SATAN'S BLUES
Que dire de l’an 2000, si ce n’est que la plupart des personnes en parle comme d’une arnaque médiatico-religieuse. L’apocalypse annoncée par les corbeaux de mauvais augure n’a pas eu lieu. Il faut dire que la tache n’a pas été simple pour nous. Mais pardon je manque à tous mes devoirs. Je me présente, je suis le scribe de l’orgueilleux, l’étoile du matin plus connue sous le nom de Lucifer. Ou considérez moi plutôt comme le duc de Saint Simon des enfers. Dans la hiérarchie infernale je suis ce que l’on appelle un diablotin. Comme tous mes pairs je fus jeté du paradis lors de la grande révolte. Mais contrairement aux autres je dois avouer n’avoir jamais été très doué pour le mal. Toutefois, étant un des seuls à savoir écrire à une époque où l’on se contentait de fresques murales pour communiquer, je fus donc gardé auprès de sa sérénissime beauté infernale comme grand archiviste du gotha sous terrain, aide mémoire de mon prince le diable et accessoirement souffre douleur, poste que bien sur j’accepte avec joie et sans contrainte aucune ni peur de représailles en cas de plaintes de ma part. Plaintes qui seraient bien sur injustifiées… et aucunement motivées par l’absence de salaire… mais passons sur ces trivialités. L’ange déchu le plus orgueilleux de tous, mon maître, fût comme vous le savez nommé administrateur de l’enfer par le conseil du ciel dirigé par le président Dieu. Au tout début de ce que vous appelez le 20ème siècle, voyant que les affaires marchaient bien, il décida de s’isoler pour préparer la fin du monde annoncée par Jean le chouchou évangélique du grand patron. Il s’enferma dans son bureau avec ses généraux et votre humble serviteur en laissant comme consigne de ne le déranger sous aucun prétexte sous peine de châtiment éternel. Il est dommage que personne n’eut l’idée de lui désobéir. Nous avons terminé la réunion au début de l’année 1999. Nous étions tous remontés à bloc, bien déterminés à faire du ball-trap avec les anges. Son altesse diabolique sortit en premier du bureau pour recevoir les acclamations des myriades démoniaques et les briefer sur le plan de bataille. Mais à son apparition impérieuse ne répondit que le silence. Personne de visible. Où s’étaient donc perdues les clameurs qu’il attendait? Eberlué par ceci il calma ses nerfs en pelote sur la personne la plus proche. Ma joue garde encore un souvenir cuisant de son courroux. Tout le personnel avait disparu. Pourtant l’enfer était rempli comme jamais, au point qu’on approchait presque de la surpopulation. Il interrogea quelques uns des milliards de pensionnaires damnés à sa charge et ne pu en tirer qu’un seul élément: plus les années passaient plus les employés étaient soucieux et moroses au point de ne plus prendre de plaisir à infliger le châtiment éternel aux âmes déchus. Ils discutaient souvent entre eux à voix basse en regardant la porte close de son bureau et partait ensuite pour ne jamais revenir. Que diable s’était-il passé? (Si vous me permettez cette expression) Le prince de ce monde ordonna alors à tous ses généraux d’aller chercher leurs troupes. Nous attendîmes tous les deux le retour de ses plus fidèles partisans.
Un mois plus tard, ne voyant arriver personne, trouvant le temps long et s’étant lassé de me rougir l’arrière train de sa sérénissime botte, mon maître décida de monter à son tour pour comprendre par lui-même les raisons ayant menées à la défection de ses troupes. Nous sommes sortis incognito de l’enfer par un escalier dérobé. J’avoue avoir été impressionné par ce monde que j’ai redécouvert. Aucun mot ne saurait exprimer ma surprise. Je peux certifier qu’il en allait de même pour mon seigneur. Pour vous tout ceci est banal mais n’oubliez que nous, nous sommes restés enfermés pendant près d’un siècle. Les ordres étant ce qu’ils étaient, nous n’avons pu suivre l’évolution de votre monde.
Son incommensurable cruauté était ravie de voir l’état du monde. Au moins avant de partir les démons avaient fait du bon boulot. Puis un jour, au hasard de nos pérégrinations nous avons croisés le général Azazel. A ce moment mon souverain pontife manqua de défaillir. Non seulement il n’était jamais revenu pour faire son rapport mais en plus il servait des repas pour la soupe populaire! Un de ses démons les plus cruels faisait le bien. Je le vis prendre place dans la queue des malheureux sans se faire voir du félon et une fois devant lui, à quelques centimètres se faire reconnaître de lui. Je plaignais déjà cette pauvre créature. J’imaginais sa peur en revoyant son suzerain. Je me mettais déjà à sa place. Le régent des enfers affichait son sourire le plus mauvais. Sourire qui s’effaça vite face au manque de réaction de son vassal qui semblait pourtant l’avoir reconnu. Bouche bée, le diable se surpris à prendre l’assiette que lui tendit Azazel et alla s’asseoir. A sa place, il se contenta de maugréer que ça ferait au moins un clodo qui n’aurait pas de nourriture tout en mangeant sa maigre pitance et en jetant des regards mauvais. Courageusement je décidais cette fois de rester à distance de lui. La plèbe partie, il s’approcha du judas qui venait de l’assassiner afin de lui faire rentrer ses cornes dans les profondeurs abyssales de son fondement. Avant que son altesse diabolique ne l’ait renvoyé se faire cuire les œufs en enfer, le général lui dit juste:
« _Les temps ont changé patron.
_quoi? – mon maître fût pris au dépourvu
_ben ouais, c’est plus ce que c’était avant. Faut bien se reconvertir – répondit Azazel sur un ton calme – on l’a tous fait d’ailleurs.
_comment ça tous? Tu ne vas pas me faire croire qu’un type genre Sammäel fait comme toi? – demanda l’auguste diabolique
_lui? Il est éducateur pour jeunes en difficultés.
_Et Belzébuth? Me dis pas qu’il a trahi lui aussi – s’enquit l’insondable ténébreux
_Aux dernières nouvelles il fait de l’humanitaire en Afrique
_Mammon ?
_ Secrétaire comptable d’ONG
_Lilith ?
_Elle aide à la réinsertion des prostituées
_Bélial ?
_infirmier bénévole
_Moloch ?
_leader d’opposition pacifiste dans une dictature militaire.
_Marcel ?
_bénévole à la croix rouge
_baal ?
_il a viré bouddhiste. »
Ils ont ainsi passé la nuit à détailler chaque général, archiduc, démons, diablotins, incube, succube et tous les autres employés de l’enfer. Le constat était sinistre. Tous étaient passés du mauvais coté en décidant de faire le bien. Le grand Satan se laissa tomber dans sa chaise et leva sa tête pleine de confusions vers Azazel. Celui-ci se contenta de répondre:
« _les temps ont changé boss. On est devenu inutile.
_Ah ouais?! Et bien je vais vous prouver à tous que vous avez tort bande de… »
Sur ces mots forts, l’empereur du vice me saisit par le col pour nous faire sortir de ce lieu plein de bonté et hurla au monde: « demain sera l’apocalypse ou ne sera pas.» ce à quoi un quidam hurla à la fenêtre: « ta gueule! Y’en a qui veulent dormir! ». Le prince de ce monde s’emporta et promit à ce pauvre hère la damnation éternel, ce qui attira la maréchaussée et nous valu de passer la nuit au poste.
Il me semble intéressant de vous raconter ce qui s’est passé cette nuit là. J’ai du rappeler à son altesse démoniaque qu’il était là incognito et que par conséquent massacrer les forces de l’ordre ne représentait peut-être pas le moyen le plus efficace pour rester discret. Il en convint et resta donc calme tandis que les menottes nous étaient passées. Arrivés au commissariat, nous fûmes conduit vers nos cellules. J’eus alors une pensée mélancolique pour la maison… Mon suzerain maléfique s’était tu tout le trajet. Connaissant ses réactions je m’attendais donc à le voir exploser lorsque nous serions tous les deux seuls. Par chance (pour moi) nous eûmes un compagnon de cellule. N’étant pas très coutumier de votre monde je fus, je l’avoue, déçu par celui-ci. Je m’attendais à voir comme incarnation du crime un rebelle tatoué en cuir bardé de cicatrices qui tenterait par des bravades de nous faire comprendre que nous serions ses esclaves pour le reste de la nuit. Au lieu de cela il s’agissait d’un jeune homme modèle pantalon en velours côtelé, grosses lunettes, raie au milieu et tête de puceau premier de la classe. L’objet de toutes mes idolâtries s’était mis dans un coin de la pièce et marmonnait des choses que le bon goût m’interdit de citer sous peine de poursuites potentielles pour atteinte aux bonnes moeurs. Le jeune homme, afin de passer le temps, lui demanda innocemment pourquoi il avait été embarqué. Le seigneur des succubes lui cracha au visage:
« _je suis le diable et je viens détruire le monde.
_trop cool! Répondit le jeune ringard, les yeux pleins d’étoiles
_quoi? Ne pu que répondre mon sire diabolique face à cette inattendu démonstration de joie
_Ouais sérieux j’adore le diable! Renchérit le boutonneux
_Tu fais donc parti de mes fidèles, dévoué corps et âme à faire chuter dieu? Demanda le seigneur des maux de sa voix de baryton abyssale.
_Et comment! Y’a un de mes personnages qui sert le diable dans le jeu de rôle « château et licorne »! S’emballa l’attardé.
_quoi? Réitéra le mal personnifié.
La tension était palpable dans cette cellule. Mon patron qui pensait enfin avoir une petite joie chuta de nouveau du paradis. Nous étions tombés sur la pire engeance qui soit. Un joueur de jeux de rôle appelé communément un roliste. La population la plus inutile, la plus stupide et la plus infantile qui soit. Au point même que le patron des enfers avait du interdire à ses troupes de pratiquer cette occupation trop maléfique pour lui. En effet les démons passaient plus de temps à jouer qu’à bosser. Précisons tout de même que contrairement à ce que disaient certains journalistes, ces jeux ne sont pas dangereux pour la vie des joueurs mais plutôt pour leur vie sexuelle. J’avoue n’avoir jamais vu autant de frustrés qu’en passant devant les boutiques qui commercialisent ces jeux hautement subversifs. Mais pardonnez moi cette digression et reprenons le cours de ce récit trépidant. Notre âme innocente reposa une question:
« _Et t’as quoi comme pouvoir t’as combien en classe d’armure t’as combien en attaque en mêlée tu gardes combien de dés lors d’un jet d’attaque t’as acheté le supplément qui parle de toi c’est quoi ton alignement t’as combien de point de vie tu fais quoi sur un échec critique t’es plus fort qu’un dragon c’est quoi ton score en épée à deux mains…. »
Et là, ce fût le drame. En venant nous chercher, l’inspecteur demanda où se trouvait le type qui était avec nous. Le prince de l’obscénité se contenta de répondre: « en enfer ». Le représentant de l’ordre haussa des épaules, nous fis sortir de la cellule, nous fis asseoir, s’installa de l’autre côte de la table, fis craquer ses doigts pour se préparer à marteler son clavier et commença à interroger mon maître qui lui répondit passablement énervé:
« _nom?
_Satan
_prénom?
_Lucifer
_lieu de naissance?
_Paradis
_date de naissance?
_il y quelques millions d’années ça dépend des cultures
_Statut familial et matrimonial?
_en rupture familial. Marié à babylone. Futur père de l’antéchrist.
_Profession?
_accusateur des hommes, ennemi de dieu, prince de ce monde
_Ca correspond à quoi?
_marquez cadre sup’
_domiciliation?
_Pandémonium
L’inspecteur lui fit relire puis signer son amende. Il se tourna ensuite vers moi toujours sans sourciller.
_nom?
_démoniaque
_prénom?
_être
_lieu de naissance?
_paradis
_date de naissance?
_même chose mais je préciserai pour l’occident que tout dépend si on se base sur le calendrier grégorien ou le calendrier julien
_situation familiale et matrimoniale
_rupture familial aussi. Célibataire sans enfant
_profession?
_Esclave du malin, scribe des enfers, souffre-douleur de sa sérénissime malfaisance que voici.
_c’est à dire?
_attaché de presse ça revient au même.
J’ai signé à mon tour. Il nous a expliqué comment régler notre amende pour tapage nocturne nous fit sortir en nous menaçant de vives représailles « s’il nous reprenait à faire chier les honnêtes gens ». Une fois sortie, le souverain abominable entreprit de pousser de nouveau une clameur à la face du monde quand l’inspecteur passa la tête par la porte et gronda: « qu’est c’qu’j’t’ai dit? » nous sommes donc partis sans demande notre reste, la bouche cousue mais déterminés à détruire ce monde où vraiment plus rien n’allait.
En désespoir de cause, le patron et moi sonnes remontés au paradis afin d’y voir le big boss, dieu le père créateur de toutes choses. J’avoue avoir été un peu nerveux à ce moment là. En effet mon dernier souvenir remontait à un coup de pied divin dans mon postérieur démoniaque lors de l’échec de notre OPA sauvage il y a quelques millénaires de cela. Satan lui avait pu remonter de temps en temps pour les réunions du conseil d’administration céleste/tellurique. J’ai donc pu emprunter pour la première fois l’échelle de Jacob. D’échelle il s’agissait en fait d’un ascenseur diffusant de senteurs de vanille ou de soufre et passant en boucle « stairway to heaven » ou « loosing my religion », tout ceci selon la destination. Quand j’ai commencé à fredonner, sa sainteté maléfique m’a foudroyé du regard. C’est donc en silence que nous sommes montés au septième étage. Mon prince ténébreux qui pensait avoir tout vu resta encore une fois tétanisé par le spectacle qui s’offrit à nous. Les portes du paradis étaient fermées! Sur une simple pancarte plantée dans un nuage était écrit: « suite au rachat de Paradise Corporation par Bouygues et Endemol, le ciel est fermé jusqu’à la fin des travaux ». Sa ténébreuse majesté à bout de nerfs chercha du regard quelqu’un à frapper. Je fus heureusement sauvé de son ire vengeresse par l’arrivée du concierge, plus connu sous le nom de saint-pierre suivi de sa vieil Némésis, son coq. Il était encore en robe de chambre, l’haleine chargée, mal rasé et les yeux crottés. Le bruit de cet ascenseur qu’il n’avait apparemment pas entendu depuis longtemps l’avait sorti de sa léthargie. Il s’était précipité vers nous avec les clés du paradis en main et son discours de bienvenue qu’il avait répété pendant des siècles. Voyant que ce n’était que nous, il laissa couler une larme de dépit et retourna se coucher dans sa loge. Mais son ignominie hécatonchire ne l’entendait pas de cette oreille. Il se précipita vers lui, le souleva par le col, lui asséna un aller retour de baffes qu’il contenait depuis le début de cette sinistre affaire et lui demanda ce qui était arrivé en son absence. Le premier pape lui confia piteusement qu’il ignorait ce qu’il en était exactement. Tout ce qu’il savait c’est que le paradis avait été racheté, que toute l’équipe divine avait été remerciée. Lui n’avait été gardé que pour l’entretien des locaux. Et dieu dans tous ça? Apparemment il avait profité de son golden parachute pour acquérir un petit pied-à-terre aux seychelles. C’est vrai qu’en y repensant, la prime de licenciement de dieu avait du être multipliée par trois. Comme auraient si bien pu dire les jeunes gens que nous avons pu rencontrer, Satan était « grave vénère, il avait les boules sa mère ». Non seulement il n’avait pas été mis au courant du rachat de la boite, mais surtout des humains avaient réussi là où il avait échoué. C’en était vraiment trop. Il renvoya un revers au concierge, donna un coup de pied au coq qui suivait celui-ci depuis 2000 ans, me balança dans l’ascenseur, explosa les enceintes musicales et appuya rageusement sur le bouton du rez-de-chaussée.
Vu que maintenant un ange ou un démon dans le ciel se fait abattre a vue par des maniaques de la gâchette, nous avons du prendre en retournant sur terre un avion en direction des seychelles. Le hasard faisant, nous sommes tombés dans l’avion sur un groupe de touristes néo-goth/néo-metaleux/néo-sataniste/néo-ringards revenant d’un concert de Marilyn Manson et hurlant: « c’est notre antéchrist! Le véritable Satan maître de ce monde! ». Quelle ne fut pas la surprise de l’équipe de débarquement lorsqu’elle ouvrit la porte que de voir un troupeau de porcs portant des t-shirts cavaler dans tous les sens. Tour pendable et puérile mais au moins le patron avait pu se défouler un peu. C’est un vieux truc qu’il avait appris d’une de ses ex, une certaine circé. Après un périple interminable qu’il serait ennuyeux de décrire, nous sommes donc arrivés devant la nouvelle demeure d’el pater de tous les patrons. Nous avons sonnés. Stupeur. Encore saint-pierre! Sa sérénissime maléficience, au comble de l’exaspération, lui demanda ce qu’il foutait là et comment il avait pu arriver ici avant nous. Le nouveau portier se contenta de répondre que le boss l’avait réembauché. Et pour venir, il a juste pris l’échelle de Jacob en tapant le bon code. Sans dire un mot, Satan le changea en poule, ce qui ravit le coq en rut qui le suivait depuis deux millénaires. La transformation achevée, Satan partit dans un grand rire en déclarant : « maintenant il n’y a pas que tes casseroles que t’auras au cul ». Son Impossible Indulgence, face à l’air atterré que j’affichais face à ce trait d’humour pathétique, reprit sa contenance et me demanda de couper ce passage de ses mémoires. Contrairement à certains je ne coupe pas au montage. Bref nous sommes entrés dans la majestueuse demeure. La trouvant vide nous sommes dirigés vers la plage privée. C’est là que nous vîmes la sainte trinité entrain de se faire bronzer assise dans des transats. Transat de droite le père, transat de gauche le fils et transat du milieu le saint esprit. Son altesse diabolique s’avança:
« _bonjour dieu, commença-t-il.
_Salut Lucifer – répondit joyeusement en chœur sa sainte trinité – Que puis-je pour toi?
_ Je tacherai d’être clair et concis dans la requête que je t’adresse, père de toute vie… c’est quoi ce bordel au paradis! », Hurla le seigneur du mal furieux de tant de désinvolture.
Surpris, le père se tourna vers le saint esprit et lui demanda :
« _Ne t’avais-je pas demandé de le prévenir? Tu vois dans quelle situation tu me mets maintenant?
_et moi je te rappelle que tu es moi. Donc tu aurais très bien pu faire la commission toi aussi. On est en partenariat. Un tiers chacun. Donc je n’ai pas d’ordre à recevoir de toi. C’est marqué dans les conventions collectives de la Paradise Corporation. Et puis t’avait qu’à envoyer ton fils, qu’il serve à quelque chose ce bon à rien – déclara l’esprit saint sur un ton laconique.
_On se calme les vieux – dit Jésus qui décida de s’immiscer dans la discussion – déjà tu ne me parles pas sur ce ton parce que je te rappelle que ce sont tes brillantes idées qui ont fait couler la boite. Alors on reste zen et on communie avec nous même dans la joie, la bonne humeur et le respect du seigneur.
_Pour une fois je suis d’accord avec l’esprit saint – répliqua le père à son fils– si tu avais bien fait ton boulot la première fois on en serait pas là!
_Vieux con – marmonna le fils
_puceau – lui répondit son père
_on devrait organiser un conclave spécial pour en discuter et soumettre une décision au vote – proposa le saint esprit
_Ta gueule Birdy » – lui hurla en chœur le père et le fils.
Comme de coutume la discussion s’éternisa entre ces divins éternels. Ils s‘invectivaient en oubliant notre présence. Le comble fut atteint lorsque Jésus lâcha un pet après avoir hurlé « tiens! Le voila l’esprit saint! », a quoi l’esprit répondit par un tonitruant « sale petit enfant de lui-même ». A ce niveau de ce récit plus que navrant je me permets une digression pour expliquer cette situation absurde. Comme vous le savez, dans l’ancien testament dieu est unique. Dans la suite qui en a été faite il était toujours unique mais en étant trois cette fois. C’et ce qu’on appelle le mystère de la trinité. Sur papier c’est pas mal, mais ce n’était pas ce qu’avait dit jésus à la base. D’après ses propos d’origine il étaient trois et divisibles. Dieu le père, son fiston et l’esprit. Mais les apôtres n’étaient jamais redescendus de leur cuite des noces de cana. Du coup ils ont tout mélangés. L’erreur aurait pu être réparé si jésus n’avait pas fait du zèle en établissant un postulat avec saint pierre: « ce qui et vrai sur terre le sera au paradis ». Résultat, si les apôtres écrivent que les trois sont un et indivisibles alors cela devient une vérité. Voici donc la raison pour laquelle le père, le fils et le saint esprit se retrouvent coincés dans la même identité. Lors de la naissance de la psychanalyse, ils tentèrent une thérapie familiale afin de soigner leur petit souci de schizophrénie. Catastrophique. Sans succès. Ce fut surtout dure lorsque le psy leur parla du complexe d’Œdipe, le coup de tuer son père pour coucher avec sa mère. Vu leur relation je vous laisse disserter sur ces complications. Mais je m’égare. Leur dispute éternelle enfin achevée, le père fut choisi comme porte-parole et expliqua enfin à mon patron ce qui est arrivé au paradis.
Depuis quelque temps déjà, les âmes cessaient de se bousculer aux portes du ciel. De moins en moins de monde pouvaient rentrer. Au point que pierre le physionomiste avait reçu comme consigne d’être moins regardant sur la clientèle. L’autre problème étant que les cultes monothéistes principaux et centraux recevaient de moins en moins de donations directes. Tout l’argent allait dans leurs succursales qui refusaient de cotiser comme au bon vieux temps. N’oublions pas pour avoir un constat clair de la situation la concurrence déloyale des églises nouvelles et autres sectes Même le pape, el capo dei tutti capi, qui attirait plein de monde à ses meetings n’arrivaient plus à refourguer tout le marchandising. Puis vint donc la banqueroute finale. Un partenariat avec d’autre dieu étant devenu impossible, la plupart étant morts, alcooliques où avaient vendu leur nom pour lancer des marques de luxe. La seule façon était de trouver un acheteur pour sauver les meubles. C’est ici qu’intervinrent Bouygues et endemol. Ils firent une offre qui ne se refusait pas. Après de sévères négociations, ils rachetèrent la boite, ses locaux, renvoyèrent tout le personnel et filèrent une grosse prime à la sainte trinité. Mon Prince du mal était effaré. Il s’était allongé sur le sable et regardait le ciel. Il demanda tout de même à dieu pourquoi ces deux entreprises partenaires voulaient racheter le paradis. En entendant la réponse il regretta d’avoir posé la question. Un des producteurs avait trouvé une idée géniale: lorsqu’une personne meure, on fait voter le public par téléphone, sms ou mail pour savoir si elle va au paradis ou en enfer. Gros programme avec des quotidiennes où on filme l’agonie et des primes chaque week-end permettant d’assister à la mort en direct du concurrent. Gros, gros, suspense puisque se sera à la dernière seconde, à son dernier souffle, que le candidat saura si le public l’envoie au paradis ou en enfer. Grosse, grosse, grosse possibilités de recycler ceux qui sont entrés au paradis en faisant ensuite voter chaque semaine les téléspectateur pour savoir qui sortira du royaume pour rejoindre l’enfer après des nominations pré-établies jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus qu’un seul.
Le père, le fils, le saint esprit et moi-même étions anxieux. Comment allait réagir sa majesté méphitique à ces innovations? Un long moment s’écoula. Le soleil eut le temps de se coucher. Le prince des anges déchus n’avait toujours pas esquissé le moindre mouvement. Le saint esprit s’approcha de lui, lui tendit un chèque en lui disant que en tant que ancien administrateur de l’enfer, ils avaient également négocié pour lui une compensation financière assez large pour ses vieux jours. Celui qui fût connu comme l’étoile du matin se leva et dans la nuit s’éloigna sans le chèque et sans un mot.
Il me reste juste à répondre à votre dernière question pour achever ce récit. Qu’est-il devenu? Aux dernières nouvelles il vient de prononcer ses voeux pour devenir prêtre. Et moi? Gros malins, si vous me lisez c’est que je suis devenu un écrivain à succès.
Laisser un commentaire