L'art érotique de l'écriture
J’écris très mal, et seul un Champollion moderne serait capable de décrypter mes hiéroglyphes que moi même j’ai parfois du mal à relire. La chose est dite.
J’aime pourtant les belles écritures soignées, les lettres bien formées qui au delà de la sentation de lire de belles choses, me font ressentir l’exigence face à l’infini remplissage de grands puis de petits carreaux. Déjà, à l’époque de ma scolarité, mon côté négligeant et chaotique se révélait.
J’ai une pensée particulière pour la calligraphie japonaise, art subtil, parangon du trait impérieux où le moindre millimètre révèle autant de l’intention de son auteur que le mot en lui même. J’y vois, peut être de façon trop fantasmagorique, une maitrise totale du corps et de l’esprit. Pour moi qui ne maitrise rien, cet art ou du moins sa philosophie, est un objectif à atteindre.
Abordons à présent ma problématique, le rapport entre l’érotisme et le processus de création. Non, bande de pervers attirés par un titre aguicheur que certains pourraient qualifier de racoleur: il ne s’agit nullement de vous montrer la nudité du corps mais plutôt celle de la main qui compose. Amateur de la belle noiseuse, veuillez m’excuser pour ce temps que je vous ai fait perdre.
Comme tous, mes premiers mots furent couchés sur papier, scolarité oblige. En dépit de mes piètres qualités esthétiques, j’ai aimé formaliser sur un support physique. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me mettre à l’informatique, la raison principale étant le manque de moyens financiers plus qu’un désintérêt. Depuis, je me rattrape, ce qui surprend d’ailleurs toujours un peu mes plus vieux amis m’imaginant coincé au 19ème siècle. Cela m’a d’ailleurs valu le surnom de « Nosferatu geek » par un ami de maternelle. Toutefois, j’avoue encore éprouver quelques difficultés au fait d’écrire sur n ordinateur. Je ressens surtout cela en me relisant, rougissant des formulations et des horripilantes fautes d’orthographe. Les premières années, j’écrivais tout dans des cahiers et seulement une fois le texte achevé, je recopiais tout laborieusement informatiquement. Je me fais à présent violence pour gagner du temps et maitriser enfin cet outil.
Voici donc pourquoi je me permets de parler d’érotisme et de processus de création. Si en écrivant directement sur ordinateur je gagne du temps, je perds autre chose: l’exigence. Que ce soit directement en ligne, sur Word ou autre solution de rédaction, un correcteur orthographique est disponible pour pallier à nos carences. Combien de fois ai-je écrit rapidement en sachant que j’omets des lettres ou des accords fondamentaux. Rien de grave, je fais clic+droit et hop! Ni vu ni connu, le mot est corrigé. C’est pratique mais aussi nuisible dans un processus littéraire. Chaque mot à un sens, une vie, une histoire, et je n’accepte plus de les trahir ainsi. En les faisant souffrir de cette manière, c’est moi même que je trahis. Écrire, composer, c’est visualiser des concepts forts. Comment pourrais-je visualiser un contexte si une partie de mon cortex confie le soin à un cerveau électronique de prendre en charge la moitié de mes idées? Pour être plus précis, et d’aucun dirait plus tatillon, la forme même des mots, le fait de les tracer est important. Prenons l’exemple de l’éléphant. De par les lettres qui le composent, on visualise l’animal, sa force et sa grandeur comme dans une sorte de géographie du verbe. Comme le « L » inspire sa longue trompe s’enroulant (rien de pervers dedans bande de dépravés). le « P » nous permet de voir ses longues et lourdes pattes; le « H », une autre lettre haute insiste sur la grandeur de la bête; le « T » final, symbole puissant d’un animal robuste qui avance sans dévier, avec sagesse. Les mots sont sacrés, et ne serait-ce que pour celui-ci, je m’opposerai toujours à toute réforme de l’orthographe sui, pour mon esprit sentencieux, ne viserait qu’à vider les mots de leurs substances en les simplifiant d’une façon vulgaire. Ne nions pas l’histoire: ce sont les mots qui nous l’apprennent.
Je vais rester encore un peu sur le dispositif psychologique (je vous imagine déjà faire défiler la page pour voir s’il en reste encore beaucoup à lire) Sur ordinateur, de simples couper/copier/coller/effacer permettent de changer la structure d’un texte. Tel chapitre serait mieux à tel place? Ctrl+x pour couper, ctrl+v pour coller; c’est fait. Par écrit, le manque d’anticipation et e structuralisme a plus de conséquences: tout réécrire pour retrouver une logique, ou même prendre des ciseaux pour un couper/coller physique. Cette dernière manière me semble plus intéressante et me fait penser à un peintre ou un sculpteur, le papier et le crayon étant la matière noble de la création. Comme ces artistes, on possède alors la matière, et avec nos idées, nos corps entiers parlent à travers nos doigts. C’est donc ce qui m’amène à la dernière partie (j’entends déjà vos soupirs de soulagement)
Vos l’avez compris, il y a moi pour moi un rapport érotique dans l’exercice de l’écriture. Que vous soyez sur un petit nuage ou fou furieux, vos lettres ne seront pas formés de la même manière. Une écriture numérique est plus impersonnelle. Si les mots continuent de nous appartenir, leur forme devient abstraite. Avec un crayon, c’est à nous et à personne d’autre.
Je parlais précédemment de l’orthographe: sur ordinateur, ces fautes me sont invisible, je ne les vois pas; et ne parlons des omissions, de tous ces mots qui sautent pendant que l’on rédige son texte. Sur papier, la mémoire corporelle suit le fil de notre imagination. On sait qu’un mot s’écrit de telle ou telle manière, le corps réagit aux accords qu’il a tant de fois composé. Il suffit certes de taper dans Google pour trouver la bonne orthographe ou la bonne formulation au risque de nous rendre dangereusement feignant. Etrange rapport de désincarnation là où on veut incarner ses idées. L’écriture physique, elle, nous engage entièrement. Notre identité est entièrement dans ce qui est réalisé.
Un autre risque pour les esprits faibles comme le mien est la tentation de la dispersion. Si je cherche une définition ou une confirmation, j’ouvre un dictionnaire. Je fais l’effort suprême de me lever pour aller le chercher, de porter le poids de la connaissance, de l’ouvrir pour y trouver l’objet de ma quête. Je dirais que cet effort titanesque m’aide à m’imprégner de la définition de l’étymologie du mot recherché. Lorsqu’à l’inverse je tape ce mot dans un moteur de recherche, je peux obtenir la même définition plus rapidement, toutefois, mon corps feignant lui ne me pousse pas à l’imprégnation. je me rends compte que j’ai un peu dérivé vers le risque de la légèreté et de l’indolence que je voulais aborder ultérieurement. Reprenons donc sur le risque de la dispersion. Le principe qui fait la force d’internet est celui des hyperliens, de se dire, « tiens ce lien m’intéresse alors que je cliquais dessus? » « Vous voulez en savoir plus? Allez ici ». Ainsi de liens en liens une journée se passe. Certes, il m’est souvent arrivé de faire de même chez moi ou en bibliothèque; de partir d’une chose simple pour arriver je ne sais où en oubliant ce que je voulais faire le matin même. La différence par rapport aux sources d’informations virtuelles est que l’on reste soumis aux limites physiques, géographiques ou temporelles.
Je dois à présent vos dire comment m’est venu l’envie d’écrire ceci. Pour les écrivaillons dans mon genre, chaque instant est une occasion de composer un nouveau chapitre. En marchant, dans les transports, en faisant la queue, j’ai des idées ou ce que je crois être de bons mots pour mes prochaines nouvelles; mais n’ayant rien pour noter, je perds le fil. Je pourrais certes noter sur mon téléphone, ce qui ne serait pas la première fois. Ainsi, le conte « Eternité » fut entièrement écrite par sms (mais pas en langage sms) pour une personne que j’avais passionnément aimé. C’était à une époque où l’on ne parlait pas encore d’écrans tactiles. C’était sur un vieux Nokia aux touches bien solides. J’ai été patient. C’était ce genre de clavier où si on appuyait une fois de trop sur la touche « effacer », c’était tout le texte qui disparaissait. Aucune nostalgie. Sur mon téléphone tactile actuel, je ne pends aucun plaisir à écrire. Je trouve pire que l’altérité avec des touches froides le contact avec un écran sans aspérité. Ainsi, en me demandant si par efficacité afin de ne pas oublier ces mots en moi je devrais investir dans un ordinateur portable ou un de ces tablettes déferlant sur le marché, j’ai tranché: Comme au temps de ma jeunesse, je reprends un vieux cahier et un crayon pour noter selon mon bon plaisir.
Au moment où j’écris, je suis dans les transports en commun avec mon chéri pour fêter mon anniversaire chez ma mère. Je suis là, assis dans les transports, ayant commencé à l’aller et terminant au retour ce sujet pendant que mon conjoint s’endort lentement. Je dois confesser qu’écrire ainsi avec un véritable crayon me fait redécouvrir le plaisir d’écrire. Toutefois, une petite question piège. D’ici une demi-heure je serai chez moi: Laisserais-je encore une fois ma procrastination prendre le dessus et en ce cas, vous ne lirez cet article que dans quelques jours voire plusieurs mois? A ceci je n’ai pas encore la réponse. Seul compte le plaisir que je ressens au contact si familier de la feuille sous mes doigts.
Il me reste un dernier point à aborder; je vais abuser encore un peu de votre temps Rohhhhh!!!! Si!!!!! Rohhhhh!!!! Siiiiii!!!! Vos êtes encore là? Alors c’est parti.
Il serait injuste de parler d’écriture sans parle de son pendant, la lecture. La première fois que j’ai entendu parler des livres électroniques, je les ai pris comme une hérésie inutile. Une fois que j’ai pu tester, notamment via l’application Aldiko sur mon téléphone Androïd, j’ai fini par y voir des avantages non-négligeables. Certes, il y a la perte de contact, le bruit d’une page qui se tourne dans le livre et en nous, l’odeur d’un vieux livre; le plaisir lorsqu’on l’achète d’occasion de lire les annotations de son prédécesseur. Tout ceci, on ne peut le retrouver dans un livre électronique. Toutefois, outre l’aspect pratique consistant à emporter avec soit toute une bibliothèque sans avoir besoin d’une valise, certaines fonctions encore trop marginales pourraient se substituer à ce que l’on perd en passant au format numérique. Par exemple, la recherche dans un dictionnaire est grandement simplifiée, ceux-ci étant inclus. Cliquez sur le nom d’une ville et vos la situerez sur une carte via google maps. Les tableaux, au lieu d’être de simples copies parfois passables, pourrait prendre vie dans les livres d’arts. Mais je me demande tout de même si j’ai vraiment envie de tous ces avantages. Et vous?
Je suis dans le métro et décide de suivre le fil de mes idées (ne vous suicidez pas tout de suite, on y est presque) Je me rends compte, en faisant un petit bilan, qu’il me sera nécessaire de rajouter des illustrations et d’aérer le tout afin de rendre la lecture plus agréable. Décorum. Je glisserai sans doute des liens vers d’autres articles de mon cru ou vers des sites intéressants pour ponctuer mes propos. Sur papier, ceci se gère généralement par des notes de bas de page. Dans ce petit monde virtuel, je peux insérer aisément ceci où je l’entends. Toutefois, cela impliquera de changer certains passage, quitte à modifier la structure et le rythme du texte. Alors de nouveau je m’interroge: Et si au delà des différences décrites entre la création littéraire physique et la création littéraire numérique, il existait une façon d’écrire sur ordinateur, un style littéraire numérique? Et si cela allait, ou avait déjà abouti à un schisme stylistique intergénérationnel? je n’aime pas nos auteurs contemporains, du moins ceux que j’ai pu lire. Sont-ce parce que beaucoup sont des écrivains de la génération internet qu’ils me sont aussi étrangers? Toutes les raisons que j’ai exposées tout au long de cet article m’expliquent elles pourquoi je les trouve aussi creux? Le manque d’altérité érotique dans la formation de leurs mots peut être? Sur l’excellent site Gallica, il est possible de consulter des manuscrits numérisés avec tendresse. On ne peut qu’être ému en voyant des pages ayant résisté au temps en marquées par le sang et les larmes de leurs auteurs. Je doute que dans un siècle, on soit aussi touché par les fichiers Word d’un auteur du 21ème siècle…
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