Les gardiens du tombeau : vivre à Saint-Denis
Préface en finesse:
Wesh ! Spécial Cacedédi à la Mifa et aux potos du 9.3 ! Bien ou bien ?! Ok j’arrête, je le fais très mal. Bref, je vis dans ce lieu communément appelé le 9.3 et plus précisement à Saint-Denis . Depuis longtemps j’ai envie d’écrire un article au sujet de cette ville. Je sens que déjà à la seule évocation de ce nom vous vous êtes faits de grosses frayeurs en pensant aux images très médiatiques. Rassurez-vous, c’est parfois pire que vous ne le pensez.
Depuis longtemps j’ai envie d’écrire un article sur Saint-Denis car je suis tombé amoureux de cette ville en y emménageant mais à chaque fois j’ai reculé. Manque de temps par moment, procrastination profonde souvent et un dégout fondamental régulièrement. Je hais cette ville autant que je l’ai aimé. Il n’est pas inconvenant de penser que je me décide enfin à prendre ma plume numérique soit pour cracher mon venin soit parce que je me suis réconcilié avec cette ville : aucune de ces raisons et les deux à la fois. J’écris à présent parce que je suis au summum du rejet, parce que cette endroit me détruit petit à petit au point que j’ai l’impression d’y perdre mon âme mais pourtant… elle est si belle ma ville. Je crois que c’est dans les pires moments qu’on peut faire ressortir le meilleur. Mon dieu, j’ai l’impression de parler comme un doloriste…
Avoir des gens défoncées au crack dans ma rue, dont certaines se prostituent en plein jour me déplaît. Voir un vieux papy blédard acheter sa dose à un dealer me déplaît. Qu’il y ait régulièrement des embrouilles me déplaît. Finir par se demander en pleine nuit si ce qu’on entend dehors ce sont des feux d’artifices, l’orage ou des coups de feux me déplaît. Qu’il n’y ait une très faible mixité me déplaît. L’aspect ghetto où les gens finissent par avoir des comportements ineptes parce qu’ils ne sont pas mélangés aux autres me déplaît. La crasse dans les rues me déplaît. Les zélotes servant de référence toute religion confondue, seule la connerie est égalitaire, me déplaît ; j’ai faille abandonner mon titre de Révérend à cause de cela. Ne pas pouvoir assumer mon couple librement parce que je vis avec un autre homme me déplaît ; je ne fais pas d’illusion sur ceux que je côtoie régulièrement , je me doute que pour eux je suis malgré tout un pervers qui mérite l’enfer (on me l’a d’ailleurs dit franchement). Que mon petit copain ait galéré pour trouver du boulot parce qu’il vient du 9.3 me déplaît (et oui, même s’il est blanc avec un nom bien français) Ne pas pouvoir prendre de taxi tard le soir parce que je sais qu’aucun n’ira jusque dans ce lieu sulfureux me déplaît. Rentrer avec le dernier RER et ne voir aucun blanc, en tant que noir immigré avec une carte de séjour mais néanmoins citoyen, ça me déplaît ; où est le contrat social ? Perdre lentement ma compassion me déplaît. Ne pas pouvoir sortir en pleine nuit pour prendre l’air et contempler la lune me déplaît. Ce que les pouvoirs publiques ont fait de cette ville me déplaît. La façon dont les gens parlent de Saint-Denis sans jamais y avoir mis les pieds m déplaît. Oui ce dernier point me déplaît parce que Saint-Denis ce n’est pas que ça.
La première fois que je suis venu c’était pour visiter notre futur studio. Nous sommes arrivés par le métro saint-Denis Basilique. En sortant on tombe d’abord sur des commerces en tout genre et le cinéma. Au bout de quelques pas on découvre la vieille mairie communiste, un sublime bâtiment chargé d’histoire. En face, la basilique où sont enterrés tous les rois de France. Une place qui semble immense s’offre aux yeux des visiteurs. On voit des rires, des sourires, des jeunes à casquettes croisant des mamas africaines. En arrivant on n’a pas assez de temps pour compter toutes les nationalités : c’est une force incroyable pour moi qui sortait d’une ville où au collège j’étais le seul noir sur 3000 élèves. On découvre la rue piétonne avec ses boucheries, ses primeurs, ses boutiques de fringues des gens chaleureux et souriants, loin d’être guindées ; c’est un petit village, un authentique quartier populaire. Dans la rue piétonne, un vendeur de barbapapa et de churros est là tous les jours. Ne résistant pas à l’envie j’en prends une. Mon copain et ma belle-sœur font les planqués. Ils me laissent me taper l’affiche en portant cette boule rose mais se servent allègrement. (petite vacherie personnelle pour ma belle-sœur : j’ai beau manger des barbapapa et prendre du bide et des fesses, je n’en garde pas moins mes jambes de danseuse. Na.) Premier contact ; un coup de foudre. Savez-vous comment on appelle les habitants de Saint-Denis ? N’allez pas sur Google…. Je vous laisse réfléchir… On les appelle, on nous appelle les « dionysiens ». Avec le nom de votre site favori (le mien) et avec les thèmes traités, vous imaginez quelle fierté j’ai ressenti à porter ce titre ! Je suis un dionysien ! J’ai continué à visiter le quartier. Chaque pierre poret l’histoire en elle. Au dessus des néons tape-à-l’oeil des kebabs, on voit sur les hauteurs des immeubles de vieilles inscriptions de boutiques de tailleurs ou de maraichers.
L’histoire, une facette indissociable de cette ville, à commencer par cette sublime basilique. J’y reviendrai. Une ancienne collègue qui connaissait bien la ville m’a parlé d’une association à saint-Denis qui fabriquait des objets du moyen-âge non pas en faisant des répliques, mais en utilisant les techniques de l’époque. Ils mettent ensuite les objets en vente. J’ai visité leur boutique. J’ai adoré. Les responsables m’ont expliqué leurs démarches et m’ont également appris qu’elles s’ouvraient aussi à d’autres cultures, le but étant toujours de mettre en avant les méthodes artisanales historiques. Elles m’ont ainsi montré des boucles d’oreilles représentant des roses noires faites à base de pain et de citron. Il s’agit d’une méthode iranienne de mémoire. J’ai également appris que pour une souscription annuelle (de 10 euros je crois) il était possible de s’inscrire à l’association et de participer à des fouilles archéologiques dans le vieux saint-Denis. C’est cette même association qui m’a offert sans le savoir l’un de mes plus beaux moments. Voir le sujet sur Mozart ici : « Si classique en la majeur ») Oh et puis pour la peine je remets du Mozart !
Parlons un peu de la basilique des rois. Mon ami et moi étions dans le syndrome des parisiens qui habitent à côté de la Tour Eiffel : à force de la voir tous les jours, ils n’y vont jamais. Après deux ans dans cette ville, on s’est enfin décidé à la visiter. À vrai dire nous avions déjà essayé une fois mais elle était fermée ce jour là. La deuxième fois qui fut la bonne, un an plus tard, il faisait beau ; j’ai retrouvé cette ambiance des premiers jours que je n’arrivais plus à voir. En arrivant sur la place, nous avons entendu des percussions traditionnelles marocaines et les yulus. De la vieille mairie communistes sont sortis des jeunes mariés marocains. Elle était magnifique avec sa longue robe blanche et lui fier avec son costume trois pièces. Nous avons vu ceci en allant visiter la demeure des rois de France et je me suis dis à ce moment là avec un grand sourire niais « finalement, elle est belle ma ville ». C’est ce que je me dis souvent lorsque je fais le marché au petit matin avant que les rues ne soint bondées de monde. Il y a deux parties dans la basilique : la partie gratuite, la visite du batiment en lui-meme et la crypte qui elle est payante. Pour la première, elle rivalise dans mon cœur avec Notre-Dame de Paris qui pour moi est la véritable représentante de Paris(je n’aime pas la Tour Eiffel) Prendre le temps d’y aller est un plaisir. La plaisir est plus grand encore en visitant la crypte. À la distance ou vous vous tenez de votre ordinateur, nous étions face à la tombe de François 1er, de Berthe aux grands pieds, d’Henri IV etc. Cela va vous sembler idiot, surtout pour un protestant, mais j’ai eu une montée de larmes devant la tombe de Catherine de médicis. C’était une grande reine en dépit du sang sur ses mains. J’ai été touche par le cœur exposé de Louis XVII et j’ai eu de la compassion pour Louis XVI et Marie-Antoinette.
Voici ce qui fait la force et la fierté de Saint-Denis : là où se trouvent la mémoire française, vivent les nouvelles générations de français. C’est une fierté, c’est un honneur, nous sommes les gardiens du tombeau. Passé, présent et futur sont là. Bruno Gollnisch était venu il y a quelques temps à Saint-Denis. Il voulait en faire un symbole de l’invasion et de la France encerclée. Ma vision est totalement opposée. Cette ville est amenée à devenir un phare, un espoir pour la refondation du contrat social. Pour l’instant, ce n’est pas gagné, mais je crois en l’avenir et en une réconciliation nationale au delà des clivages et du temps.
Laissons de côté l’imagerie classique de la culture TF1/Le Figaro. Quand on prend la peine de ne pas s’enfermer, on réalise que c’est une ville où il peut faire bon vivre. C’était encore le cas il y a quelques années en tout cas. J’adore discuter avec les vieux dionysiens car ils parlent avec affection de cette endroit même si beaucoup on finit par partir. J’adorais discuter avec ce libraire au coin de ma rue qui a toujours vécu là, qui refuse de moderniser sa boutique pour faire plus « d’jeun’s », qui engueulent les gosses lorsqu’il les voit traverser la route en courant et en leur disant : « je ne te vends des bonbons que si tu fais attention en traversant » ou encore « pas de mots grossiers sinon je ne te vends rien ». Je dis que « j’adorais » parce que je n’y vais plus pour une raison simple : quand j’allais acheter le matin mon « Canard enchainé » ou « Courrier international » j’adorais l’entendre parler de l’histoire de cette ville. Immanquablement je prenais le risque d’arriver en retard au travail (pas que mon boulot mérite que je sois à l’heure mais bon…) J’avais un jour rencontré une dame en faisant les courses. Elle avait grandi à saint-Denis puis avait suivi ses parents lorsqu’ils sont partis en Provence. Dès qu’elle a pu elle est revenue. Elle m’a fait visité cette ville , m’a raconté son histoire. Elle m’a parlé du parc de la légion d’honneur qui avait été entièrement rénové par exemple en abaissant la taille des haies pour que les gens ne puissent pas se planquer. Elle était émue en me disant la joie qu’avaeint ressenties les familles qui pouvaient de nouveau de promener tranquillement. Elle m’a expliqué comment les rues piétonnes ont été réalisées pour faire du coin de la basilique un petit village. Elle m’a montré ces fleurs plantées par les habitants dans une des rues. Ils étaient régulièrement saccagés, mais avec force et pugnacité les gens replantaient. Il est agréable de s’y trimabller en faisant les boutiques. C’est tout de même une ville où la mairie a mis en place « un conseil consultatif des étrangers » ! À défaut de pouvoir voter aux éléctions locales (vieille promesse sous Roccard) les étrangers ont au moins le droit de s’exprimer ! Vous qui me lisez et avez le droit de vote (et parfois le gâchez) vous n’imaginez pas l’importance de ceci. Petite confession entre nous : j’ai les larmes aux yeux en y repensant. Depuis la situation s’est dégradée. Même moi qui ne suis là que depuis 3 ans je le vois. La misère s’est déplacée. Il y a plus de vingt ans, les défoncés au crack étaient à Chatelet les halles. Je tiens à rappeler que ce coin était le coupe-gorge historique de Paris. Il ne faisait pas bon s’y ballader la nuit (voir tous les romans du 19ème siècles). Puis les rénovations de quartiers ont déplacé le misère dans le 18ème arrondissment. Ce dernier a été également rénové. Maintenant les crackers sont ici. Ils seront de nouveau déplacés lorsque la ville sera désenclavée. Je vais être horriblement cynique : Les parisiens achètent de plus en plus en banlieue à cause des prix scandaleux de l’immobilier. De plus en plus se tournent vers le 93 ou le 95. L’apport d’argent va améliorer la ville en repoussant la misère ailleurs… Je sais, ce discours est horrible. On ne fait que déplacer la poussière pour la mettre sous le paillasson du voisin. Je déteste cette idée.
Ce que je n’ai pas dit, c’est que malgré tous les points négatifs que j’ai soulevé, cette villes est bourrée de braves gens. Un jour, les vendeurs à la sauvette de jouets, de « maïsso » , de ceintures ou autres produits de contre-façon on vu les policiers au dernier moment. Certains sont parties en laisant tout en place. Des mamas ont commencé à se jeter sur le butin inattendue. Elles se sont faites engueulés par les darrons de passage et toutes ont fini par laisser par terre les objets du délit. Lorsque qu’un « jeune » (sic) commence à saouler son monde dans les transports, dans la rue ou les boutiques, il y a toujours une mama pour le remettre à sa place. Gare à eux s’ils bronchent ! Les anciens ont une place importante dans la ville. Ils ne sont pas toujours écouté mais ils sont là. Parfois, quand je vois ceux de ma génération agir, je me dis que j’ai honte et que je ne m’excuserais jamais assez devant mes ancêtres. Ils se sont battus pour que nous ayons une meilleure vie, et quelques kékés imbéciles mettent tous leurs efforts à bas avec leur comportement. Il y a beaucoup de choses que je critique (sans dèc ?) et j’ai parlé du manque de mixité. Il ya plus de 70 nationalité présentes dans cette ville. Je ne le dirais jamais assez, c’est une force. Par contre je suis navré lorsque parfois je me rends compte que les noirs trainent avec les noirs, que les arabes trainent avec les arabes, les asiatiques avec les asitaiques, les polonais avec les polonais. Ça me navre… non… ça me fout la haine ! (tentative de kangage d’jeun’s inside) J’ai rêvé toute mon enfance de la mixité à force de vivre en minorité et là j’ai l’impression de me retrouver face à un mur.J’ai un couple de héros dont le souvenir m’a toujours porté : mon oncle et ma tante. Lui ; noir togolais. Elle, blanche issue de la bourgeoisie française. Ils se ont mariés au début des années soixante. Vous imaginez bien que ce n’était pas simple. Toutefois ils se sont battus et ont eu trois beaux enfants. Certes moins beaux que mes frères et moi… surtout que moi… je pense très souvent à eux et si je devais dédier de façon mélodramatique ce sujet et mes espoirs c’est à eux. Il n’est pas étrange que ce sujet prenne place dans ce Café dédié à l’art. Le syncrétisme, la mixité, ce sont pour moi des composantes essentielles d’un idéal esthétique. J’ai toujours vécu dans la diversité, même si souvent c’était moi ladite diversité, et c’est ce qui m’a construit. Saint-Denis est un nœud où les époques et les lieux se rencontrent. De ceci il ne pourra sortir que le meilleur. Le temps fera son œuvre et nous pourrons dire avec une fierté rerouvée : je suis un dionysien, un gradien du tombeau !
Pour conclure, si vous avez des plans d’appartement entre Vincennes et sur la ligne A du RER dans cette direction, je suis preneur. Quoi ? Y’a marqué révérend, pas mère Thérésa…
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