La littérature onirique et moi
Je crois que je suis un écrivain potentiel. Étrange coming-out esthétique pour ceux qui me lisent et reviennent. Cet aveu peut être consternant pour ceux qui le pensent déjà. Certains annoncent leur homosexualité et ont comme seule réaction de leur entourage un banal « ben, on le savait déjà ». Parfois l’entourage réalise avant nous ce que nous sommes. C’est la même situation ici. Toutefois, j’a encore du mal à dire que je suis écrivain. Je dis la plupart du temps que je suis écrivaillon ou au mieux, auteur. Le mot écrivain est pour moi quelque chose de sacré. J’ai grandi, vécu, survécu grâce aux mots. Reconnaître que je suis écrivain c’est entrer dans le cercle de ceux que j’ai admiré et accepter d’être une source d’inspiration pour ceux qui me lisent. Ça me fait peur. Tiens ? Encore une fois je parle de la peur. Mais je me soigne petit à petit ; j’y reviendrai.
Le style onirique
Venons-en au titre un peu cryptique de cette confession. Cela m’est venu lors de la rédaction d’une nouvelle. Les coutumiers de l’Orpheo Mundi savent que j’ai relayé l’appel du réseau Ipagination et du blog « Stop au cancer » consistant à trouver des auteurs pour une chaîne contre le cancer. J’y ai également participé en écrivant le texte « ce n’est pas un jour de pluie ». J’en profite pour inciter les écrivains qui lisent cet article à participer également.
C’était inattendu mais écrire ceci m’a permis de mieux comprendre ma plume. C’est de là qu’est née la notion de littérature onirique. Cette terminologie peut sembler arrogante, j’en conviens mais je vais m’expliquer. Ce texte publié pour une noble cause représente ce que j’aime et ce que je sais écrire. La réalité de la maladie est cruelle, j’ai essayé de faire au mieux dans la description de ce couple. Mais je ne pouvais me contenter d’une structure académique, et honnêtement je ne sais pas faire. Ma plume ne vit que lorsqu’elle virevolte entre la réalité et la fantasmagorie ; que ce soit dans le rêve ou le cauchemar importe peu. J’aime le réalisme d’un Zola, je l’admire mais je suis incapable de créer quelque chose de la sorte. J’ai besoin d’avoir quelque chose d’éthéré. La littérature onirique ne se définit pas par un fond comme c’est le cas pour le réalisme ou le romantisme, mais par une structure non-académique du récit. Une histoire peut être aussi une expérience dans la forme. Je prends comme exemple Nihil Ex nihilo. Au début la forme était celle d’un monologue classique. Insatisfait du résultat, je l’ai modifié. Chaque mot/phrase était séparé par des points de suspension pour apporter ce côté éthéré auquel je faisais référence. J’ai présenté ceci à une amie, ma chère Vp Loose. Elle m’a dit que c’était bien mais qu’elle était restée sur sa fin à cause de la forme, que je n’étais pas allé jusqu’au bout. J’ai donc repris le tout pour aboutir à ce résultat. Ce résultat que vous avez découvert est pour moi la pure expression de la littérature onirique. Il s’agit certes d’une histoire fantastique autour du mythe de la succube mais cette structure aurait pu être utilisée pour une autre histoire, par exemple « ce n’est pas un jour de pluie ».
Quand la faiblesse devient une force :
Enfant, j’ai vécu un véritable choc esthétique en lisant « Notre-Dame de Paris ». J’étais époustouflé par ses descriptions incroyables. Je suis conscient que celles-ci peuvent être insupportables pour certains. Combien sont ressortis traumatisés des descriptions balzaciennes interminables ? Moi j’ai adoré, tout. Bien que romantiques, ces passages avaient la précision de l’ultra-réalisme. Néanmoins, bien que j’aie aimé me plonger dans ces descriptions, je suis bien incapable de décrire aussi bien, voire de décrire tout court. Je suis incapable de le faire pour une chaise par exemple. Je suis entrain de lire le roman « La femme du lac rouge » écrit par Aurélie Auroude et publié par le réseau ami Ipagination. Et bien je suis épaté par sa faculté à décrire si bien le Vietnam qui sert de décor à son polar, d’autant plus qu’elle n’y est jamais allée ! Elle s’est beaucoup documentée et ses descriptions sont réelles, physiquement et au niveau des émotions, au point qu’on s’approche d’un phénomène psychométrique. Mais patience, je vous présenterai ce petit bijou prochainement au café des Liches. De cette incapacité crasse qui est la mienne, j’ai tiré une force : celle de me concentrer sur les émotions et les sensations et non sur les aspects physiques. Ils ne sont pas totalement oblitérés de mes écrits, bien heureusement, mais ils passent au second plan. Pour résumer, cette forme de désincarnation permet de se placer au-delà de la matière. Si je devais synthétiser ce qu’est la littérature onirique, je dirais que c’est une forme qui flotte entre la terre et le ciel, un crépuscule permanent entre le moment où on s’éveille et le moment où on s’endort ; ces instants précieux où on perd pied. C’est dans ces quelques secondes médianes que réside pour moi l’onirisme. Voici l’idéal que je souhaite atteindre.
« Celui qui ne craint pas sa propre épée ne mérite pas de la porter»
Ceux qui me connaissent sont irrités par un aspect important chez moi : je parle tout bas, il est difficile de m’entendre. Il est souvent nécessaire de me faire répéter au point que cela finit par moment par me complexer. Pour ne rien gâcher, je ne supporte pas ma voix. Pour ceux qui veulent se faire une idée, j’ai enregistré une nouvelle au format audio disponible en téléchargement gratuit. Un soir où j’étais avec deux amis, deux infirmiers en psychiatrie, ces derniers se sont mis en tête de savoir pourquoi cette situation inaudible (je précise que c’était vraiment une soirée avec des amis et non pas un séjour en institution). J’ai baragouiné les réponses habituelles suite à mon auto-analyse, peur de déranger, manque de confiance etc. ça ne leur suffisait pas. Ils m’ont tant poussé que j’ai fini par cracher sans m’en rendre compte : « je ne veux pas dominer ! ». Ça les a surpris ; moi aussi. Ce qui résume assez bien la situation c’est un commentaire laissé sur la nouvelle « À mes pairs ». Les hauteurs… je n’aime pas ça. Mon cher et tendre m’a dit un jour qu’au travail, où nous nous sommes rencontrés, il me voyait « toujours entouré de ma cour mais que j’avais l’air d’être seul ». C’était partiellement vrai. Dans les soirées avec mes amis qui étaient comme ma famille, j’avais le rôle de caution intellectuelle. Je détestais ça. J’ai souvent été considéré comme étant un peu à part selon les standards habituels. Peut-être. Je n’ai pas à me plaindre, c’est généralement mélioratif. Quand dans les éditos de l’Orpheo Mundi, les autres membres parlent de moi, ça me gêne un peu. J’ai une pensée pour notre Cardinal des Encres et des Âmes qui me gourmande régulièrement sur le thème de « Arrête d’écouter l’esclave en toi et laisse parler le maître ! ». Là aussi je me soigne. Les moments où ma voix (voie ?) devient audible, c’est quand je laisse parler le maître. Je suis emphatique, fantasque, dramatique, je fais de la vie une scène de théâtre sans me préoccuper du monde. Je suis le narrateur de la nouvelle vampirique précédemment citée. Je me retrouve, enfin. Pour être mois mélodramatique, « À mes pairs » peut être résumé par cette chanson (j’ai honte) :
Pourquoi est-ce que j’aborde ce « handicap » quotidien qui fait que je ne peux chanter que du Daho ou du Carla Bruni ? Parce que cela va avec le fait de ne pas me reconnaître comme écrivain. Je le disais en préambule, j’ai une adoration pour les mots et un infini respect pour les écrivains. Je les regarde d’en bas avec dévotion. Si je suis écrivain, je dois accepter d’être au niveau de ceux que j’aime ; hors je n’en suis pas encore digne. Être écrivain, c’est aussi accepter d’être sur un piédestal, reproduire les schémas décrits plus haut avec comme chute ; la solitude des hauteurs. Vous trouvez ceci prétentieux, arrogant ? Moi aussi. Mais petit à petit j’assume les notions d’autorité. Petit à petit je suis entouré de telle sorte que je ne me sens plus seul. Ces deux facteurs me permettent de dire à présent que je peux devenir écrivain. Et puis il y a une peur fondamentale ; pour reprendre la rhétorique du Cardinal, la peur du maître en moi. Être écrivain c’est aussi aller au bout de son idée, ne pas se restreindre. Il y a des aspects que je n’avais pas forcément envie d’assumer même s’ils sont visibles. Fondamentalement, j’ai une âme de despote. Je suis un sentencieux au jugement arrêté. À force de vouloir tout connaître, je pense ne plus croire en rien. La violence ne me dérange pas fondamentalement ; je peux même y prendre plaisir. Haïr, aimer ? C’est la même chose. Et surtout, j’ai une âme de tyran. Je suis moi mais peut-être est-ce autre chose que je veux écrire…
Quand suis-je satisfait ?
Un célèbre dessinateur de bande-dessinée pour adultes gay disait « qu’il n’était satisfait de ses dessins que lorsqu’ils le faisaient bander » (non, je ne mettrais d’illustrations bande coquins). À mon niveau, je ne suis content de mes parodies de la mythologie grecque que lorsque rigole tout seul comme l’ado attardé crétin que je suis. Pardonnez cet instant trivial mais c’est finalement ce que fait chaque auteur/créateur. Il s’agit de faire ce qu’on a envie de voir ou de lire, une question d’idéal esthétique. Au-delà de la mythologie grecque pour les nuls, quand suis-je satisfait de mes écrits « plus sérieux » ? Dans cet objectif onirique que je recherche, je me sens bien lorsqu’après avoir relu, je me sens déphasé par rapport au monde. Une autre condition importante, est que je redécouvre le texte après l’avoir écrit, que je le perçoive comme une chose étrangère. Tant que je me sens lié à la chose que j’ai rédigé, alors je ressens que je n’ai pas fini. Tant que le cordon n’est pas coupé, je ne suis pas satisfait.
Ce qui stimule mon imago ?
Au collège, j’avais dans mon cartable « Ainsi parlait Zarathoustra » à côté des X-men. Au lycée, « Les fleurs du mal » dont je ne me séparais jamais côtoyaient les albums de « Rg Veda ». Pour citer un écrivain chafouin de ma connaissance « Ronsard m’emmerde ». J’irais plus loin en disant qu’à la mignonne dont la rose avait éclos, je préfère le lyrisme grandiloquent du serment des « Green lantern » :
« En plein jour comme dans la nuit noire,
Nul mal n’échappe à mon regard.
Que ceux qui devant le mal se prosternent
Craignent la lumière des Green lantern »
Vils moqueurs que j’entends d’ici se gausser. J’assume totalement, car oui, ces choses enfantines doublées de la crétinerie de l’adolescence me font souvent plus vibrer que certaines poésies ou déclarations. Un chant patriotique m’émeut peu, en revanche, un « Bankai ! » rugit dans la série Bleach m’arrache toujours plus qu’un sourire.
Mon imaginaire, c’est aussi et surtout ne pas renier mon enfance. La citation plus haute sur celui qui doit craindre sa lame, je la tiens d’ailleurs de ce même manga. Peut-être est-ce tiré d’un traité philosophique connu ? Je ne saurais le dire. Cela aurait été mieux de citer Confucius ou Musashi, mais là aussi j’assume et m’amuse.
Vous avez pu noter le déménagement de l’échelle de Jacob vers un site dédié. J’ai toujours voulu écrie mes scénarios de jeux de rôles comme j’écrivais mes nouvelles. faire ainsi a aussi influencer ma façon d’écrire. C’est un héritage qui est précieux pour moi et dont je ne rougis pas.
Suis-je un écrivain ?
Ecrire est un travail. Il ne suffit pas d’avoir une bonne idée d’histoire tout comme avoir une belle plume ne suffit pas. Nous sommes encore une fois dans le sacro-saint principe de l’apollinien et du dionysiaque. Je n’y reviendrai pas une énième fois afin de ne pas vous lasser. Pour ceux qui souhaitent une session de rattrapage, je vous invite à lire ce que j’en écrivais dans mon dossier sur l’esthétique geek. Par nature, je suis un feignant doublé d’un glandeur hédoniste, je m’en suis déjà confessé. Vous connaissez déjà les raisons qui m’ont fait penser que je n’étais pas un écrivain. Mais qu’est-ce qui a changé ? Et bien c’est encore et toujours ce même texte sur le cancer. Si j’ai pu faire pleurer des gens avec celui-ci tout comme j’ai pu faire rire avec mes parodies de la mythologie grecque, alors c’est que je peux toucher des âmes. La question est de savoir à partir de quand on détermine qu’on l’est. La seule image que j’ai en tête est celle du test d’un katana. Afin d’en détermine la qualité, on alignait un certain nombre de corps (vivants ou non). Le nombre de corps qu’il pouvait couper en un coup indiquait sa qualité. C’est la même chose en littérature. Le nombre d’âmes que l’on touche en une phrase peut indiquer sa qualité. Soyons honnêtes, la quantité n’est pas forcément un gage de qualité et cette vision est utopique. Nous avons tous en tête des auteurs en tête de vente que nous méprisons au plus haut point. Si c’était si simple, les romans Arlequin seraient alors des chefs-d’œuvre littéraires. J’ai tout de même envie de garder en tête l’image du sabre, mon cerveau s’occupant, avec une mauvaise foi totalement assumée, de filtrer les aspects sombres de cette rhétorique….
Je reste, en conclusion, sur la notion d’écrivain en devenir. Weyergans disait qu’il n’était satisfait de ses livres que lorsqu’il pouvait justifier chaque mot employé. Je ne suis pas à ce niveau d’exigence, bien que je la trouve saine. Il va me falloir travailler beaucoup pour mériter le statut d’écrivain. Il va me falloir travailler beaucoup pour atteindre mon ambition d’une réelle littérature onirique. Continuerez-vous à me suivre dans cette aventure ? J’ai suffisamment parlé de moi ces derniers temps dans ces épîtres personnels. Il est temps que je publie de nouvelles histoires en me rapprochant petit à petit de mon idéal esthétique. Là aussi, continuerez-vous à me suivre ?
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