Alan Moore et Melinda Gebbie, Filles Perdues
Alan Moore et Melinda Gebbie, Filles Perdues
Un jour, j’ai appris que Moore avait écrit un « roman graphique pour adultes ». Moore qui fait de l’érotique, je dois dire, j’étais autant tentée que flipée. Alors j’ai demandé conseil à celui qui m’a fait découvrir l’auteur, et nous avons eu, à peu de choses près, la conversation suivante :
Nous sommes au travail, à l’endroit le plus fréquenté, mais il n’y a personne, si ce n’est une de mes subrdonnées (évidemment!) :
Moi : Hé, dis, Filles Perdues, ça vaut quoi ?
Lui – léger mouvement de panique, et d’évidence ratée : ben oui, ben oui, c’est super, j’aurais du te le passer avant, ça baise bien, toi qui aime le porno, tu vas adorer !
Voilà pour le contexte. Le lendemain à 8h30, je me retrouve, en pleine cour de récréation, au milieu de 450 gamins qui montent en cours, avec en mains un volume sublime de 317 pages. Et je passe la journée à me dire : non, tu ne le feuilletteras pas dans ton bureau, non, tu as du travail, range ça au fond d’un tiroir. Et le soir venu, je me suis délectée.
Moore qui fait de l’érotique, c’était tentant, et ça ne déçoit pas.
C’est un univers sublime, un petit trésor, rangé dans un écrin en or finement ciselé. Melinda Gebbie illustre sans impair le scénario d’un Moore qui explore le méandres du désir. C’est pornographique, parce que rien n’est suggéré, ça baise beaucoup, mais surtout, surtout, c’est plein de désir. Ce qui me fait dire que c’est plus érotique que pornographique. Et parce que c’est plein de désir, c’est sensible, vivant, poétique, psychanalytique, culturel, et j’en passe.
Le projet est alléchant: Alice, Wendy et Dorothy, toutes droit sorties du Pays des Merveilles, de Peter Pan et du Magicien d’Oz. Toutes trois devenues des femmes mûres, un peu « chaudasses »sur les bords. Les petites filles d’hier ont tâté de leur désir et se sont construites avec. Elles se rencontrent, et se racontent. Elles se vivent, ensemble, côte à côte, et se narrent de nouveau. Elles côtoient d’autres désirs, nous prennent par la main pour aller faire cette petite ballade et revenir au milieu de ce cocon qu’elles se créent pour répondre à l’Histoire en marche.
Ce n’est pas la réalisation d’un fantasme salace, c’est une épopée poétique érotique.
Moore et Gebbie nous emmènent ailleurs, au plus profond de nous, à partir ces petites filles que nous avons rencontrées lorsque nous étions enfants. Et tout y passe : de l’Amour à la passade, de la découverte aux expériences, de l’intime à l’obscénité joyeuse… Et l’on se pose mille et une questions. Parce qu’on se retrouve plongé dans ce qu’on est. Et l’on cherche ses propres limites.
Gebbie et Moore ont travaillé ensemble, longtemps, en parfaite osmose à Filles Perdues. Ils ont fini par se marier, comme pour mettre un réel point final. Et cela se voit. Cela se sent. Le mot, l’image, et la couleur sont en parfaite harmonie. Tout est détail, finesse, délicatesse, drôle et sérieux à la fois. Tout est désir, jusque dans le dessin qui sert la narration, la narration qui sert le tableau, le mot qui touche aux corps.
J’ai longtemps eu envie de découvrir la littérature érotique. J’ai fini par aller à la Musardine, la libraire spécialisée de Paris. L’accueil est chaleureux, et le libraire réellement accompagnant. J’ai eu du mal à lui expliquer ce que je voulais parce que je n’y connaissais rien ! Alors il m’a conseillé certaines œuvres, en disant souvent « on s’amuse bien ». C’était cocasse, et décomplexant, mais j’avais envie de lui répondre : je n’ai pas envie de jouer, j’ai envie de qualités littéraires et de désir. J’ai envie d’univers et de poésie érotique. C’est ça, mon amusement.
Quelques mois plus tard, j’ouvrais Filles Perdues, convaincue que de toute façon, je ne m’ennuierai pas. Et pendant quelques jours, j’ai eu le bonheur de lire de la littérature érotique. En images, certes, mais de la littérature. Et intelligente qui plus est. Et érotique, excusez du peu. Moore dit lui-même que Filles Perdues traite de l’imagination sexuelle (cf. le sublime Alan Moore, Une biographie illustrée de Gary Spencer Millidge). C’est bien de ça qu’il s’agit. Et ça donne une foutue envie de s’y plonger !
C’est un volume magnifique pour qui sait s’y promener en prenant son temps. C’est une œuvre de longue haleine, un travail de vrai long terme, qui se lit et se relit sans fin. Une alcôve pleine de soleil.
A ne pas mettre entre toutes les mains. Évidemment, parce qu’on y voit beaucoup de sexe(s).
Mais surtout parce que c’est une œuvre magnifique, sublime. Qui mérite qu’on accepte ce qu’elle provoque, y compris la gêne.
Une œuvre qui exige qu’on accueille ses propres mouvements.
Votre dévouée Vp, qui n’en finit pas d’adorer Moore…
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