Premier verset : Palindrome
La vérité m’est apparue dans un battement d’ailes.
Ses plumes m’ont lacéré avec tendresse tandis que les sanglots de mon épouse brisaient cette soudaine harmonie. La sentence de mon estimé confrère était sans appel. La seule variable encore inconnue était la durée de ma survie. Je regardais par la fenêtre du cabinet et ne voyais que les arbres lentement bercés par le vent. Elle pleurait ; j’étais serein. Lui restait silencieux tandis que mon esprit accédait à la plénitude du vide. J’ai pris la main de mon épouse ; elle s’y est agrippée en me regardant longuement. Son regard était empli de cette détresse qui m’avait quitté. Elle me murmurait des mots d’amour inaudibles. Mon collègue et ami, issu de la même promotion que moi, bouchonnait et dé-bouchonnait nerveusement son stylo en suivant un rythme parfaitement régulier. Il avait conservé cette habitude acquise sur les bancs de la faculté de médecine tandis que je l’aidais à comprendre les cours. Je m’amuse qu’une personne que j’ai presque formé m’annonce ceci. J’ai souri pour leur rappeler que je n’étais pas encore mort. Ils ne me l’ont pas rendu de suite mais ont compris. Je le remercie et nous partons. Il était temps de prévenir mes proches.
Depuis plusieurs mois déjà, j’avais mis un point d’honneur à mettre toutes mes affaires à jour. Il était hors de question que ma femme et mes enfants soient dans le besoin. Ne pouvant continuer à exercer, j’ai passé l’après-midi à répartir mes patients auprès de mes collègues afin de m’assurer d’une bonne prise en charge. Je me suis rendu compte que j’avais prévu ma mort mais qu’à aucun moment je n’avais prévu que j’allais mourir. La mémoire est sélective. À vrai dire, je connaissais déjà le diagnostique, ce n’était pas une surprise ; j’ai pu ainsi réagir assez vite.
J’avais convié ce soir ma famille en espérant toutefois leur annoncer une bonne nouvelle. Ils savaient que j’avais quelques soucis de santé, mais je ne voulais rien dire avant d’avoir une absolue certitude. Ma plus jeune fille m’a demandé en arrivant si ça allait ; j’ai éludé sa question. Je préférais attendre que tous soient réunis. Tout en leur servant les cailles farcies, et non sans m’être assuré que tous aient profité du vin choisi, je leur dis qu’ils auront un couvert de moins pour les fêtes. Ma femme détaille la bête dans son assiette en reniflant tandis que ma fille hébétée regarde tout le monde. Mon Aînée s’emporte et renverse son verre. Son bébé se met à pleurer. Mon gendre le prend dans ses bras et l’emporte dans la chambre pour que nous puissions discuter au calme. Je suis rassuré de la savoir avec lui : c’est quelqu’un de bien qui saura s’occuper d’elle quand je ne serai plus là. En attendant ce moment, je compte bien profiter de mon petit-fils. Quatorze gouttes du vin renversé sont tombées au sol avant qu’une personne ne se décide à briser le silence ; moi. Je leur promets solennellement que plus jamais je ne ferai de cailles aussi sèches. Elles éclatent de rire et cette crise soudaine se prolonge. Il y a bien des larmes, certes, mais je n’ai aucun regret. Les questions fusent ; j’y réponds au mieux. La famille partie et étant rassuré sur leur sort, je rejoins ma femme et nous faisons tous les deux la vaisselle en silence.
Je sais ce qui m’attend. En pleine nuit je prends la voiture et me dirige vers la maison de mes parents. J’ai grandi dans cet ancien corps de ferme. Je me suis souvenu d’un arbre sous lequel j’aimais lire, jouer ou m’endormir enfant. Je prenais le petit chemin de terre partant de la maison et menant vers la colline. Mon arbre s’y trouvait et m’attendait comme aujourd’hui. Avant ma naissance, mes parents avaient entendu parler d’une tradition dans certains pays d’Afrique où le placenta du nourrisson était planté sous un arbre. Ce dernier grandissait en même temps que l’enfant . Ma vie est liée à cet arbre. J’arrive avant l’aube dans cette maison que je me suis toujours refusé à vendre. Rien n’a changé, les meubles bâchés attendent simplement d’être à nouveau entourés de rires. Elle restera à jamais la demeure familiale. Je me promène et me remémore. Par la fenêtre de la cuisine, je vois le petit chemin. Je m’appuie sur le bord de la fenêtre comme ma mère le faisait en m’appelant pour que je vienne manger. Je me décide à emprunter ce sentier silencieux. Dans l’herbe, une luciole s’éteint. Je lui souris car je pars la rejoindre. J’arrive enfin et salue mon jumeau végétal. Il est grand, fort, touffu, majestueux. Il a toujours trôné seul, écrasant les alentours de sa présence bienveillante ; mais moi je me suis toujours senti protégé par lui. Il ne me fera jamais de mal. Je l’enlace, le caresse. Je m’assois sous ses branches et m’adosse à lui. Les premiers rayons de soleil ne tardent pas à poindre. Je sors de ma mallette ce qui m’aidera à finir sans douleur. Je me fais l’injection létale. Je ne ressens plus rien. Je laisse le soleil m’éclairer. Un corbeau se pose devant moi. Tu as faim ? Alors sers-toi. Par contre je te préviens, ma viande est faisandée. Il commence à fouiller mes chairs avec son bec. Il brise mes os et dévore ma moelle malade. Il ingurgite la cause de mes souffrances. Délivre-moi ce ce fardeau, apporte-le à ton maître. Quelle que soit ma vie, il y a quelque chose en moi de fondamentalement pourri. La douleur devient insupportable. Le repos salvateur devient un cauchemar ! Laisse-moi encore un instant ! Je ne veux pas mourir ainsi ! Va t-en ! Tout n’est qu’obscurité ! Je ne veux pas être comme ce vieil arbre aux formes obscènes ! Depuis longtemps il n’est qu’une souche morte n’ayant jamais donné de fruits ! Il me terrifie maintenant comme il me terrifiait les nuits d’hiver ! Seul un esprit pervers à pu accoucher de ses formes tordues ! Les animaux même le fuient ! Je n’y trouve que le désespoir ! Je me suis écorché les mains en arpentant ce chemin maudit jonchés de ronces et de chardons. La maison familiale pue, elle est cet éternel cloaque infâme dont je n’ai pu me débarrasser. Des squatters ont fini par s’y terrer, laissant partout leurs défécations, bouffe pourrie, cadavres d’alcools frelatés et l’entêtante odeur du toxico en manque. À croire que c’est le seul endroit où je suis digne de revenir : une maison que j’ai fui très tôt. Je pars mais personne ne me retient ni ne m’attend.
J’avais enfin accepté de signer les papiers du divorce. Cette traînée est enfin débarrassée de moi. De toute façon mes filles ne me parlent plus. J’ai quand même appelée mon aînée pour lui annoncer que j’allais mourir. Je tombe sur sa « femme ». Elle m’a toujours dégoûté mais j’ai pris sur moi. Elle m’a passé ma fille dans un silence plein de menaces. Elle a pris le combiné. Je lui ai dit que j’allais mourir que j’avais mal, que c’était injuste, que j’aimerais revoir tout le monde comme avant, que la douleur était insupportable, que son fils avait le droit de connaître son grand-père. Elle a raccroché lentement sans dire un mot, avec la paresse d’une page qui se tourne. Je n’ai même pas essayé d’appeler sa sœur. Elle m’a clairement fait comprendre qu’elle ne me pardonnerait jamais.
Cet après-midi j’ai prévenu mon responsable que je serais absent et que j’aurais sûrement besoin de m’arrêter un certain temps. Avant que je ne puisse lui expliquer, il me dit « qu’il en a marre de moi et qu’il va me remplacer et que d’ailleurs la lettre de licenciement est déjà partie ». je n’insiste pas.
Ce matin, dans le cabinet, je me suis demandé ce que je foutais là. J’ai toujours haï ce mec, mais c’était un bon médecin. Je l’ai connu au lycée. À, l’époque, il n’avait pas cherché à me cacher sa surprise tandis qu’il apprenait que je m’inscrivais aussi en médecine. Il avait baragouiné les phrases convenues du type « tu es sur ? », « ce n’est pas évident ». Lorsque j’ai baissé les bras en première année pour finalement me diriger à vie vers un emploi alimentaire, il m’a regardé avec la même pitié qu’en m’annonçant mon cancer des os. Il n’a pas cessé de jouer avec son stylo avec impatience, attendant d’être débarrassé de ma présence. Je m’ agrippais au fauteuil. Pendant qu’il restait dehors et cherchait une excuse pour ne pas me voir, j’observais par la fenêtre un corbeau qui me regardait. C’est à ce moment là que la vérité m’est apparue dans un battement d’ailes.
LE DIEU PÉCHEUR
Ainsi donc mes corbeaux vous voici de retour, chargés d’histoire à me transmettre ;
mais laquelle saura me faire trouver le repos ?
Pose-toi sur mon épaule et raconte moi tout ce que tu as vu.
Soulage mes maux car je ne connais que la souffrance. Seule la vérité sur l’homme saura m’en libérer.
Hélas, l’histoire que tu m’apportes est belle mais ne suffit pas à rassasier ma plaie.
Et toi ? Pose-toi sur mon autre épaule.
Que tiens tu dans ton bec ? De la chair ? Tu veux que me nourrisse de ce que tu as prélevé sur un moribond ?
Alors fais couler dans la gorge ce nectar que j’apprenne à travers lui son histoire.
Ainsi ma douleur s’apaise ! La chair nourrit mon âme ! Sa douleurs et ses espoirs sont miens ! Je revis sa mort ! Apportez m’en plus !
Parcourez le monde mes corbeaux !
Rapportez-moi ce qui fait que l’homme est ce qu’il est !
Ô mes corbeaux, collectez les chairs de ceux qui vont mourir !
Apportez moi leurs vies afin que je sache comment mourir !
Offrez-moi leurs agonies afin que je vive enfin !
Je veux connaître la fin de chaque histoire afin rencontrer la mienne.
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