Zoomorphia
Voici le dernier acte du Kimaera universalis. Après avoir présenté mes analyses sur les ophidiens et les vampires, je vais à présent vous parler un peu du loup-garou afin de clore ce triptyque. Je dois vous avouer que ma thématique initiale reposait sur la bestialité, ou devrais je plutôt dire la violence que représente ce type de créature. Autant l’ophidien représente la sagesse et la connaissance, le vampire les passions refoulées, autant je pensais que le lycanthrope représentait universellement la bête en nous dans son aspect brut et brutal. Cette idée a disparu tandis que je rédigeais cet article: plus que la bête en nous, c’est la nature en nous qui apparaît sous les traits de l’homme bête.
Pour commencer, je parlerai du lycanthrope de nos contrées, l’homme-loup. Je ne vous ferais pas l’affront de vous le décrire, Hollywood s’en est chargé pour moi à maintes reprises; je m’attacherai plutôt à décrypter ses différentes aspects. Toutefois, je vais insister un peu sur le côté effrayant, violent, du loup-garou. Abordons un peu le cas des mythes nordiques: il s’y mélange au mythe du berseker, guerrier pris d’une folie de sang laissant aller sa nature animale pour entrer dans une transe mortelle aussi bien à l’encontre de ses ennemis que de ses amis. Le berseker est craint mais respecté, il est parfois vu comme maudit mais sa présence est une bénédiction sur un champ de bataille. En cela, nous nous approchons du travestissement zoomorphique, un aspect essentiel mais sur lequel je reviendrai ultérieurement. Fenris, un nom qui a du faire frémir des générations de viking; le loup qui apporte avec lui le Ragnarok, la fin des dieux. Peut-on considérer que la folie destructrice du berseker est un reflet de la mort que fenris apporte au monde? La question se pose et les supputations sont là. Plus généralement, ce sont des animaux qui sème la mort au Ragnarok, que se soit Niddhog le serpent ou fenris le loup. On peut imaginer qu’un instant, dans sa transe, le berseker s’associe à la nature en lui, cette nature qui crée et détruit dans la plus totale indifférence. Ce lien qui pourrait symboliser la régression au statut d’animal apporte pourtant une puissance inégalée au guerrier pris de folie. Un bien pour un mal, ou pour faire un peu sérieux clin d’œil, le principe de l’échange équivalent.
Alors qu’en est il de ce travestissement zoomorphique auquel je faisais référence? Pour ceci, je vais me permettre revenir à l’époque du lycée en citant cet incroyable professeur de théâtre qui m’a fait découvrir cette notion:
le travestissement zoomorphique repose sur deux notions:
« La partie est égale au tout »
« deux choses analogique sont identiques »
Je n’oublierai jamais cet enseignement qu’il nous a hurlé avec son inimitable accent espagnol entre Dali et Popeck, non sans nous avoir qualifié entre temps de « bandes de petits cons » et « d’arnaque à l’état » etc (ce n’était que le deuxième cour)
Nous avons tous en tête les images de grottes préhistoriques représentant des scènes de chasse. L’intérêt de ces peintures étaient non pas de décorer son logis avant qu’une animatrice de chaine privée sans mêle, mais de capturer l’image de l’animal et ainsi de le posséder. Pour comprendre, rappelez vous de ces tribus qui refusaient de se faire prendre en photo par crainte que l’on capture leurs âmes. Rappeler vous de la hantise que parfois vous ressentez quand vous êtes photographiés. Vous y êtes. C’est parce que deux choses analogiques sont identiques. Si on a une image de sa proie, on soumet sa proie. Je dirais que l’on peut trouver le même principe avec le verbe: on a de maitrise que sur ce que l’on sait nommer, et Ô combien nous sommes embarrassés et dépourvus quand nous cherchons nos mots. Prenons à présent une autre image: celle du chasseur qui s’habille de peaux de bêtes: il y a certes une vertu importante dans le cadre de la dissimulation, pour se fondre dans le décor, mais l’autre vertu réside ans la deuxième notion: la partie est égale au tout. Si l’on a en sa possession une partie d’un être, on possède l’être entier, l’un n’étant qu’un élément d’un grand tout, ce que l’on peut représenter par la théorie du battement d’aile de papillon. Je vais de nouveau me permettre une analogie avec le verbe. Que fait on lorsqu’on lit ou entend un mot inconnu ? On le cherche dans un dictionnaire. Mais avant cela, il arrive souvent que par des notions de grecs ou de latin, ou tout simplement en le décortiquant pour revenir à sa valeur étymologique on en saisisse le sens, parce qu’une partie du mot suffit à saisir l’ensemble. Les pratiquants de la lecture rapide saisissent les mots essentiels dans une page pour en comprendre le sens général. Vous saurez me pardonner cette digression sur le travestissement zoomorphique mais elle est importante dans ma rhétorique. Revenons en à l’animal en nous et au chasseur travesti auquel j’ai fait référence. Dans ce cadre, contrairement aux nordiques, la nature ne reflète rien de négatif. L’homme qui se grime et devient l’animal ne fait que changer de nature sans notion péjorative ou méliorative bien qu’il se rapproche ainsi du « loup-garou » en assimilant la force de l’animal comme le fait le berserker nordique. Ceci peut être observé dans la plupart des cultures animistes ou l’humain n’est pas autre chose qu’un animal. Il est même bon au contraire de s’associer à son frère animal à l’instar des totem indiens afin de se rapprocher de ce que l’homme a perdu. Par contre, même dans ces cultures, la crainte de perdre son identité est là, et dans ce cadre, la peur du lycanthrope telle qu’on la connait en occident apparaît.
Venons en au type de lycanthrope que vous aimez le plus craindre: le Loup-garou. Bestial, destructeur, violent. Pourquoi cette vision en Europe? Je dirai pour résumer: parce que l’Europe n’est pas animiste. Chez les grecs déjà, l’animal n’était qu’un créature inférieure faite pour être soumise aux hommes. Les rares créature dites indomptables finissaient par s’incliner devant l’espèce humaine; même Pégase-le-cheval-qui-se-la-pète dut se soumettre aux ordres de Bellerophon. Certes il a été aidé par les dieux pour ce prodige, mais il l’a tout de même chevauché. Ce n’est que lorsque l’orgueil du cavalier fut plus grand que celui de son cheval que Zeus le fit « descendre ». Même les créatures les plus effrayantes devaient s’incliner et ainsi prouver la supériorité de l’homme et de son intelligence. Toutefois, là où chez les grecs il restait tout de même des créatures qui n’avaient à rendre de compte qu’aux dieux, avec le monothéisme les rares privilèges qui leurs étaient accordés ont volé en éclat. Pour comprendre ce rôle ingrat, il faut revenir à la genèse. Dieu avait créé le monde, toutes les espèces vivantes puis était parti en week-end. Entre temps il avait créé un truc qui ne ressemblait à rien: l’homme. Pour lui donner l’autorité sur ce monde (et peut être pour se faire pardonner de lui avoir donné le rôle de premier puceau de l’histoire qui coucherait avec une Ève destinée à se taper le premier venu) Dieu donna à Adam le don de nommer les choses. C’est ainsi qu’il nomma chaque créature de ce monde pour les soumettre à la volonté des hommes. De ce passage naitra la kabbale, science occulte rabbinique basée sur l’étude du verbe. Cela ne vous rappelle t il pas un peu les deux notions du travestissement zoomorphiques, le contrôle sur autrui?
J’en profite pour faire un aparté pour revenir à l’étymologie du mot « contrôle »: il s’agit d’une contraction de contre-rôle qui signifie « se mettre en opposition à l’autre pour rectifier ces erreurs ». Si l’homme investit par l’animal perd le contrôle, n’est ce pas parce que l’animal n’a pas su rectifier la part trop humaine et que l’humain n’a su rectifier la part trop animale? Question à 100 points sur les notions de Yin et de Yang… Pour en revenir au prima puceau, son rôle a été dès le début de pérenniser la primauté de l’homme sur la bête. Finalement, le loup garou nait du même travers que le vampire: ce dernier nait des passions refoulés tandis que le loup-garou nait de l’animalité refoulée. Plus tard, au moyen-age, la culture populaire rajoutera des éléments attestant que le loup-garou est maléfique. Par exemple, les inquisiteurs regardaient si le pauvre hère qui finirait au bucher avait un pentacle dans la main. Si c’était le cas, c’était un loup-garou (et qu’importe si certains envoyés de l’église gravaient eux même des pentacles dans les paumes des misérables). Je vais me permette de rester un peu sur le pentacle pour revenir à ses sources. Il est maintenant associé au diable, mais à la base le pentacle représente les cinq éléments ou les cinq états de la matière; terre, ciel, eau, feu, esprit / solide, gazeux, liquide, radiant, éthéré. Afin de se débarrasser de la culture paysanne encore empreinte de sorcellerie, les instances religieuses ont associé tous les éléments comme le pentacle aux forces du mal dans un creuset informe appelé le paganisme. À noter que paganisme signifie en gros: qui vient des campagnes. Par ce simple terme là encore, la culture des campagnes est rabaissée et soumise à la culture citadine considérée comme seule preuve d’érudition.
Une autre raison qui me semble expliquer la crainte du loup-garou est le loup en lui même, plus précisément la structure sociale de sa meute. Chacune est composée d’un alpha dirigeant; de plus la famille est très présente dans cette société où la hiérarchie est fondamentale. Finalement, en étudiant le loup plus précisément que je ne le ferais ici, on s’aperçoit à quel point il ressemble à l’homme. Quel effroi pour l’église! Je dis bien l’église car elle fait partie des acteurs qui ont poussé à la chasse au loups.
Je disais en prélude que le lycanthrope ne représentait pas uniquement le bestialité mais plus généralement la nature mystérieuse. Pour développer ceci, je vais rester encore un peu sur le loup-garou occidental et cet élément essentiel le nimbant aussi bien de mystère que d’effroi: la lune. C’est donc lors de la plein lune qu’il se révèle dit-on. N’est ce pas parce que le lune est le symbole par excellence du mystère, de ces choses qui ont l’air si proches mais dont on ne peut s’approcher? Combien de pouvoir prête-t on à ses différentes phases. À notre époque, ne dit on pas encore que des choses arrivent parce que c’est la pleine lune, alors que l’homme y a déjà mis les pieds? Elle est la seule lumière pour deux qui marchent dans les ténèbres… dans les ténèbres, la lune est la seule chose qui nous guide, cette lune qui de part ses formes et ses couleurs ressemble à un visage nous contemplant. Si les yeux sont les miroirs de l’âme, alors la lune est un miroir géant. Quand l’homme regarde la lune, l’homme voit la magie en lui, il voit la nature en lui, alors se réveille l’animal en lui; la force en lui, la violence en lui, les ténèbres en lui. On peut donc imaginer que c’est la raison pour laquelle l’argent est réputé pour faire du mal au loup-garou. Ne dit on pas qu’il faut combattre le feu par le feu? Alors pour vaincre un enfant de la lune, il faut un morceau de lune. La partie est égale au tout. L’argent ressemble par moment à la lune. Deux choses analogiques sont identiques.
Au sein du monothéisme, les animaux seront vus avec défiance. Le serpent et le loup, nous avons pu voir ici pourquoi ainsi que dans Ophidius Rex. Avec l’infame Malleus Maleficarum, plus communément appelé « le marteau des sorcières », ce sont les chats qui passeront un sale quart d’heure Après tout, si l’homme est le maitre des animaux depuis Adam, l’attitude insoumise et irrévérencieuse du chat devait être insupportable pour les hommes d’église. Je me rends compte d’ailleurs en écrivant ces mots que le chien a échappé à la vindicte populaire. Lors des grandes chasses, ce sont les loups qui ont été décimés alors qu’il semble avec le recul généralement admis que les attaques de troupeaux à l’époque étaient plutôt dues à des chiens sauvages. Question ouvert à laquelle je n’ai pas de réponse car elle me vient à l’instant: est il possible que l’église ait sciemment préféré pourchasser le loup plutôt que son cousin canidé, même s’il était le véritable responsable, plutôt que de jeter un discrédit sur la créature la plus soumise à l’être humain? Je vous laisse y réfléchir pendant que je rajoute à la liste des animaux honnis le corbeau. Celui ci était un animal divin, un animal apportant des augures aux hommes et aux dieux, à l’instar de Hugin (pensée) et Munin (mémoire), les deux corbeaux jonchés sur les épaules d’Odin. Il était également un oiseau chthonien qui guidait les âmes des morts jusqu’à leur repos. Suite à l’épisode du déluge, il est tombé en disgrâce comme étant le traitre auquel on ne peut se fier. Toutefois il a continué à fasciner. Il suffit pour ceci de se rappeler de cette légende rurale qui dit que les corbeaux se réunissent pour juger l’un des leurs. Je terminerai ce bestiaire en parlant du scorpion. Bon, d’accord il fait peur pour des raisons évidentes, mais c’est une créatures qui entourée de flammes se pique avec son propre dard: il se suicide, comme le ferait un être humain… Un soir, un ami biologiste nous fit un exposé sur les scorpions et conclut en nous apprenant que d’après les scientifiques c’était la bestiole ayant le plus de chance d’acquérir une conscience semblable à celle de l’être humain. Silence dans l’assemblée avinée. Silence brisé par nous tous disant en cœur et sans nous concerter: « ouais non c’est pas la peine » Passons sur cette mauvaise nouvelle pour reprendre la liste non exhaustive des animaux mal vus par le monothéisme en général et le christianisme en particulier:
_le serpent qui fascine et représente la puissance et la connaissance
_Le chat qui montre à l’homme à chaque instant qu’il n’est rien. La nuit tous les chats sont gris pour nous, mais le chat lui, voit à travers les ténèbres, il voit ce que nous percevons à peine.
_le loup à la meute si semblable à la structure humaine, ce loup loup qui ressemble au chien servile mais qui lui, refuse de nous être soumis.
_le corbeau qui guidait les âmes de morts, le corbeau qui semble à chaque fois attendre notre dernier souffle.
_ le scorpion, dont la mort est la seconde nature au point qu’il se l’inflige
Leurs points communs? Vous l’avez déjà compris. Ils nous montrent à quel point l’humain est faible, à quel point il s’accroche à son intelligence, son seul orgueil, mais à quel point il ne sait rien et ne voit rien. À force de vouloir brider sa nature dans une démarche que certains qualifieraient de cartésienne (ce qui est erroné car Descartes n’a jamais été cartésien au sens où on l’entend), l’homme ne fait que développe sa craint de ce qui échappe à son contrôle. Il peut nommer grâce aux verbes, mais certaines choses lui échapperont toujours. La crainte du loup-garou, non, le fait de le percevoir d’une manière violent n’est qu’un syndrome du contre-coup pour celui qui tente de brider sa nature. Je reprends l’image de la cocotte minute déjà employé dans Le fantasme de Renfield car elle est la plus parlante.
Quittons donc à présent le monde occidental et voyageons un peu vers l’Égypte des pharaons. Autant l’occident faisait des animaux des démons, autant les cultes égyptiens en faisaient des dieux. Nul crainte de la bête et de l’obscur savoir qui nous est inaccessible. Si nous n’y avons pas accès alors c’est divin, tout simplement. En Europe les chats étaient brulés, la bas ils étaient honorés. Ils seront au moyen age des suppôts de Satan, ils étaient dans l’Égypte antique des incarnations de Bastet. Cette adoration n’a pas du améliorer leurs sort auprès des inquisiteurs… Vous le savez déjà, il n’y a pas qu’en Égypte que les dieux avaient des têtes d’animaux. Il n’y a finalement que dans l’Europe orgueilleuse que le dieu était homme puis avec le monothéisme que l’homme était fait à l’image de l’homme.
Je terminerai en m’arrêtant un peu au japon où les animaux ont un rôle intéressant. Ils sont sages mais peuvent être cruels à l’image du tanuki (le blaireau) le kitsune (le renard) et le neko (le chat). Les trois sont connus pour apporter la bonne fortune, surtout le neko dont on caresse la tête des statues à son effigie. Les tanuki et les kitsune, eux, se déguisent en humain pour apprendre d’eux ou se moquer d’eux, mais gare à celui qui les contrarie! En tout cas , la mythologie japonaise, et plus généralement la mythologie asiatique, est remplie de créatures se changeant en humain pour se mélanger à nous, voire pour avoir des enfants avec nous. Quoiqu’il en soit, que se soit dans le bouddhisme, le confucianisme ou le shintoïsme, l’animal en tant que représentant de la nature est honoré et non craint. Finalement on y trouve moins une notion d’homme-bête que de bête-homme.
Une anecdote et je vous lasse vaquer à vos occupations: la mère d’une personne que j’ai connue me fascinait. Elle avait quelque chose de froid mais d’attentionné. À vrai dire, face à elle je me sentais comme devant une louve. Je n’en ai jamais parlé à son fils, mais il m’a raconté un jour une drôle d’histoire: ses grands parentes étaient résistants pendant sa seconde guerre mondiale. L’un de ceux qu’ils avaient sauvé, pour les remercier, à offert à la famille une louve blanche. Lorsque la mère de mon ami est né, la louve s’occupait d’elle. C’est même elle qui lui a appris à marcher alors qu’elle gambadait à quatre pattes comme tous les bébés. Délicatement avec ses crocs, elle l’attrapait par le col et l’obligeait à se mettre debout. Je me suis toujours demandé alors si c’est à cause de cela qu’elle avait ses traits lupins si fascinant.
En tout cas, ce que je retiens de ma réflexion, c’est que les choses iraient beaucoup mieux si, pour éviter de succomber à la bestialité, l’homme de rappelait de son animalité. Voici la morale de mon histoire. Rappelons nous de ce que nous sommes sera la morale du triptyque Kimaera Universalis.
Je vous remercie d’avoir lu patiemment et j’espère que ces exposés vous auront intéressés.
Bien évidement, vous êtes conviés au café des liches pour poursuivre cette discussion autour d’un godet.
Chevauchons le tigre
Domptons le dragon
Le Révérend
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