory
Pochette de « Cruelty and the beast », un album du groupe de black metal « Cradle of filth ». Tout le disque est construit sur le mythe de la comtesse Elisabeth Bathory

Analysons maintenant un peu plus les différentes composantes du transylvanien. Le soleil, les miroirs, et l’ombre ayant déjà été abordés, parlons un peu de ces moyens de destruction. Un pieu dans la cœur et la tête tranchée. Quel intérêt de planter un bout de bâton dans un organe mort? Le christianisme se méfiant du cœur corruptible des hommes, il convient donc de crever cet organe subversif pour détruire la source du mal. La décollation,elle, consiste simplement à couper le lien entre la terre dont est issu le corps et le cerveau d’où surgissent les pensées les plus mauvaises. Plus qu’une exécution, on peut quasiment voir ici un rituel théurgique.

Et si nous parlions un peu de l’ail, qui repousse les forces maléfiques? Les plus méchants d’entre vous diront que l’odeur de l’ail ferait fuir n’importe qui, et qu’aucun vampire délicat ne viendrait déposer son baiser de mort face à une haleine chargée d’ail; ce n’est pas faux et ne s’applique pas qu’au vampire. Toutefois, au delà de cet aspect odorant, il faut se rappeler que l’ail fût honoré dans beaucoup de cultures et de légendes du bassin méditerranéen où on lui prêtait toutes les vertus. Il est vrai que la liste des bienfaits de cette plante est impressionnante, notamment au niveau de ses effets antibactériens… et anticoagulants. Si le second fluidifie le sang et participe à la protection du cœur, le premier écarte la souillure. N’oublions pas que dans plusieurs cultures antiques, notamment à Babylone, l’ail était considéré comme une plante divine.

Ail
Ail

Je ne saurais parler du transylvanien sans aborder le « Dracula » de Bram Stocker. Il se trouve dans ce livre un aspect que je trouve particulièrement intéressant dans l’opposition entre le comte et le professeur Van Helsing. Vous aurez noté, que dans le livre, Dracula apparaît au jeune Jonathan Harker sous l’apparence d’un petit vieux. Par contre, lorsqu’il arrive à Londres, il est jeune et séduisant mais se retrouve confronté à un autre petit vieux en la personne du professeur Van Helsing. Ils sont pour moi les principaux protagonistes/antagonistes de cette deuxième partie. Le professeur, lui est d’un rigueur morale digne d’un protestant calviniste pour qui Luther serait un dangereux pornocrate. Il résiste d’ailleurs, lui, aux compagnes du comte auquelles  Harker avait cédé. Van Helsing est la loi morale qui rejette tout ce qu’est le comte, il est le héros puritain d’une ère victorienne où un Oscar Wilde croupissait en prison. Il parle du vampire comme d’un enfant capricieux avide. Les deux sont les antithèses parfaites mais en même temps, les deux faces d’une même pièce. Ils sont âgés, leurs noms sont respectés, mais l’un a eu peur de la vieillesse, de la mort et de l’oubli. Dans cette époque victorienne emplie de faux dévots, celui qui l’emporte est celui qui a su faire confiance à dieu. Van Helsing aurait pu être Dracula. Il l’aurait été s’il avait été aussi attaché que le transylvanien à sa gloire, à la terre.

Affiche du film Dracula de Coppola, adapatation libre du roman de Bram Stocker
Affiche du film Dracula de Coppola, adapatation libre du roman de Bram Stocker

Avec ses différents éléments, vous avez pu déjà faire le lien avec d’autres créatures dans d’autres cultures et à travers les ages qui représentent des traits similaires. J’aimerais toutefois pour conclure vous en présenter quelques unes .

Parlons un peu des succubes et des incubes. La succube est un est esprit qui envahit chaque nuit les songes des jeunes innocents et dévorent leurs forces vitales. L’incube est son pendant masculin. On peut y voir aisément une analogie avec le vampire, excepté qu’au lieu de se nourrir de sang, elle se nourrit des rêves de ceux qui en société sont pieux mais dont les rêves sont agités par le désir. La présence de créatures éthérées de ce type est d’autant plus prégnante dans les cultures chamaniques où le rêve n’est pas uniquement un délire passager mais une vie à part entière.

Dans la mythologie grecque, afin de s’attirer les bons augures des défunts lorsqu’il descend en enfer, Ulysse leur offre du sang pour les attirer. Tout comme pour le transylvanien, la soif de sang est la malédiction des morts, une façon pour eux de se rapprocher un peu de cette vie qu’ils ne connaitront plus.

Toujours dans la mythologie grecque, la Lamia est une créature qui a vu ses enfants mourir, et qui depuis dévorent ceux des autres. Si on peut voir dans ce mythe de la jalousie, on peut aussi y voir une façon pour elle de récupérer ce qu’elle a perdu, comme le vampire tente de récupérer sa vie. Elle a été maudite par les dieux, jusqu’au bout elle devra vivre avec son insatisfaction.

En Asie, le vampire est beaucoup moins sexy que le transylvanien; Il se rapproche plus du zombie qui a besoin de chair et de sang pour survivre. Dans ce cas, le corps du défunt est « ramené à la vie » par un esprit assoiffé de vie. Même s’il est représenté comme décérébré et laid, le principe reste similaire à celui de son homologue occidental

En Afrique sub-saharienne, il existe de nombreuses histoires de vampires rentrant la nuit dans les cases pour dévorer le sang et les âmes.

Vous l’aurez compris, c’est parce que chaque civilisation connait des lois morales, parce que chacune génère des désirs inassouvis et des frustrations, que dans l’ombre de chacune d’elle est tapie un vampire. En vous,  il se trouve surement actuellement.

Pour les insensés qui voudraient partir en quête de ces créatures qui nous fascinent, je citerai Papus dans son « traité méthodique de magie pratique »: « je n’aborderai pas dans ce livre le cas du vampirisme car trop dangereux »

EDIT : Twitter est un lieu magique, une cour ombrageuse prompte à tous les excès. Mais il y a aussi des fulgurances. Une twitta que je viens de rencontrer a écrit un sujet sur les vampires et les loup-garous sous l’angle psychanalytique. Je vous invite à jeter plus qu’un oeil à son travail et à suivre les futures publications de Psychedeliya :

je vous invite à poursuivre cette discussion autour d’un godet rempli du liquide votre choix au café des liches.

Carpe Diem

Carpe Noctem

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