Alan Moore, Eddie Campbell, From Hell
Alan Moore, Eddie Campbell, From Hell – Une autopsie de Jack l’Éventreur
Delcourt
J’ai décidé un soir où j’avais envie d’un peu de grave légèreté d’ouvrir From Hell. J’aime bien la bande dessinée, c’est une lecture qui m’a toujours semblé plus facile, l’image étant un support relativement enfantin.
Moi, je ne connaissais rien de rien à rien de tout, alors je lis la quatrième de couverture, et je me dis que bon, c’est bien parti. Et puis je regarde un peu la notice biographique de l’auteur, et là, j’apprends qu’il a écrit V pour Vendetta : définitivement, on est bon, c’est l’ambiance qu’il me faut – je précise quand même que je n’ai pas lu V pour Vendetta, mais que j’ai vu le film et que j’ai adoré l’ambiance.
575 pages de bande dessinée, je me dis que c’est l’affaire de deux ou trois soirées. Bien mal m’en a pris : c’est bien la première fois que je lis si lentement une BD !
Le titre est en soi le résumé synthétique de l’œuvre, je pourrais donc m’arrêter là. D’ailleurs, je ne vais pas m’éterniser en fait.
From Hell, c’est l’histoire de Jack l’Éventreur. Mais ce qu’on finit par acquérir comme certitude, c’est que la conviction qu’on s’est construite au fil de sa lecture est mise à mal par la lecture des deux appendices. La première page laisse perplexe. Mais quand on a fini, on comprend tout, absolument tout ! Et cette première page prend tout son sens.
Il s’agit d’une histoire. Et au final, c’est bien ça qui compte. Le fait que cette quête humaine (proprement humaine ajouterais-je) qui nous pousse à vouloir connaître des faits afin de pouvoir saisir, appréhender, et au final contrôler le réel… eh bien, oui, ce n’est qu’une quête, et ce que nous avons à apprendre va bien au-delà des faits.
Quand le réel et son interprétation s’interpénètrent, on finit par créer du mythe. Et dans le mythe, se cache une part de ce que nous sommes. Mais ce n’est pas là ce qui importe. Ce qui importe, c’est ce que tout cela nous révèle. Le dernier appendice est à ce titre absolument magnifique : de la chasse aux mouettes, ce qu’on perçoit, ce sont les traces des chasseurs.
Ce qui peut me fasciner dans la possibilité (et la réalité) des tueurs en série, c’est ce paradoxe auquel ils me confrontent : proprement humains, et absolument inhumains. Qu’est-ce qui se fissure au point de disparaître totalement ? A cette question je n’ai trouvé aucune réponse. Je n’ai suivi qu’un chemin qui m’a amenée aux portes de l’enfer.
Roman historique en images, c’est comme ça que j’aurais envie de cataloguer From Hell. Roman historique au sens où Foucault fait de l’histoire de la philosophie. Recherches, investigations, les sources sont nombreuses et toutes référencées. Mais avant tout Moore adopte un point de vue, moins pour nous donner à voir la réalité, que pour nous amener à penser ce qui est en jeu dans cette réalité. Au cours de cette lecture, j’ai pensé très fort à la philosophie de Foucault qui consiste à démonter les faits pour appréhender les jeux du pouvoir. Derrière le fantasme de l’Éventreur, il y a une réalité, un homme qui ne vivait pas totalement avec ses semblables, des femmes qui sont mortes, des policiers qui se sont confrontés à l’horreur, des voisins qui avaient peur, un journalisme de merde qui commence à naître. Et tout ceci a été pris dans un mouvement que rien ne nous permet d’appréhender clairement. Un mouvement qui existe toujours.
En termes de légèreté, on repassera, mais Moore sait tout de même introduire un humour à tout crin – la rencontre avec Wilde m’a tout simplement enchantée – qui permet de survivre à cette tempête.
On referme From Hell la tête pleine d’interrogations, et plein du désir de le relire encore, pour comprendre différemment à la lumière de ce qu’on a appris. On a envie d’affiner, parce que finalement, c’est ça qui est aiguisé : le désir de penser ce qui fait problème.
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