"Pourquoi il ne me tue pas ?" : la survie dans les jeux de rôle.
« Pourquoi il ne me tue pas ? » est la question que doivent se poser régulièrement les joueurs s’ils veulent survivre. Cette question, le maître de jeu doit aussi et surtout se la poser au moment de créer un antagoniste pour ses joueurs. Ces derniers ne sont pas les maîtres du monde. Ils auront sur leurs routes des opposants plus ou moins féroces. Ne soyons pas hypocrites, nous aimons créer de gros balèzes de la mort qui tue. La question est de savoir comment gérer ça. Créer un grosbill est une chose, mais la question de la cohérence se pose s’il peut balayer les personnages en remuant les cils. Les réponses sont multiples. Rappelez-vous de toutes ces dessins animés et séries ou on retrouve désespérément le même gros méchant de l’histoire qui s’en va en annonçant invariablement « je me vengerai ! » Combien de fois nous sommes nous dit qu’un coup de feu/coup d’épée/tarte dans sa gueule réglerait tout ? C’est le problème des scénarios mal ficelés. Certes, ce genre de chose se produisait dans les séries pour enfant, mais personnellement même enfant je trouvais ça navrant. Pour une bonne immersion de vos joueurs, il convient d’éviter ce genre de facilités.
Il n’a pas la possibilité de se débarrasser des joueurs :
Il peut y avoir beaucoup de raisons à ceci. Par exemple, les joueurs sont protégés par une personne ou un organisme, peut-être même sans le savoir. Si le gros méchant risque de se prendre une claque s’il bouge le petit doigt, ça peut l’amener à réfléchir et à contenir ses instincts belliqueux. Prenons ce classique qu’est « Vampire : la Mascarade ». Si ça trouve, un vieux vampire surveille les faits et gestes du groupe de joueurs ; ces derniers n’en ont pas conscience mais l’ennemi lui le sait ou s’en doute.
De la même manière, si on reste sur ce jeu de référence, détruire un vampire est un crime passible de la peine de mort (la mort chez les vampires étant assez sales) Un ennemi qui veut détruire utilisera des moyens plus pervers pour parvenir à ses fins. Cela prend plus de temps et peut s’avérer finalement plus cruel que la mort ultime. Dans ces cas-là, la question des joueurs ne doit pas être « pourquoi je ne suis pas mort » mais plutôt « pourquoi je ne suis pas encore mort ». J’en ai déjà parlé, mais partez du fait que chaque action entraine une réaction. Tuer, certes mais quel conséquence, surtout si le joueur fait partie d’un organisme ou d’un cercle ? Cela vaut-il le coup de lancer une vendetta ?
Il a besoin des joueurs :
Il existe un principe, celui de l’idiot utile. Croyez-en votre expérience et la mienne : les joueurs sont parfaits dans ce rôle, même les plus futés. Il ne s’agit pas de leur faire offense, mais simplement de mettre en avant que contrairement à vous, ils ne savent pas ce qui se trame. Au lieu de se déchirer pour obtenir quelque chose, pourquoi ne pas laisser les autres laisser agir à votre place pour leur piquer ensuite ? Pourquoi ne pas pousser le raffinement au point que ce sont ces idiots qui vous l’apportent sur un plateau d’argent ?
Ceux qui ont joué à Vampire savent que bien des fois les personnages auraient dû être plus durement châtiées pour leurs erreurs. Mais de jeunes vampires font d’excellents pions pour les plus vieux. Je décrirais ceci par l’exemple toujours tiré du même jeu.
Ce scénario de vampires était une enquête policière où outes les pistes menaient à la cour du prince. Mais je me permets une petite digression pour ceux qui ne connaissent pas ce jeu. « Vampire : la Mascarade » se passe à notre époque. D’après le nom, vous imaginez quel genre de personnages les joueurs interprètent. Chaque ville est dirigée par un Prince qui est généralement un vieux vampire. La cour est composée d’un conseil de vieux vampire appelé le Primogène et d’autres intervenants aux postes prestigieux. Je fais la version courte, mais au vu de cette présentation succincte vous devinez, je pense, le côté politique de ce jeu. C’est une grande lutte pour le pouvoir où l’existence des vampires doit rester secrète. Mais revenons-en à nos joueurs. Je disais donc que les résultats de l’enquête menaient à la cour et plus précisément au prince de la ville, Lord Byron. Les joueurs, de jeunes vampires qui n’avaient que quelques années d’existence se sont trouvés à donner les conclusions devant ce dirigeant détenant le pouvoir de vie et de mort sur eux. Se trouvaient dans la même pièce Alexander Frost (petit emprunt à Blade) son pire ennemi et membre le plus important du Primogène. Assistait aussi à cette réunion informelle, Nelvanna (cette fois je pique un nom de Marvel), une ancienne qui en un mot fait et défait le statut social d’un vampire. On a fait la partie chez un pote, nous n’étions que quatre. J’avais réussi à placer une ambiance feutrée. Une discussion a commencé sur la notion de pouvoir. Toute la partie, Le Prince et Frost était occupée par une partie d’échecs en public. Les joueurs s’étaient rendu compte que les coups de la partie correspondaient aux étapes de leur investigation. Ces trois grands anciens leur ont expliqué les arcanes du pouvoir, le rôle de chacun etc. La discussion s’est terminée par ce choix fait aux joueurs. Ce qu’ils auraient dit ou tu auraient déterminé qui auraient remporté la partie entre Byron et Frost, qui aurait le pouvoir. Mes joueurs se sont concertés et on répondu « match nul ». C’était la meilleure décision. Choisir l’un ou l’autre aurait été se mettre l’un d’eux à dos. Mes joueurs ont été impressionnés par ce moment parce qu’ils étaient au cœur du pouvoir et qu’ils auraient pu mourir n’importe quand. Après tout ce qu’il leur a été révélé, ils auraient pu être exécutés pour les faire taire et personne à la cour n’aurait osé poser de question. C’est une des autres raison de leur survie : ils n’étaient rien, et leur insignifiance était gage de leur survie. On ne se salit pas les mains pour rien. Autre point garantissant leur silence et donc leur survie : quelle que soit la décision, ils étaient impliqués. Parler c’était se mettre à dos tous ceux qui n’étaient pas dans la conspiration.
Parce que tel est son bon plaisir :
Ceci est la plus stressante raison qui soit. Les joueurs comprennent que leur survie n’est due qu’à un caprice. Tout peut changer du jour au lendemain.
Pourquoi les joueurs ne massacrent pas vos précieux PNJ
Toutes ces réflexions sont aussi valables en sens inverses. Qu’est-ce qui empêche vos joueurs gros bourrins de dire : « bon, il me saoule, je le flingue ? ». Déjà, la trouille si on se réfère à Jean-Claude Duss. Mais surtout la question des réactions. Dans le cadre de cette cour des ombres, pourquoi le Concile apostolique n’a pas fait une razzia pour massacrer l’Ouroboros ou les autres créatures mystiques ? Parce que le faire serait déclencher une guerre ouverte dont personne ni rien ne sortirait indemne, à commence par le sacro-saint principe de la discrétion animant cette cour ombrageuse. Il est important de faire comprendre aux joueurs la fragilité de ce monde.
Afin d’illustrer ce fait, je vais de nouveau me baser sur l’expérience. Après tout, le meilleur sermon est l’exemple. Il ne s’agit pas cette fois de » Vampire » mais d’un autre jeu de la même gamme : « Mage : l’ascension ». Les joueurs y ont jouent cette fois… des opossums ninjas ! Heu non, des mages. Je peux déjà vous annoncer que dans peu de temps, je publierais la base d’une ancienne campagne pour ce jeu ; une campagne appelée « Le testament d’Icare ». C’est un des PNJ qui m’intéresse ici. La campagne se déroule à San Francisco. Parmi ces PNJ se trouve le Directeur régionale d’une multinationale appelée la Pentex. Pour résumer, cette entreprise tentaculaire pire qu’une mafia est dirigée par et pour les démons les plus effrayants. C’est un peu le mal incarné dans l’univers du « monde des ténèbres » où évoluent les vampires et les mages. La Pentex est originellement tirée du jeu « Loup-garou » (là vous pouvez éventuellement jouer des opossums ninjas si votre maître de jeu se drogue… beaucoup). Le centre de la Pentex à San Francisco est dirigée par un dénommé Payton Blake. Ce directeur est un brillant homme d’affaires ayant des contacts partout. Il passe beaucoup de temps en mondanités diverses et côtoie puissants de la région. Il n’a pas arrêté de faire la misère à mes joueurs en les aidant parfois, gardant toujours un petit quelque chose d’ambigu. Soyons clair, mes joueurs le détestait et voulait le massacrer à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Je l’interprétais toujours avec un petit sourire en coin et un ton amical (il faudra d’ailleurs que j’écrive un article sur l’importance de l’interprétation par le MJ) Les joueurs avec leurs sortilèges auraient pu essayer de s’en débarrasser n’importe quand, d’autant plus que ce n’était qu’un humain sans pouvoir. Mais plusieurs choses les en empêchaient :
- Son statut social : difficile de tuer quelqu’un dont le visage fait souvent la une de la presse et qui a autant de contacts médiatiques, politiques, financiers.
- Ils ne savaient pas au début s’il était vraiment humain ou non. On ne se lance pas dans une bataille sans savoir de quoi l’ennemi est capable.
- Quelqu’un de son importance avaient bien sur des gardes du corps, voire une milice à ses ordres. Tous n’étaient pas humains, mais là aussi les joueurs doutaient.
- Il savait les aider quand il fallait pour se rendre finalement utile. Il l’était d’autant plus que les joueurs savaient qu’il y avait des tentatives de rapprochement entre lui et la technocratie (les pires ennemis des mages) Il valait mieux l’avoir à ses côtés que le pousser à se liguer officiellement à la technocratie contre eux.
- Il s’est arrangé pour leur faire comprendre que même s’il disparaissait, il serait remplacé. Les joueurs ont du s’interroger. Est-ce que cela valait le risque de voir quelqu’un d’autre avec qui ils ne pourraient pas parlementer ? Tuer un membre d’une branche de la Pentex aurait signifié attirer une attention particulière sur eux.
Toutes ces questions ont atteint leur paroxysme lors d’une mini campagne dans la campagne. (Elle s’appelle « Les quatre cavaliers de l’élémentarisme », je ne suis pas sûr de la publier) Sans entrer dans les détails, un mage exceptionnel dénommé Brasier, maître du feu, voulait purifier le monde. Sachant que sa propre puissance le condamnait et qu’il n’aurait le temps de déverser un déluge de feu, il avait décidé de faire un exemple en abattant un symbole du monde. C’est logiquement que notre ami Payton Blake a été choisi. Mes joueurs avaient l’occasion de laisser faire. Se débarrasser d’un gêneur sans se salir les mains, que demander de plus ? Finalement ils ont protégé Blake contre Brasier qui aurait peut-être un ami et un mentor pour eux. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris que les conséquences auraient été catastrophiques
Et l’ultra grosbill complet alors ?
Bon, si vous avez créé une puissance galactique face à qui les dieux n’ont aucune chance, je n’aurais qu’une chose à dire : vous êtes idiots. J’ai aussi été idiot, tentation du pouvoir ultime fantasmé. Toutefois, il y a un personnage dont je suis particulièrement fier, encore tiré de « Mage L’ascension » mais d’une campagne précédente. Son nom, Ezechiel Raven le prédicateur. C’était un mystique parcourant le mal pour détruire le mal. Il était mage sans le savoir et pensait que c’était Dieu qui lui donnait la force. Il apparaissait et disparaissait au moment où les joueurs s’y attendaient le moins, avec son large chapeau de prédicateur et son manteau noir, tenant une lance dans une main et une bible dans l’autre. Pour savoir quoi faire, il ouvrait la bible à un endroit au hasard et lisait un passage. Ce qu’il lisait, c’est ce qui se réalisait. Pourquoi ce personnage est aussi original ? Parce que pour ce personnage, j’avais une bible que j’ouvrais au hasard, et ce que je lisais était son action dans le jeu. Et je dois dire que ça tombait souvent bien ! Une joueuse interprétait une mage dont le symbole était l’arbre. Je suis tombé au hasard sur un passage disant « il faut brûler les arbres »… Elle a passé un sale quart d’heure ! Un autre avait eu une idée originale : Il était en réalité Bob Marley ayant fait croire à sa mort lorsqu’il avait appris que c’était un mage. Malicieusement, j’avais annoncé que son fils Ziggy faisait un concert en ville. Il s’y est rendu incognito quand Ezéchiel Raven lui ai tombé dessus. Le passage sur lequel je suis tombé disait « Il faut châtier ceux qui tentent d’oublier leur passé ». C’est en voulant l’aider que la mage aux arbres s’est faite cramer. Mais ce hasard pouvait aussi jouer contre moi. Mes joueurs étaient en grande difficulté dans un autre scénario. L’un d’eux a eu l’idée folle de demander l’aide du prédicateur. Ils l’ont retrouvé dans la vieille église désaffectée où il passait son temps à prier. Tout content de sortir ma bible et de tomber sur un passage vachard, j’ai joué le jeu du hasard. Je suis tombé sur un passage disant en gros qu’il fallait aider les pêcheurs ! Bordel ! Raven s’est provisoirement rangé de leur côté !
Comment contrôler un tel personnage où je me mettais moi-même en danger en tant que MJ ? Déjà, si ça tombait souvent juste, ce n’était pas systématique. Il y avait parfois des moments où la lecture ne donnait rien de probant. Le prédicateur était alors troublé et disparaissait pour comprendre la parole de Dieu. Inutile de vous dire que mes joueurs étaient alors rassurés. Il y avait aussi le problème du contenu biblique pouvant donner des résultats apocalyptiques au sens propre. En ouvrant au hasard, je n’allais jamais dans le dernier livre car Raven n’osait pas le faire. Une sorte de dernier blocage l’empêchaient de déchainer les forces les plus sombres. Mais ce blocage n’a pas toujours tenu…
Ce fût le dernier scénario avec ce personnage dont le nom fait encore frémir mes joueurs. Ce jour-là, ils étaient tous là, j’avais 10 joueurs à gérer en même temps dans un scénario qui a duré 7h d’affilées ! Face à l’ampleur des ennemis, le dernier verrou en Ezéchiel a sauté, et il a laissé la bible d’ouvrir à la fin. Je suis tombé sur ce funeste passage où il est fait référence aux quatre cavaliers de l’apocalypse. Il a alors ouvert le ciel et en sont sortis quatre esprit. Mes joueurs sont morts ? Non, ils ont tous survécu en montant des plans ingénieux pour bannir ces esprits. Il faut revenir sur la logique du jeu : ce n’étaient évidemment pas les vrais cavaliers, personne n’aurait survécu. Il s’agissait d’esprits modelés par la pensée du prédicateur. Ne minimisons toutefois pas les efforts des joueurs, c’étaient des esprits très puissants. Tous les effets étaient tout de même limités. C’était un mage puissant qui ne se connaissait pas, mais même ses dons n’étaient pas infinis. Ce qui faisait réellement sa force, c’était la partie aléatoire que je lui ai donné.
C’était la dernière apparition d’Ezéchiel Raven, disais-je. Il est mort avec panache. Il était acculé par mes dix joueurs épuisés et décidés à en finir. Laissez-moi vous dire les derniers mots lu au hasard dans la bible : « Il mourut en martyr ». À ces mots, le prédicateur ouvrit les bras tandis que les joueurs lui tiraient dessus avec leurs flingues ou leurs sortilèges. N’est-ce pas la mort qui convenait le mieux ? Un personnage intéressant mais qui n’est pas transposable dans l’univers de l’échelle de Jacob. Je souris encore en voyant les mines décomposées de mes amis lorsqu’ils se rendaient compte que je sortais une bible de mon sac. Je vous souhaite à vous et à vos joueurs de créer des personnages dont tous se rappelleront 15 ans après. N’oubliez pas l’essentiel de tout ceci :
Rêvez,
Faites rêver.
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