Mangas et homosexualité

Il y a quelques semaines de cela, j’ai regardé un anime sans prétention : « Baki the grappler ». Assez rapidement il m »a fait penser à « Ken le survivant » (Hokuto no ken pour les puristes) Un début mou et totalement absurde jusqu’à ce que les personnages commencent à s’étoffer. On y trouve du pathos et de la bravoure à la pelle et des combats surréalistes, et on se surprend à vouloir connaitre la suite. Ceci est la première couche, pourrais-je dire. L’autre élément qui m’a fait faire immédiatement le lien avec l’autre manga culte est cette question : « Quand est-ce que l »auteur fera son coming-out ? » Je trouve que pour ces deux mangakas (nom donné au créateur de manga) la complaisance quand à la présentation de la chair dépasse largement le strict cadre des arts martiaux et de la philosophie d’un esprit sain dans un corps sain.

Baki the grappler

Pour reprendre un peu la source de cette interrogation: il y a quelques années, j’ai lu un article parlant de « Ken le survivant » et le décrivant comme l’archétype du « fantasme gay sado-maso » (c »était dans le magazine « Okaz » si mes souvenirs sont bons). Il est vrai que l »on peut s’interroger sur la propension à représenter des personnages torses nus, muscles huilés, s »enfonçant des doigts dans tout le corps et mourant dans les bras l’un de l’autre avec un grand sourire (sachant que les femmes semblent plus servir d’alibi qu’autre chose). Un jour que j’étais chez un ami et que nous regardions la suite de cet anime culte, j’ai été pris d »une grande frayeur : lorsque le chef des vilains pas beaux demanda au chasseur de prime beau gosse ce qu’il voulait et que celui-ci désigna les femmes aux alentours, j’ai bondi et ai demandé incrédule à mes deux compères « mon dieu, un personnage hétéro ?! ». Lorsqu’à la question « tu veux les femmes ? » celui-ci répondit « non. Ce qu’elles portent », j »ai été rassuré. Il existe toutefois des personnages hétérosexuels mais ils rencontrent généralement une mort particulièrement cruelle, sale, longue et douloureuse : plus ils sont hétéros plus ils souffrent. Tout ça pour dire que je retrouve un peu le même esprit dans Baki.

ken le survivant (Hokuto no Ken)

Plus sérieusement, l’identité sexuelle est une thématique très forte dans la culture manga. En France nous avons eu des exemples célèbres comme « Lady Oscar » ou « Ranma1/2 ». Dans le premier, ceux qui tombent amoureux du colonel Oscar de Jarjayes aiment autant la femme cachée que l’homme public. André qui la suit quoiqu’il arrive ne fait aucune différence entre les deux. Lorsque Girodel la demande en mariage, c’est le colonel sous les ordres duquel il a servi plus que la femme potentielle qu’il désire. En ce qui concerne « Ranma 1/2 » et bien… je pense qu’il est inutile de détailler l’ensemble des relations, des quiproquos et des ambiguïtés qui finissent par ne plus l’être. Parmi les mangas de notre enfance, si les chevaliers du zodiaque s’avèrent finalement assez asexués, leurs tailles fines et leurs épaules carrés leur donnent un air androgyne. Je voudrais toutefois attirer votre attention sur le personnage d’Ikki, le chevalier phénix : la seule femme dont il fût amoureux et qui a su l’attendrir est, exceptée la couleur des cheveux, le sosie de son frère…

Lady Oscar

Dans des mangas plus actuels, l’homosexualité est également présente, de façon plus ou moins ouverte. Je me moquais dans un sujet précédent des relations entre les personnages de sasuke et naruto de la série « Naruto » ; je les trouve assez emblématiques de cet aspect. En France, on aurait qualifié, à une époque, leur rapport « d’amitiés particulières ». A qui pense chacun d’eux à chaque instant ? A l’autre. Leur premier baiser, c’est ensemble qu’ils le partagent (même s’il faut reconnaitre que c’était accidentel)

Naruto et sasuke

Dans « Bleach », la meilleure amie d’Inoue est manifestement amoureuse d’elle et écarte toutes les autres jeunes filles trop entreprenantes. Dans les séries « X » de Clamp et « Tokyo babylon », les personnages de Subaru et de Seichirô sont un peu les amants maudits officiels et déclarés de la japanimation. Les exemples sont multiples et il faudrait plus d »un sujet pour tous les aborder.

 Subaru et Seichirô

Je parlais donc des personnages de Sasuke et naruto comme assez emblématiques de la représentation de l’homosexualité dans les mangas (n’en déplaisent à certains) mais ils le sont aussi dans leurs traits et leurs caractères à bien des égards. Il existe au japon tout type de mangas pour tous les publics. L’une des grandes familles est celle des « Yaoi », des mangas dont l’histoire tourne autour de relations homosexuelles masculines. Il existe des règles canoniques auxquelles peu d’auteurs dérogent : le couple est généralement composé d »un homme brun, mystérieux, ombrageux et torturé et d’un blond sensible tendance pleurnichard et il faut le dire, franchement neuneu (ça ne vous rappelle personne ?). Ils sont définis par les termes japonais « seme » (dominant) et uke (domine).

Gravitation

07-ghostJe me permets une digression sur ces définitions très différentes des réducteurs et insultants « actif/passif » que l »on retrouve en France. A croire qu’ici les relations se limitent à « je fais tout/je fais l »étoile de mer ». C’est une vision assez étriquée des rapports et qui ne concerne pas uniquement les relations homosexuelles, mais aussi hétérosexuelles. Revenons-en un peu au yaoi : il est intéressant de voir que c »est finalement le public féminin qui s’avère friand de ces histoire d »amour impossible entre deux hommes. On peut trouver aussi des histoires d’amour sapphiques mais dans une moindre importance. Il existe des yaoi célèbres comme « Junjou Romantica » ou « Gravitation ». Toutefois, certains poussent le ridicule à ne pas être des yaoi assumés. Je fais ici référence à une série comme « 07 ghost » où le jeune héros veut protéger à tout prix son « meilleur ami » qui avait l’habitude de venir dormir dans son lit en lui promettant qu’ils seront toujours ensemble ; en tant que « meilleurs amis » bien sur. Je en cache pas qu’au bout de dix épisodes, à entendre toute les cinq secondes « tu sais nous serons toujours amis parce que tu es mon super meilleur ami et que notre amitié sera éternelle », on a envie de leur gueuler de se rouler une pelle afin de passer enfin à la véritable histoire.

Junjou RomanticaAlors plus généralement, pourquoi cette importance dans les histoires, pourquoi ce type de relation ? Déjà, dans le théâtre traditionnel japonais, le nô et le kabuki, les rôles féminins n’étaient tenus que par des hommes. C’était certes le cas en occident, mais vous n’êtes pas sans ignorer que l’empire du soleil levant est (était ?) très attaché à ses traditions. De cette promiscuité dans une troupe et de la fascination du public pour un rôle de femme joué par un homme ne pouvait naitre qu’une attraction pour les êtres du même sexe à mon avis. Autre détail ayant son importance, me semble t-il, est le rôle de la femme au Japon par rapport à celui d’un compagnon d’arme : n’oublions pas qu’il s’agissait d’une société hiérarchisée et portée par le code du bushido incarné par les samouraï. A son compagnon d’arme on doit tout et pour lui on fait tout ; l’honneur et la bravoure étaient tout. Avec qui d’autre alors partagé les honneurs et les plaisirs qu’avec celui avec qui on a combattu dos à dos ? L’épouse à côté de ça ne représente pas grand chose face au frère d »armes et au maître. De nombreuses estampes licencieuses (shunga) montrent les passions de jeunes samouraï et de leurs vieux maitres. En cela on se rapproche du rapport maître/élève dans la Grèce antique. Tout ceci reste toutefois de l’ordre de la supputation personnelle.

Kizuna le lienEn dépit de cette présence et de cette ouverture d’esprit dans le manga, la place de l’homosexualité n’est dans les faits pas spécialement enviable. S’il n’y a pas de mesures pénales à l’encontre des gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels comme dans un certain nombre de pays et comme c’était le cas en France jusqu’en 1982, il y a une forte pression sociale pour se marier, fonder une famille et être un bon citoyen qui se respecte. S’il est permis de côtoyer des bars à hôtesses où officient des travestis, il ne doit s’agir que d »un passage et à aucun moment ce ne doit être un aveu d’une quelconque pulsion homosexuelle (ceci ce rapproche un peu du concept du « mahu » polynésien). Puis-je d’ailleurs vous suggérer un article intéressant du journal « Tetu » à ce sujet ?

Mais peut être est-ce là finalement la raison de cette présence forte de ‘l’homosexualité dans les mangas : ceux-ci servent d »exutoire et de machines à rêve pour une société ou chaque chose est codifiée. Ici, dans ce domaine de ‘l’imaginaire, chacun peut être ce qu’il souhaite sans être jugé pour ce qu’il est.

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