Ma nuit du Jabberwock
Je pensais rédiger et publier ce sujet hier soir, dans la foulée du concert de Jabberwock. Je pensais initialement les voir à la fête de la musique, assister au premier set et rentrer avec le dernier RER, à trois stations de chez moi. Je pensais à beaucoup de choses futiles. J’ai eu la chance d’assister à leurs deux sessions et je suis rentré, toujours par le fiacre du pauvre, mais en prenant le métro et son cortège de correspondances et de promiscuité. Suprême horreur. Vous me demanderez alors : « mais Révérend, pourquoi vous êtes vous infligé une telle souffrance ? » Parce que je ne pouvais pas quitter plus tôt ces lieux; aussi bien mon corps que mon esprit s’y refusaient.
J’avais parlé il y a un certain temps de ce groupe (voir ce sujet). Je les ai enfin revu depuis ; c’était lors d’un concert au Klub, un ancien lieu de haute débauche reconverti en salle de concert. Je les ai retrouvé avec joie et j’ai en même temps découvert un autre groupe, la « Machine Band » (je leur dédierai prochainement un sujet). Manque de sous, manque de temps, je n’ai pu assister aux concerts suivants, mais il était hors de question que je les rate à la fête de la musique. Voici ma chronique d’une nuit :
Ils jouent devant le Guilthi’s, un bar au cœur de paris. Outre le nom de ce lieu qui fait mouche pour votre irrévérencieux Révérend, il est important de citer ceux qui mettent en avant la musique. J’arrive devant le bar et vois les musiciens entrain de s’installer. Je n’ose pas les déranger ; puis décidé à ne pas faire comme il y a quelques années je m’avance timidement. Mon objectif est simple : je n’ai toujours pas leurs albums. La discussion s’engage, ils sont adorables. Ils me remercient d’acheter leurs albums, mais c’est moi qui leur suis reconnaissant. Xavier, le bassiste, me parle de la performance qui aura lieu en collaboration avec Philipp Chekler. Lena, la chanteuse, m’indique qu’ils commenceront d’ici une demi-heure, le temps de terminer et de se changer. Je me ballade un peu dans le quartier en espérant trouver de quoi m’occupe en attendant. Je m’attarde devant un groupe de percussions brésiliennes. Plaisant mais je ne suis là que pour une chose. Je ne tarde pas à revenir. Je me pose et déballe avec gourmandise les deux albums. Le refrain de Bombzilla jaillit. J’ai déjà le sourire aux lèvres alors qu’il ne s’agit que des réglages. Puis vient l’instant où les notes explosent, le public est là.
Laissez-moi vous présenter les créatures de Jabberwock. Ils sont toujours ce look de cadres bancaires propres sur eux… en apparence. Leur musique nous plonge quelque part entre l’ambiance des cabarets dégénérés et l’esthétique cold-wave . Tout est possible au delà des illusions :
Léna, la chanteuse au tailleur strict : Souvent, le terme de super-nanny ressort pour la décrire. D’ailleurs pendant le concert, un mec passe et braille « soutenez super nanny ! ». Une gouvernante ? Peut-être, mais une gouvernante de l’ère industrielle à qui il vaut mieux obéir. Mais elle est plus que cette simple image : elle est une sirène qui nous attire , qui se fait banshee et dont le cri primal nous dévoile une autre réalité qui nous sauve et nous tue à la fois.
Xavier, le bassiste, un lutin malicieux qui jaillit tel un diable de sa boite et dont la présence se fait celle d’un géant bousculant tout sur son passage. Une force tellurique joyeuse qui nous plonge dans l’obscurité avec le sourire. Un farfadet pareil au joueur de flûte de Hamelin.
Corrado, le guitariste, imperturbable statut du commandeur, Charon industriel, passeur prêt à recueillir nos âmes. Il est encore tôt pour ce premier set, les enfants ne sont pas encore couchés. Tout en jouant et en nous emportant vers le Styx, on voit de temps en temps son regard fureter dans la foule et vérifier que les enfants ne se perdent pas ou ne font pas de bêtises. Le public est aussi un enfant prêt à écouter ses contes.
Teddy aux claviers, l’homme machine : il agrippe à son synthé ou est-ce son synthé qui le tient ? Il semble possédé , par moment son regard se fixe, puis il part dans des mouvements frénétiques qui me rappellent « la danse du papillon crevé ». J’entends un mec à ma droite dire à son épouse « il fait peur le mec aux consoles ».
Le nom de leur groupe est mythique, eux même sont des caractères qui s’incarnent sous nos yeux. Les membres du groupe ont l’air de regarder chaque spectateur dans les yeux. À chaque fois que j’ai l’impression que ça tombe sur moi, je détourne les yeux. Un réflexe de pudeur, je ne veux pas me laisser totalement aller. Illusion.
Le public est varié, on retrouve de tout : punk à chien, jeune babos, bobo parisien, pute à frange, daron africain, wesh-wesh, gay peroxydé, Révérend, habitué du PMU, cadre moyen, retraité etc. Petit à petit les gens sortent leurs portables, prennent des photos et filment. Ceux qui ont rendez-vous ailleurs ou qui ont envie de voir un maximum de choses ne partent pas sans prendre spontanément des flyers pour ne pas oublier ce groupe. Je vois même un papy s’avancer, en prendre un pour lui et un autre pour sa femme, une petite grand-mère tatchérienne choucroutée. Leurs visages ridés sont illuminés par une grosse banane. C’est ici que réside la vertu d’événements comme la fête de la musique : on prend du plaisir, quelque soit son origine ou son statut, avec ce qu’on n’aurait jamais cru pouvoir aimer. Soyons curieux en toute chose et gardons toujours les bras ouverts. Le concert et diabolique. Le calligraphe Zen, Philipp Chekler, s’inspire de la musique et dans une performance picturale donne vie à la toile. Le public inconnu réagit bien et se laisse d’autant plus aller durant la reprise de The Freak ; les cœurs s’emballent, les musiciens donnent tout tandis que la banshee nous fait sortir de nos corps : nous sommes des freaks entre leurs notes.
Ils font une pause bien méritée ; la foule ne se disperse pas tout de suite. Un certain nombre de personnes restent. J’entends des notes au loin. Je me dirige vers elle et découvre un ensemble jouant devant l’église : de la pop chrétienne inoffensive. Je fuis tandis que le chanteur commence à citer le livre d’Ézéchiel. Je quitte cette musique démoniaque pour rejoindre mon paradis. J’en profite pour remercier de nouveau ces monstres. Il me manque toutefois quelque chose. Je demande timidement à Xavier : « Et Bombzilla ? » Il me dit que c’est pour le prochain set. Je remercie également Teddy, on discute et on raconte des conneries. Des amis à lui qui se promenaient dans le coin en quête d’un concert de jazz tombent sur lui. J’en profite pour faire la bise à Jacques et à Émilie si par hasard ils parcouraient cet article. On sympathise et nous passons le reste du concert ensemble. Le set reprend, petit à petit la nuit tombe et le public se débride.
Comment diable trouvent-ils cette énergie ?! Ils sont aussi déchaînés que lors de leur première prestation! Les gens se rassemblent et se ressemblent dans un good trip collectif. Enfin Bombzilla, je vibre, je tremble face à cet hymne qui m’a traversé il y a des années. Le morceau se finit, je me grille une clope ; elle a autant de saveur que la clope après l’amour. Mais non content de provoquer un moment de plaisir, ce sont des orgasmes en continu que nous procurent ce groupe. Comme le disait si bien Jacques que je me suis promis de citer : « ça ventile sous la soutane » (j’adore!) Mais comme dans tout instant de plaisir, il y a parfois des petits « accidents ». D’un coup le groupe s’arrête. On ne comprend pas. Tous regardent dans la même direction. Xavier interpelle calmement mais fermement quelqu’un dans la foule. Apparemment, une personne est devenue plus qu’agressive ; un coup a volé. Le silence dans la rue. L’importun fait mine de se calmer. Certains essayent d’applaudir et lancent des « jabberwock ! » pour que le spectacle continue. On comprend que le groupe ne repartira pas tant que l’agressif ne partira pas. Lena, d’une voix calme, posée mais d’une grande détermination dit « vous pouvez partir s’il vous plaît ? » le petit coq n’est plus qu’un poussin pris en faute. Il pense qu’en se mettant dans le coin et en baissant la tête, tout ira bien. Il comprend que le groupe ne plaisante pas. Il s’en va. L’incident est clos par ces mots de la chanteuse « amis relous bonsoir ». J’ai un respect plus grand encore pour ce groupe suite à la gestion de ces incident somme toute classique. Certains auraient laissé pourrir ou se seraient planqués derrière leurs instruments l’air de rien. Le concert reprend. Il y a quelques secondes de flottements, mais rapidement l’alchimie précieuse nous inonde. De nouveau le public est envoûté et toujours aussi éclectique. Derrière moi, un groupe de d’jeun’s à casquette que je devine venir du coin où je vis s’éclate autant que les métalleux. De nouveau the Freak ; je vois un groupe de jeunes filles courir vers la place en dansant. À un autre moment, un car de touristes passe : les touristes à l’étage se lèvent et acclament le groupe. Personne ne résiste. Des gens qui ne se connaissaient pas s’éclatent et dansent ensemble dans la rue. Qui aurait cru que de l’indus agressif, la dark-wave ombrageuse, puissent réunir une foule aussi diverse et variée ? J’en profite pour remercier la jeune inconnue qui m’a offert un verre de muscat et lui présente mes excuses pour lui avoir révélé que je n’étais pas un vrai prêtre (mon style vestimentaire s’y prête). À un moment, je réalise que le monde autour de moi bouge, que le sol n’est plus tout à sa place ; il est toujours là. C’est moi qui bouge. Comme tous les timides pathologiques accrochés à leur image, je ne danse pas. Les rares moment ont été hélas immortalisés et bien évidemment , vous n’aurez jamais accès aux vidéos. Je me suis fait avoir, et sans m’en rendre compte, je traverse le seuil. Le concert s’achève dans la folie, ils nous ont fait passer de l’autre côté du miroir. Vous comprenez pourquoi je ne pouvais pas partir après le premier set : après un shoot, on en veut un second. Heureusement , j’ai à présent leurs deux albums pour prolonger le plaisir.
Les salutations faites, je me dirige vers les transports en commun. Sur le chemin, un jeune homme m’interpelle et me demande : « mon père, prenez moi dans vos bras pour me faire un câlin » Je m’exécute, surpris, mais de bon cœur. L’accolade effectuée, son ami, un jeune homme mignon au look et aux dents de vampires me demande la même chose. Je m’exécute de nouveau. Pourquoi je raconte ceci ? Et bien j’ai l’habitude qu’on me prenne pour un prêtre, et j’entretiens cette confusion. Mais cela est plus marqué à certains moments: lorsque je suis heureux, lorsque je me sens vivant. C’est ce que permettent les artistes. Jabberwock, ils ont très bien choisi leur noms : Ils m’ont fait relire le livre de ma vie dans un miroir, et j’y ai lu le plus beaux des concepts : « altérité ». Je sais que je ne suis pas le seul ce soir, même si tous ne formaliseront pas ceci avec la même emphase que moi, et sans doute avez vous ressenti ceci ce soir du 21 juin 2011 avec les groupes que vous avez vu. Un grand merci à eux, encore une fois. Merci pour cette première découverte sur le boulevard Saint Michel il y a 5-6 ans. Merci pour leur générosité et leur énergie. Je ne le dirais jamais assez. Je n’ai qu’un seul regret : ne pas avoir pu filmer ce concert pour que vous puissiez appréhender au delà de mes mots leur réalité. Les photos de cet article proviennent de leur site et de leur page sur Facebook. En ce qui concernent les vidéos, ce sont celles d’anciens concerts glanées sur le net.
Ce matin, j’ai écouté les deux albums. Mon petit copain n’étant pas très fan de ce genre de musique, je l’ai épargné en mettant mon casque. Oui, je sais, c’est moi le noir qui écoute du rock, du métal et de l’indus, et c’est lui le blanc qui écoute du hip-hop et du jazz. En même temps, c’est moi qui lui ai fait découvrir la charcuterie, le fromage et le bon vin, et lui en retour m’a fait découvrir le KFC (je crois que je me suis fait avoir…) J’étais donc ce matin entrain d’écouter tout en faisant deux trois choses sur internet quand mon chevalier servant s’approche et me dit « Mais ?! Tu danses ?! » (je vais en entendre parler pendant longtemps) Ceux qui me connaissent savent que pour me faire bouger, il faut y aller en alcool et en persuasion. Si à jeun je l’ai fait, c’est que ces deux albums, l’éponyme et Sweet Limbo sont des petits bijoux. Écoutez-les sur leur site et sur Myspace, trouvez leurs vidéos sur le net, mais surtout, venez les voir en concert. Vous aussi passez de l’autre côté du miroir avec vos ombres, vos cauchemars; vous en ressortirez avec quelque chose de plus. Derrière cette musique électronique se cache quelque chose de précieux : nous.
En tout cas, Jabberwock n’est plus un fantôme pour moi. J’espère qu’il se sera de même pour vous.
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