J'ai demandé à la lune
Indochine, J’ai demandé à la lune
J’ai demandé à la lune
Mais le soleil ne le sait pas
Je lui ai montré mes brûlures
Et la lune s’est moquée de moi
Et comme le ciel n’avait pas fière allure
Et que je ne guérissais pas
Je me suis dit quelle infortune
Et la lune s’est moquée de moi
J’ai demandé à la lune
Si tu voulais encore de moi
Elle m’a dit j’ai pas l’habitude
De m’occuper des cas comme ça
Et toi et moi
On était tellement sûrs
Et on se disait quelques fois
Que c’était juste une aventure
Et que ça ne durerait pas
Je n’ai pas grand chose à te dire
Et pas grand chose pour te faire rire
Car j’imagine toujours le pire
Et le meilleur me fait souffrir
J’ai demandé à la lune
Si tu voulais encore de moi
Elle m’a dit j’ai pas l’habitude
De m’occuper des cas comme ça
Et toi et moi
On était tellement sûrs
Et on se disait quelques fois
Que c’était juste une aventure
Et que ça ne durerait pas
hahaha
Mon commentaire :
J’ai demandé à la lune : à l’orée du chemin qui mène à la révolution copernicienne.
Cette chanson d’Indochine situe le narrateur dans la toute première partie de la préface à La Critique de la Raison Pure de Kant. En effet, nous verrons qu’il s’agit bien d’un sujet désirant connaître, mais ne se situant pas encore dans le champ permettant la connaissance à proprement parler.
I – Le sujet à l’aube de la connaissance s’empêtre dans son immédiateté.
‘J’ai demandé à la lune’ : c’aurait pu être le début de la préface de La critique de la Raison Pure. En effet, Kant commence son œuvre en plaçant son héros (le sujet connaissant) dans la pénombre de la métaphysique. Le sujet n’est pas encore dans la raison, il se tourne donc vers la foi, la croyance, la passion. La lune représente évidemment le contraire du soleil, qui est lui-même la raison. La lune est quelque chose de l’ordre de la foi (invitation poétique).
‘Mais le soleil ne le sait pas’ : notre sujet se tourne vers l’autre de la raison, en se cachant de cette dernière, parce qu’il sait bien quelque part que le soleil s’insurgerait d’une telle démarche. De cela, nous pouvons conclure que rien n’est perdu et qu’au contraire, tout peut commencer !
‘Je lui ai montré mes brûlures’ : référence évidente au corps, qui se situe du côté de la passion et non de la raison. Les brûlures font référence au corps dans son rapport au monde extérieur, et à la douleur qui est lié au positionnement du sujet dans la passion.
‘Et la lune s’est moquée de moi’ : les passions se moquent du sujet qui voudrait entrer dans la connaissance : elles se gaussent, le trompent, l’induisent en erreur, le font souffrir (‘brûlures’).
‘Et comme le ciel n’avait pas fière allure’ : le ciel fait maintenant intervenir l’esthétique, qui provoque l’éblouissement. Le ciel est le lieu de la lune, c’est-à-dire, le lieu des passions, le lieu du corps. Par définition, le ciel ne peut pas avoir fière allure !
‘Et que je ne guérissais pas’ : évidemment, la lune ne peut lui être d’aucune aide puisqu’elle n’est ni médecin, ni raison (seuls ces deux-là pourraient apporter le salut à notre sujet).
‘Je me suis dit quelle infortune’ : le sujet se sent rejeté par la métaphysique (qui se moque de lui, et rit de ses blessures). Mais il semble comprendre que la foi, et les passions ne peuvent lui être d’aucune aide. Mais comme il n’a encore pas accès à la rationalité, il se tourne vers lui-même et se lamente.
‘Et la lune s’est moquée de moi’ : de nouveau, la métaphysique se moque et le sujet comprend qu’il va falloir changer de registre.
II – Le sujet prend conscience de l’altérité véritable : l’émergence de la connaissance du premier genre.
‘J’ai demandé à la lune/Si tu voulais encore de moi’ : nous apprenons enfin le contenu de la demande de notre sujet : l’altérité. Notre sujet montre un désir d’adhérer à quelque chose dont il se sent exclu (quelque chose qui pourrait relever de la connaissance).
‘Elle m’a dit j’ai pas l’habitude/De m’occuper des cas comme ça’ : la métaphysique reconnaît ses propres limites : elle n’a pas l’habitude de faire avec la connaissance et la raison, ce n’est pas son domaine. ‘ça’ : la thématique du sujet connaissant n’a pas de nom pour la métaphysique, c’est juste un ‘ça’. Or, le ‘ça’ relève de l’intuition. L’intuition étant le premier échelon de la connaissance (connaissance du premier genre), nous avons de nouveau l’espoir que notre sujet va enfin parvenir à la connaissance en tant que telle.
‘Et toi et moi’ : tentative annoncée par notre sujet de s’unir à l’autre. Or, l’union de soi et de l’autre, c’est par définition la connaissance (puisque c’est le sujet qui constitue l’objet de la connaissance, donc il est uni à l’altérité pour pouvoir constituer l’objectivité de l’objet).
‘On était tellement sûr’ : la certitude relève de l’intuition (alors que le savoir relève de la connaissance). Dans la connaissance du premier genre, notre sujet est prêt pour entamer le chemin qui le mènera à la révolution copernicienne.
‘Et on se disait quelques fois/Que c’était juste une aventure/Et que ça ne durerait pas’ : l’utilisation de la forme réflexive ‘se dire’ insiste sur l’immédiateté. C’est ‘on’ qui se dit, et non ‘je’. La réflexivité permise par le on reste superficielle, puisque le ‘on’ n’est pas sujet (de connaissance). De plus, cette réflexivité, parce qu’elle est immédiate, n’est pas pure. En effet, une réelle réflexivité exige l’intervention d’un tiers (à la manière du tain des miroirs). Par ailleurs, on achève cette partie sur la notion d’éphémère : ‘quelques fois’, ‘juste’, ‘aventure’, ‘ne durerait pas’. L’éphémère de nouveau nous situe dans l’intuition (puisque l’intuition est liée au corps et à son rapport au monde, c’est-à-dire que les choses sont fonction par exemple du temps, de la sensibilité de chacun…).
III – La route vers le début de la révolution copernicienne
‘Je n’ai pas grand-chose à te dire’ : évidemment, notre sujet n’a rien à dire d’intéressant à la vérité (qui est l’altérité) puisqu’il est dans l’intuition !
‘Et pas grand-chose pour te faire rire’ : le rire est de l’ordre du corps. N’ayant rien à verbaliser de rationnel, le sujet se réfugie dans l’immédiateté du soulagement corporel (au XXIème siècle, on parlerait du rire en termes de montée d’endorphine : le rire est comme une drogue dont on connaît les conséquences sur la rationalité).
‘Car j’imagine toujours le pire’: ‘J’imagine’ : le sujet le dit, il est dans l’imagination, et non dans la connaissance, c’est pour cela qu’il n’a rien à dire ! ‘Toujours’ fait écho à l’éphémère étudié plus haut, et fait référence au désir du sujet de toucher la connaissance entant qu’elle est a-temporelle, c’est-à-dire universelle. ‘Le pire’ : pour le sujet qui n’est pas encore dans l’ordre de la connaissance, il s’agit de l’inaccessible. Il n’a toujours pas compris que c’est en cessant d’imaginer qu’il s’éloignera réellement du pire. Imaginer le pire est une redondance.
‘Et le meilleur me fait souffrir’ : notre sujet est dans la loi morale. Plus précisément, il agit par devoir et pas conformément au devoir (nb : la différence entre les deux est ténue, et Kant dit que lorsqu’on hésite entre deux actions sans savoir laquelle nous permettra d’agir par devoir, il faut choisir l’option la moins agréable, car agir pas devoir en général est douloureux). Cependant, comme il ne fait qu’entamer son chemin vers la raison, il ne peut encore pas s’épanouir dans l’action par devoir.
‘Ah, ah, ah’ :
– c’est un cri, on est dans le corporel, dans la connaissance du premier genre, dans l’immédiateté au monde.
– C’est le cri de douleur du sujet qui veut sortir de sa condition (nécessité absolue et premier pas indispensable pour l’accès à la connaissance).
– C’est le cri d’envol du sujet qui va enfin se donner les moyens de son ambition.
Ainsi s’achève la propédeutique du sujet qui va enfin pouvoir s’émanciper : empêtré dans l’immédiateté, il a fait place à la verbalisation du désir de connaissance qui lui permet d’entrer dans la connaissance du premier genre (par l’intuition et l’imagination). L’entrée dans la loi morale lui permettra un accès au chemin qui mène à la révolution copernicienne qui lui permettra d’accéder enfin au savoir.
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