L’écrin des cris (I)
Rituals : s/t (Alerta Antifascista ; Replenish Records / 2012)
Puisqu’il s’agit de mon premier billet ici, je me dois de poser les choses clairement : je ne parlerai quasiment que de sons faisant crépiter vos oreilles et vos nerfs, et uniquement s’ils sont sortis en format vinyle. Non seulement parce que cela fait snob, mais surtout parce que je n’ai plus de vrai lecteur CD… Ainsi, quoi de mieux pour commencer que ce premier album de Rituals, uniquement sorti en vinyle (tout du moins pour l’instant, et néanmoins disponible en téléchargement gratuit et légal : http://replenishrecords.bandcamp.com/album/rituals).
Rituals propose une émancipation nocturne en seulement cinq titres, qui dépassent au total les 40 minutes. Des titres longs mais sans longueurs vaniteuses. Qui prennent le temps de construire des ambiances massives et glaciales. Rituals brille dans la nuit, à l’instar de cette édition limitée en vinyle phosphorescent, qui phagocyte les ombres et les étoiles dans une texture hypnotique et hypnagogique.
Le simple incipit de « Cognitive dissonance » donne le ton par sa lourdeur écrasante ; des percussions funèbres montent progressivement sur une nappe précisément dissonante, laissant l’auditeur comprendre que le nocturne s’est inexorablement installé et qu’il n’est plus question de voir traîner ici et là quelques volutes de crépuscule. Ce sépulcre de ténèbres s’enfonce alors dans la glaise de vos entrailles lorsque la voix déchirée et déchirante de Brandon Garrabrants finit d’écharper quelques reliefs lumineux, en les traînant sur un lead de guitare lancinant, avant que le titre ne s’achève dans une rumeur assourdissante, brandon agonisant dans des oubliettes oubliées. L’atmosphère est posée.
Vient alors « Kubler-Ross Model », qui se joue de l’auditeur avec son introduction d’une douceur assurément languide et presque facétieuse. Quelques notes de guitare en son clair, avec un léger delay, à peine balisées par une cymbale discrète, laissent rapidement entrer une rythmique plus dense, danse plus légère, comme pour reprendre son souffle avant une nouvelle éruption où ces hurlements psychotiques résonnent et déraisonnent.
Inutile de décrire chaque titre, car Rituals construit par la déconstruction, changeant les rythmes et broyant repères et repaires avec une aisance déconcertante. Véritable schizophrène échappé du Times of grace de Neurosis, moins apocalyptique mais plus noir, moins incendiaire mais plus funeste, moins sanglant mais plus nocturne, ce coup d’essai est un coup de maître. Les guitares s’enlacent dans des arabesques tantôt aveuglantes, tantôt lacérées ; basse et batterie intensifient chaque respiration afin que l’air devienne semblable à une geôle âcre et visqueuse. Et puis cette voix de damné, sans cesse à la rupture, qui ne perd pourtant jamais de sa pertinence, préférant à des accalmies suaves une absence pourtant clairsemée de ses tempêtes. Chacune de ses interventions ne fait que resserrer le lysergique étau de la démence autour des derniers germes d’espérance.
Là où les ambiances nocturnes jouent souvent avec la promesse de l’aube, Rituals enferme son propos au plus profond de la nuit, là où les astres sont désastre et ne font que refléter l’opacité des ténèbres, véritables tarières qui forent vos efforts de lucidité et d’enracinement par une douleur térébrante.
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