Robespierre, l’Incorruptible

Il fait partie de ces révolutionnaires qui n’ont pas de rue à Paris. Lafayette, général coupable de haute trahison en temps de guerre, passé dans les lignes ennemies, coupable d’avoir fait tirer sur le peuple désarmé au Champs de Mars a eu droit à une des plus grandes artères de la capitale. Rendons justice à Robespierre en tant qu’artisan incontournable de l’idée républicaine et démocratique non seulement en France mais pour les révolutionnaires du monde entier.

[toc]Jeunesse[no_toc]

Maximilien Robespierre est né en 1758 à Arras dans une famille issue de cette bourgeoisie qui a donné tant de révolutionnaires. Fils d’un avocat peu fortuné et orphelin de bonne heure Robespierre attira l’attention par sa grande application aux études. L’abbaye de Saint-Vaast lui accorda ainsi une modeste bourse pour gagner le collège Louis-le-Grand à Paris où il fit la connaissance de Camille Desmoulins. Rare témoin de ces années d’adolescence, il ne put que décrire sa solitude et sa grande passion pour le travail. Solitude accentuée par la grande pauvreté dans laquelle vivait Robespierre. Il était souvent dans un dénuement tel qu’il était dans l’incapacité de sortir, n’ayant plus de quoi se vêtir. Ce qui l’exclut d’autant plus de ses condisciples aisés ou de famille de noblesse. Un de ses professeurs le surnomma « le Romain », autant pour son silence austère que pour sa grande passion pour l’Histoire romaine qui fut une inspiration métaphorique tout au long de sa vie.

Plus que Plutarque ce sont les philosophes qui furent l’objet de son plus grand intérêt, Montesquieu, Condillac, Mably, et, bien entendu Jean-Jacques Rousseau. Et cette rencontre avec le philosophe du droit naturel est sans aucun doute la donnée la plus importante de ces années pour la construction de sa conception idéologique. Conception à laquelle il resta fidèle toute sa vie.

Ayant achevé ses études de droit, il retourna à Arras où il s’illustra comme avocat, gagnant sa vie mais restant pauvre. Robespierre donnait à cette pauvreté un sens : se contenter de pourvoir à ses besoins par son travail personnel, sans rechercher ni luxe ni oisiveté. Par son tempérament même il correspondait aux enseignements de Rousseau. De cette jeunesse austère Robespierre a conçu une haute idée de la valeur intellectuelle et de la probité morale, ce qui lui a assuré une grande popularité au long de sa vie, reniant le privilège de la naissance autant que celui de l’argent. La notoriété locale qu’il acquit ainsi que sa brochure À la nation artésienne lui permirent d’être élu aux états généraux.

La Constituante 

Au 14 juillet, Robespierre comprit que les Aristocrates n’avaient capitulé qu’en apparence face à la poussée populaire et faisaient semblant d’applaudir pour en récolter les fruits. La défense des mouvements populaires est le leitmotiv de ses discours qui suscitent l’enthousiasme dans les journaux les plus révolutionnaires. Isolé à la Constituante, il prend à témoin le Peuple et reste en contact continuel avec lui en publiant ses discours. Il se constitue ainsi auprès du peuple le représentant de la démocratie politique. Son idéologie, sa tâche politique sont conditionnés par l’action et par l’insurrection du « Quatrième état » selon l’expression d’Albert Mathiez.

La postérité a retenu de ses nombreuses interventions l’application qu’il avait à combattre la vieille société aristocratique et à en libérer tous les opprimés : les comédiens et les juifs : « Je pense qu’on ne peut priver aucun des individus de ces classes des droits sacrés que leur donne le titre d’hommes » ; les esclaves des colonies contre la constitutionnalisation de la traite : « Périssent donc vos colonies si vous les conservez à ce prix ».

Chaque débat l’appelait à la tribune du haut de laquelle il apparut comme le défenseur des droits naturels du peuple : contre la peine de mort, sur l’organisation du clergé, l’organisation judicaire, sur l’organisation des gardes nationales, discours dans lequel on trouve la devise de la république d’aujourd’hui : « Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : Le Peuple français, et au dessous : Liberté Egalité Fraternité ».

Surtout, Robespierre combattit le régime censitaire qui après le privilège de la naissance introduisait le privilège de l’argent dans la société. Pour contrebalancer cette société des riches Robespierre opposa invariablement le suffrage universel.

A travers ces interventions on retrouve le combat permanent qui guidait Robespierre. Une étude de sa vie ne peut se faire qu’à la lumière des principes qui ont été les siens jusqu’à sa mort, car toute son action politique a été guidée par cette constante. Il a toujours eu un attachement invariable aux principes d’Egalité : « Peuple souviens toi que si dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si le mot ne signifie pas l’amour de l’égalité et de la patrie, la liberté n’est qu’un vain mot » (discours du 8 thermidor an II). C’est ainsi qu’il était déterminé à borner le droit de propriété à l’utilité commune, différenciant le vital du superflu. De l’égalité civile découle l’égalité des droits politiques qui promet l’égalité sociale ; égalité sociale qui seule fonde le juste exercice du peuple souverain.

Difficile de ne pas penser à Rousseau et à son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société moderne. Que de crimes, de guerres, de meurtres, de misères et d’horreurs n’eût point épargné au genre humain celui qui eût crié à ses semblables : Gardez vous d’écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne ».

Robespierre faisait de ces principes intangibles plus qu’un combat politique, un combat moral. Il avait ainsi attaché à ces lois universelles le principe de Vertu publique si cher à Montesquieu. « Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique et populaire, c’est-à-dire, le ressort essentiel qui le soutient et le fait mouvoir ? C’est la vertu ; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine ; de cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la patrie et de ses lois » (discours du 17 pluviôse an II).

Conscient de la portée universelle de ce combat, Robespierre voulait toujours, en s’adressant dans une assemblée politique, s’adresser au peuple tout entier mais aussi au monde. « Ne perdons jamais de vue que nous sommes en spectacle à tous les peuples, que nous délibérons en présence de l’univers » (Lettre aux commettants, février 93). Surnommé à dessein l’Incorruptible, Robespierre n’a jamais varié de ces principes jusqu’à sa mort.

Les aristocrates, s’ils avaient poussé à la convocation des états généraux ne pouvaient accepter la disparition de leur statut d’Ancien Régime. Cette noblesse se réunit sur l’autre rive du Rhin à Coblentz, sonnant les trompettes de la guerre pour récupérer leurs privilèges. Le 21 juin 1791, rattrapé dans sa fuite à Varennes, le Roi prouvait lui aussi qu’il appelait les cours étrangères à son secours. Robespierre qui n’avait jamais douté de ce complot aristocratique depuis 1789 fut le détracteur le plus résolu de la Constituante qui préféra inventer une histoire peu crédible d’enlèvement. Toutefois il pressentit que l’Assemblée profiterait de la pétition de la société populaire des Cordeliers réclamant la proclamation de la République pour écraser la contestation. A cette fin, la loi martiale fut proclamée le 17 juillet, par les Bailly et les Lafayette qui firent tirer sur une foule d’hommes, femmes et enfants du peuple désarmés réunis sur l’autel de la Liberté. Le maire de Paris et le chef de la Garde nationale étaient coupables de cinquante morts et de centaines de blessés.

Les patriotes furent pourchassés. Robespierre peu enclin à se cacher se contenta de s’installer chez le menuisier Duplay, rue Saint-Honoré, membre du club des Jacobins qui l’accueillit jusqu’en Thermidor an II. Robespierre continua d’y vivre une pauvreté digne ajoutant à la fermeté des principes, la rectitude austère de son existence.

Robespierre devint de plus en plus populaire auprès des sans culottes parisiens. En réponse à la violence et l’iniquité de ceux qui voulaient arrêter la Révolution, l’Incorruptible monta les sociétés affiliées aux Jacobins de toute la France contre les Mirabeau et les Lafayette contre qui les Jacobins devenaient de plus en plus hostile lorsqu’ils fondèrent le club conservateur des Feuillants. Du haut de la tribune de la rue Saint Honoré Robespierre ne cessa de dénoncer les aristocrates et les traîtres de la Cour. L’ensemble de l’opposition démocratique, sociétés et patriotes, furent ainsi réunis autour des Jacobins de Paris tout en apportant à son artisan un prestige considérable des sans culottes de la France entière.

Quand il fut temps pour la Constituante de se séparer, Robespierre avait arraché à cette assemblée le décret qui interdisait à ses membres de se représenter à la législature suivante. Il se refusait à ce que les députés conservent indéfiniment leurs mandats tout en souhaitant que la nouvelle Assemblée Législative révèle de nouveaux opposants aux Feuillants.

1792, guerre et insurrection 

Brissot et ses compagnons, qu’on connaît depuis Lamartine sous le nom de Girondins, constituaient une grande bourgeoisie de banquiers, de négociants et d’armateurs de Bordeaux dont la différence d’intérêts avec la bourgeoisie des structures d’Ancien régime en fit l’aile gauche de la nouvelle assemblée. Et lorsqu’ils proposèrent de déclencher le conflit avec les puissances européennes, Robespierre s’éleva depuis les Jacobins contre un conflit qui engendrerait « la mort du corps politique ». Sachant que les Girondins lorgnaient avant tout sur la prochaine exploitation des ports de la mer du nord, il dénonça leurs manœuvres : une guerre « est bonne pour les officiers militaires, pour les ambitieux, pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d’évènements ». Dans le même discours il les renvoie dos à dos avec le Roi qui désire cette guerre tout autant : « elle est bonne pour la cour, elle est bonne pour le pouvoir exécutif dont elle augmente l’autorité, la popularité, l’ascendant ; elle est bonne pour la coalition des nobles des intrigants, des modérés qui gouvernent la France » (discours du 2 janvier 1792 aux Jacobins). Repoussant d’un revers de main l’absurde espoir de voir les populations européennes se jeter dans les bras de leurs envahisseurs, Robespierre mit surtout en garde de façon prophétique contre l’avènement d’une France réduites à des mesures d’exception pour se défendre risquant de sombrer dans une dictature militaire : « personne n’aime les missionnaires armés […] Dans les temps de troubles et de factions, les chefs des armées deviennent les arbitres du sort de leurs pays, et font pencher la balance en faveur du parti qu’ils ont embrassé. Si ce sont des César ou des Cromwells, ils s’emparent eux-mêmes de l’autorité » (discours du 18 décembre 1791). Comment ne pas penser à Bonaparte à ces derniers mots ?

Peine perdue, les adversaires de la guerre ne purent indéfiniment affronter des auditoires hostiles et une opinion publique gagnée à cette éventualité. La guerre fut déclarée par la France révolutionnaire « au Roi de Bohème et de Hongrie » le 20 avril 1792.

La Révolution était menacée de toute part par ses ennemis intérieurs ligués avec les puissances étrangères, les émigrés avec les Prussiens, les Vendéens attendant l’aide des Anglais, les royalistes leur livrant Toulon… La Constatation que la monarchie constitutionnelle représentait le danger contre révolutionnaire devint une évidence pour tous. Le combat de Robespierre contre la guerre l’avait révélé intransigeant, c’est avec la même vigueur qu’il prépara l’opinion publique à renverser la monarchie quand la Gironde manigançait avec le Roi et que l’Assemblée négligeait de mener la guerre de débâcle qu’elle avait déclenchée. Robespierre ne participa pas directement à la prise des Tuileries qui consacra a chute de la Monarchie. En effet, il avait conscience de ne pas être un meneur d’insurrection et il préféra encourager les insurgés en faisant appel aux Fédérés réunis à Paris par la voix des Jacobins et en leur faisant rencontrer les Sans culottes parisiens chez le menuisier Duplay. Il contribua, tout comme Marat, non seulement à préparer les esprits à cette insurrection mais à lui donner un caractère national.

Après le 10 août il fut élu au Conseil général de la Commune, mandat durant lequel il refusa de condamner les massacres de Septembre estimant que la responsabilité en incombait à une assemblée Législative incapable de faire face à l’invasion étrangère aux portes de Paris (armées étrangères qui avaient d’ailleurs promis de mettre la capitale à feu et à sang à leur arrivée).

Il fut élu le 5 septembre avec son frère Augustin, député de Paris à la nouvelle assemblée, la Convention nationale qui, lors de sa première séance du 21 septembre, proclama que la monarchie était abolie en France.

La Convention girondine

Les Girondins changèrent leur statut d’aile gauche de l’Assemblée pour celui de l’aile droite. Ils furent en opposition avec les députés qui siègent en haut des gradins, surnommés la Montagne. Danton, Desmoulins, Marat, Robespierre, tous nouvellement élus en furent les ardents orateurs. Après avoir appelé de leurs vœux une guerre largement décriée par cette même Montagne, les Girondins s’avérèrent incapable de répondre aux exigences d’urgence qui en découlaient. Le sursaut de la bataille de Valmy en septembre avait offert un répit de courte durée à la Révolution. Contre révolution en Vendée, les foyers de guerre civile alliés aux puissances étrangères partout, un peuple qui grondait contre la famine qui l’accablait… A cette situation extrêmement grave, la Gironde se fit l’espoir d’une partie de la riche bourgeoisie qui se rangeait auparavant derrière les Feuillants et qui espérait désormais que la majorité de la Convention allait lui offrir une paix bancale avec l’ennemi, prétexte pour achever la Révolution à leur profit.

Robespierre et les Montagnards se firent alors l’écho du peuple à la Convention. C’est une étape décisive de la Révolution. Les classes populaires se trouvèrent désormais liées au salut de la République. Robespierre put entrevoir enfin l’application de sa politique sociale, selon lui indéfectiblement lié à ce salut. Incompétents à nourrir le peuple, défendant avec acharnement des généraux traîtres comme Dumouriez, la situation de la Gironde était absolument intenable face aux sans culottes de toute la France qui sentaient que leur victoire du 10 août leur était confisquée. Robespierre s’en fit encore une fois le défenseur et les opposa aux Girondins et leur crainte du peuple. « Citoyens », lance-t-il en novembre 1792, « vouliez vous une révolution sans révolution ? […] Qui peut marquer, après coup, le point précis où doivent s’arrêter les flots de l’insurrection populaire ? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme ? Car, s’il est vrai q’une grande nation ne peut se lever par un mouvement simultané, et que la tyrannie ne peut être frappée que par la portion des citoyens qui est plus près d’elle, comment ceci oseront-ils l’attaquer, si, après la victoire, des délégués arrivés des parties éloignées peuvent les rendre responsables de la durée ou de la violence de la tourmente politique qui a sauvé la patrie ? Ils doivent être regardés comme fondés de procuration tacite pour la société toute entière. Les Français, amis de la Liberté, réunis à Paris au mois d’août dernier ont agi à ce titre au nom de tous les départements ».

Méfiance à l’égard du peuple, répugnant aux mesures de salut public, les Girondins furent renversés par les dénonciations de la Montagne et la journée populaire nationale du 2 juin. Comme l’a résumé Albert Mathiez, « les Girondins furent vaincus parce que en un mot, ils négligèrent le salut public et qu’ils s’enfermèrent dans une politique de classe au profit de la seule bourgeoisie ».

La Convention montagnarde

Robespierre put, au sein du gouvernement révolutionnaire, mener la politique sociale tirées de ses convictions et principes. Avec le jeune conventionnel Saint-Just, il fut l’un des protagonistes de la démocratie sociale. Proposant une nouvelle déclaration des droits de l’Homme préambule de la future Constitution de l’An I, il y déclare que la propriété n’est plus un droit naturel et imprescriptible mais un fait social défini par la loi : « le droit de propriété est borné comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui ». Parlant de la déclaration de 1789 : « votre déclaration parait faite non pour les hommes mais pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les tyrans ». Toutefois, les inégalités et le privilège de la richesse demeuraient à cause du jeu des lois économiques. Dans ce contexte, Robespierre fut à l’origine de l’entrée de la notion de droit social dans la construction de la République. La Nation devenait responsable du contrôle du droit de propriété et responsable de l’instauration d’une égalité relative avec la reconstitution de la petite propriété. La loi assura un partage égal des successions pour diviser les fortunes. Surtout, Robespierre fut le défenseur des lois de Ventôse An II présentées par Saint-Just qui donnaient aux indigents les biens confisqués aux suspects.

L’Incorruptible était un des artisans d’une société nouvelle qui reconnaît sa dette envers le peuple. Le devoir qu’elle avait d’éduquer ses citoyens. En ce sens, le 29 juillet 1793, Robespierre présenta à la Convention le projet d’éducation composé par Saint-Fargeau, assassiné pour avoir voté la mort du Roi. Un siècle avant Jules Ferry, ce projet permettait l’accès de tous à un socle commun d’instruction, gratuite, obligatoire, libéré du carcan de l’Eglise. « Garçons et filles, tous les enfants sans distinction et sans exception seront élevés en commun, aux dépens de la République ; sous la sainte loi de l’égalité, ils recevront mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, même soin ». La loi du 22 Floréal (11 mai 1794) organisait « la bienfaisance nationale » et appliquait la déclaration de 1793 à la lettre : Assistance médicale gratuite, aide à domicile pour les personnes âgées, allocation pour les accidentés du travail, pour les familles des morts pour la patrie ; en un mot la sécurité sociale. C’était une application de ce premier article de la Déclaration des droits de 1793 proposés par Robespierre : « Le but de la société est le bonheur commun ». Saint-Just lui aussi voulait « donner à tous les Français les moyens d’obtenir les premières nécessités de la vie sans dépendre d’autre chose que des lois ».

Enfin, lui qui avait toujours combattu l’esclavage il fut abolie 50 avant Schoelcher, le 16 pluviôse An II.

Pendant qu’une société entièrement nouvelle était créée, Robespierre ainsi que les membres du Comité de Salut public avait pour tâche laborieuse de guider la France révolutionnaire vers la victoire contre guerre civile et guerre étrangère tout en atténuant les effets de cette guerre ressentis par les populations. A cette fin fut instaurée ce qu’il est convenu d’appeler, la dictature de salut public du gouvernement révolutionnaire. Comme beaucoup de conventionnels, Robespierre ne voyait qu’une solution pour porter la Révolution et ses acquis à la victoire, des mesures d’exception ; mesures d’exception que l’ont connaît aujourd’hui sous le nom de « Terreur ». C’est en effet sous la terrible pression des dangers intérieurs et extérieurs que les révolutionnaires assumèrent cette charge. Robespierre pensait depuis 1790 que la Nation pouvait avoir recours à une force exceptionnelle pour atteindre son but. Il résuma cette pensée dans un fameux discours du 25 nivôse : « le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République, celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. La Révolution est la guerre de la Liberté contre ses ennemis […] Le gouvernement révolutionnaire a besoin d’une activité extraordinaire parce qu’il est en guerre ». Connaissant les dangers de ces mesures exceptionnelles, il leur donna comme ligne une ligne morale déjà évoquée, la Vertu civique : « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante […] Elle est moins un principe particulier qu’une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressants besoins de la patrie ».

Si la France révolutionnaire a été victorieuse, c’est grâce à cette politique de salut public. Ces mesures ont permis de lever, d’équiper, de nourrir quatorze armées victorieuses en 1794 ; tout en conservant à cette guerre un caractère civil en prenant garde de ne pas donner de pouvoirs superflus à des généraux ambitieux.

Ces mesures ont sans cesse inclus le peuple et répondu à ses attentes. Pour le nourrir ce gouvernement a eu recours à des réquisitions, il a déterminé un maximum général des prix des produits de première nécessité. Il a assuré son indépendance en nationalisant les fabrications de guerre. Robespierre a été un des premiers animateurs de cette politique.

Ajoutons que les différentes mesures d’emprisonnement des suspects, de juger les ennemis de la Révolution par le tribunal révolutionnaire étaient un substitut à la violence populaire désorganisée et fragile. Cette terreur légale s’accompagnait d’ailleurs souvent de discours dont les accents étaient plus véhéments que leurs applications.

Pour conclure cette dense partie, finissons en avec cette vision peu historienne d’un Robespierre plus terroriste que les terroristes. Non seulement, nous avons vu que ces mesures d’exception ont été assumées par tous au sein du gouvernement révolutionnaire mais aussi par une grande partie de la population, mais il faut rappeler que Robespierre a souvent été modérateur de ces mesures. Il différenciait toujours les ennemis de la révolution de ceux qui les avait suivis. Par exemple il fit toujours échouer les tentatives de certains de faire mettre en accusation 75 députés Girondins. Il reçut d’ailleurs une lettre d’un député depuis sa prison le remerciant de lui avoir sauvé la vie. On ne peut non plus lui reprocher les excès sanglants de la dictature des envoyés en mission qu’il a toujours combattu. Le sanglant Fouché de Lyon, le Sardanapale Tallien de Bordeaux furent rappelés et menacés par Robespierre pour leur conduite et furent d’ailleurs les artisans de sa chute.

Contradiction et chute

L’approche de la victoire au printemps 1794, révéla des divergences au sein du gouvernement révolutionnaire et mit Robespierre devant les contradictions de sa politique.

Tous usés par cinq années de révolution, les caractères irascibles des révolutionnaires ne furent pas étrangers à ces dissensions. Au printemps de l’an II, la Révolution connut l’émergence de factions qui furent victimes de la vigilance du gouvernement révolutionnaire. Le bouillant journaliste Hébert, rédacteur du Père Duchesne, très proche des milieux populaires avait combattu le gouvernement révolutionnaire jugé trop compromis avec la bourgeoisie. Il fut guillotiné avec ses compagnons. Danton, que Robespierre défendit jusque la veille de son arrestation, tomba aussi pour avoir endossé un rôle de chef d’une faction hétéroclite de corrompus, réclamant un comité de clémence, surtout pour eux…« La Révolution est glacée », écrivit Saint-Just.

Robespierre, durant cette période continua sa politique en cherchant à donner une dimension transcendantale à la Révolution, introduisant le culte de l’être suprême, le 18 Floréal an II : « Le Peuple Français reconnaît l’existence de l’être suprême et l’immortalité de l’âme ». Même si ce culte bénéficiait de l’assentiment du gouvernement, il réveilla des divergences à propos de la religion. Robespierre était déiste, il croyait en un libre exercice des cultes, répugnant à une déchristianisation athée qu’il estimait nihiliste et loin des préoccupations du peuple : « On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ! Ils la diront plus encore si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe ». Ce conflit introduisit dans la Convention une sourde hostilité qui se ressentit jusque dans les sections parisiennes.

Ces sections commencèrent à gronder contre une loi qui imposait le Maximum des salaires. La guerre s’éloignant la bourgeoisie fit pression pour briser certains acquis des salariés, ce qu’elle obtint. Malgré un certain aveuglement des robespierristes, la révolution demeurait bourgeoise. Dans le prélude de cette chute, il faut ajouter à cela la bureaucratisation des instances révolutionnaires qui les éloignèrent de leur militantisme originel et les menèrent vers un fonctionnariat détaché du mouvement populaire. Tout cela ralentit la démocratie dans les sections et accentua une lassitude des masses pour leurs institutions. C’est la contradiction fondamentale qui prépara la chute de Thermidor.

Dans les institutions mêmes, aux tentatives d’attentats s’ajoutaient les médisances et les calomnies. Les deux Comités s’accusaient d’empiètements mutuels. La loi de Prairial an II, dite de grande Terreur fut, à dessein détourné, de son but initiale : à savoir de limiter le recours au gouvernement révolutionnaire, pour décrédibiliser Robespierre et Couthon qui en étaient à l’origine. Robespierre tenta d’alerter l’opinion publique aux Jacobins. Mais c’est lors d’une séance et d’une énième dispute au sein du Comité de Salut public que Robespierre en claqua la porte pour s’enfoncer dans une maladie tant physique que psychologique qui le maintint alité. Les sanglants proconsuls comme Fouché et Tallien qui avaient de bonnes raisons de croire que leur survie dépendait de la chute de Robespierre, profitèrent de son absence pour galvaniser les députés de droite du Marais, ainsi désignait on la majorité des députés ni montagnards ni girondins.

Sans doute conscient de toutes ces contradictions et voulant s’en remettre uniquement à la représentation nationale il prononça un discours testament le 8 Thermidor An II dans lequel il défendait ses principes et dénonçaient sans les nommer certains membres du gouvernement. Le lendemain, Saint-Just fut interrompu dans la lecture d’un rapport et une faction de corrompus fit décréter d’accusation les députés robespierristes qui furent conduits en prison. Ils en furent libérés par la Commune de Paris et menés à l’Hôtel de ville. Se refusant à prendre la tête d’une insurrection contre la représentation nationale, les robespierristes virent leur maigre défense se disperser au long de la soirée, à la fin de laquelle Robespierre tenta de se suicider et fut arrêté avec ses compagnons. Les vainqueurs ne s’embarrassèrent pas longtemps de ces encombrants accusés et les firent guillotiner le lendemain, sous les acclamations des sections les plus bourgeoises de l’ouest de Paris.

Une anecdote de Michelet, qu’on ne peut accuser de robespierrisme, a été maintes fois reprise : « Peu de jours après Thermidor, un garçon de dix ans fut mené par ses parents au théâtre […] Des gens en veste, chapeau bas disaient aux spectateurs sortants « Faut-il une voiture mon maître ? » L’enfant ne comprit pas ces termes nouveaux. On lui dit seulement qu’il y avait eu un grand changement depuis la mort de Robespierre ».

Conclusion

Robespierre contribua à sortir de 1000 ans d’esclavage, considéra que troquer le privilège de la naissance contre celui de l’argent était la même tyrannie. Malgré ses contradictions, malgré ses erreurs et ses errements, il a été considéré par beaucoup et souvent les plus pauvres comme une tour de garde de la démocratie. Face au pragmatisme de la bourgeoisie libérale il a posé les bases d’une société hors de leurs cadres utilitaristes et profanes en incluant la révolution dans une Légitimité universelle de justice, de raison et de morale. Et c’est cette légitimité que Robespierre désignait par l’être suprême. Là est tout le sens, le combat, la véritable constante, la vie de Robespierre. Une vision qui donne son but à la Révolution. Cette foi invariable en la démocratie comme il la décrit de façon poignante la veille de sa mort dans son dernier discours « Car elle existe, je vous en atteste âmes sensibles et pures ; elle existe, cette passion tendre, impérieuse et irrésistible, tourment et délice des cœurs magnanimes ; cette horreur profonde de la tyrannie, ce zèle compatissant pour les opprimés, cet amour sacré de la patrie, cet amour plus sublime et plus saint de l’humanité, sans lequel une révolution n’est qu’un crime éclatant qui détruit un autre crime ; elle existe cette ambition de fonder sur la terre la première république du monde. Cet égoïsme des hommes non dégradés qui trouve une volupté dans le spectacle d’une conscience pure et dans le spectacle ravissant du bonheur public, vous le sentez en ce moment qui brûle dans vos âmes ? Je le sens dans la mienne ».

Frédéric Serrier

Bibliographie

Robespierre a été l’objet de nombreux ouvrages inégaux, retenons quelques études et biographies récentes ou rééditées :

  • Massin, Jean, Robespierre, Alinea, 1988

Une excellente étude de Robespierre et ses discours par le philosophe Slavoj Zizek

  • Zizek, Slavoj, Robespierre, entre Vertu et Terreur, Stock, 2008

Des ouvrages généraux peuvent être d’une approche simple et ont d’ailleurs servis à la rédaction de cet article :

  • Soboul, Albert, sous la direction de, Dictionnaire historique de la Révolution, Puf, 2005

  • Soboul, Albert, Portraits de révolutionnaires, Messidor/Editions sociales, 1986

On peut également toujours trouver une édition de ses œuvres complètes :

  • Robespierre, Maximilien, Œuvres complètes, Société des études robespierristes, 2007

Pour étudier non seulement le personnage Robespierre mais aussi la période de la Terreur, ces ouvrages récents qui ont également servi à la rédaction de cet article. Ils offrent une approche moderne de la période :

  • Martin, Jean Clément, Violence et révolution, Seuil, 2006

– Chappey, Jean Luc ; Gainot, Bernard ; Mazeau, Guillaume ; Régent, Frédéric ; Serna, Pierre, Pour quoi faire la Révolution ? , Agone, 2012

  • Bianchi, Serge, sous la direction de, Héros et Héroïnes de la Révolution, CTHS, 2012

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