Lettre parisienne
Chèr(e) ami(e)
Cela fait si longtemps que je ne t’ai pas écrit et j’ai beaucoup de choses à te raconter tant les changements dans ma vie ont été importants. Pour être plus parlant, je joins quelques photos à cette carte postale. J’ignore si, au moment où tu la recevras, tu seras en vacances ou non. Si c’est le cas, je t’en souhaite de bonnes ; si ce n’est pas le cas, prends patience.
J’ai enfin quitté Saint-Denis, troquant mon statut de dionysien contre celui de parisien. Si cette ville n’était pas dénuée de certains charmes enivrants, il était vital que je fuis aussi bien les problèmes qui lui sont inhérents que les problèmes de logement auxquels j’avais fait référence dans une précédente missive sur un peintre que j’affectionne – ces soucis sont allés en s’aggravant de manière exponentielle. Comme je répondais à un certain Cardinal me prenant par l’épaule et me demandant si à présent j’étais bien : mon bonheur est aussi grand qu’était mon désespoir il y a peu.
Mais passons sur ces mauvais souvenirs. J’ai tant de choses à te dire que je ne sais par où commencer ni si j’aurai assez de place. Je sais ! Je vais commencer par le panache ! Te souviens-tu du recueil auquel j’ai participé sur la dentelle ? Tu seras aussi surpris que moi de savoir que tous les exemplaires sont partis ! Ne sois pas déçu(e) de ne pas avoir ton exemplaire ; que dis-je ?! Regrette ! En attendant une éventuelle réédition, je vais publier ma collaboration sur le rêve-errance avec l’accord de mon éditrice faiseuse de rois. Si toutefois tu tenais, à raison, à obtenir ce recueil, envoie un mail à l’association Racine et Icare. Si les demandes sont suffisantes, peut-être qu’il ressortira. À défaut de pouvoir vous procurer ce livre, jetez un coup d’oeil à leur catalogue, notamment au livre du camarade Pierre Dupuis. La consécration pour moi fut un aller-retour au Havre pour ma première séance de dédicaces ! Qu’il est étrange de signer des livres, comme c’est grisant. Cela n’a duré qu’une journée mais je garderai ce souvenir à vie. Mais revenons-en à Paris.
Je suis dépaysé sans l’être réellement ; si la vie est différente, l’architecture est semblable à ce que j’ai connu ces cinq dernières années. Saint-Denis est une ville historique, son centre est épargné par l’architecture des villes nouvelles de banlieue. Entre le XIIème arrondissement où je vis à présent et le tombeau des rois de France, il n’y a qu’une basilique de différence. Étant situé à l’une des portes de Paris, je retrouve également un tramway et la proximité du périphérique que je traverse pour me rendre dans un centre commercial ; cruel constat que de se dire qu’on est du bon côté du periph… L’avant-dernier jour de mon déménagement, réveillé trop tôt, je suis sorti aux aurores pour une dernière promenade. Les rues vides du vieux Saint-Denis m’ont rappelé l’amour que j’avais pu éprouver pour ces lieux ; brève séquence nostalgique interrompue par un soudain « wesh je te ne nique ta race » au détour d’une rue (véridique) suivi d’un début de course-poursuite en voiture (tout aussi véridique)… Tout n’est pas si négatif dans cette ville ; je pense particulièrement aux commerçants du quartier piétonnier. Mon conjoint avait un petit tour pour leur demander s’ils pouvaient nous laisser des cartons vides pour notre déménagement. Non seulement ils ont accepté gentiment mais ils lui ont en plus fait des cadeaux (une bouteille gratuite par ci, un paquet de tabac par là etc.) DE mon côté je n’ai dit au revoir qu’à certains ; excès de pudeur. Ils se sont toujours montré souriants, aimables dans un contexte pas toujours facile. Pour moi, ils sont l’honneur de cette ville qui déborde aussi de bonne volonté et de sourires. Je suis parti fâché alors mon expérience est loin d’être la seule vérité.
Mes baguenaudes actuelles sont parisiennes. J’ai envie de vous raconter l’une d’elles survenue les premiers jours de ma nouvelle vie. Je rentrais du travail en empruntant comme chaque jour cet effroyable RER D, m’arrêtant à présent à Gare de Lyon pour récupérer un premier métro pour une station puis celui qui me mènera chez moi. Trouvant dommage de m’enfermer pour une station – vous connaissez mon désir d’air – j’ai tenté de rejoindre Bastille et sa place révolutionnaire. N’étant pas coutumier de la gare lyonnaise, j’ai emprunté la mauvaise sortie. Je t’entends déjà te moquer de mon légendaire sens de l’orientation pareil à celui d’un opossum neurasthénique perdu sur la banquise. J’ai tourné avec la patience d’un shadock pompeur jusqu’à ce que le hasard me mène aux quais de Seine et au « Grand marché d’art contemporain ». Heureuse perdition que la mienne : au lieu de rentrer directement j’ai flâné parmi les stands, contemplant de belles œuvres et discutant avec des artistes aussi timides que talentueux. Lesquels ? Ô mais patience, j’en parlerai bientôt dans ce café où nous nous retrouvons habituellement. Depuis, je me déplace à pieds jusqu’à la gare de Lyon ce qui me prend un peu moins de trente minutes. Une petite demi-heure de marche le matin en allant travailler, une demi-heure au retour ; c’est un luxe de le faire en sachant que si je voulais je pourrais prendre les transports. Je flâne et découvre chaque jour mon nouvel environnement. J’erre car j’en ai besoin.
Peut-être l’ignores-tu, mais là où j’ai grandi – la sympathique petite bourgade d’Antony – j’avais pour habitude d’arpenter « La coulée verte » de jour comme de nuit. Je me posais toujours au même endroit comme une gargouille togolaise pour lire et écrire – la nuit tous les révérends sont gris- et honnêtement, cela me manque. Imagines-tu que j’aurais pu faire de même dans la ville que je viens de quitter ? Me balader en pleine nuit à Saint-Denis et accessoirement rentrer en un seul morceau ? Je viens de réaliser que je ne suis à présent qu’à dix minutes du bois de Vincennes. À chaque instant, ces lieux prompts à la contemplation me sont ouverts. Je trouve plus souvent l’inspiration en marchant qu’en écrivant assis à mon bureau ; peut-être est-ce une des raisons de mon affection pour le personnage du « Juif Errant ». Je marche sans cesse en quête de mon Île-où-les-rois-se-reposent, chaque pas de ce pèlerinage perpétuel m’en approche.
Mon intérieur me satisfait autant que mon extérieur bien que la décoration finale soit très loin de celles que j’imaginais en arrivant. Je pensais à bien des choses pour décorer mon antre révérencielle, me faisant mentalement champion de la décoration d’intérieur. Je m’imaginais une sobriété dans mes traditionnelles teintes noires et blanches pour ensuite rêver de variation andalouse. Il est finalement amusant de constater que les finances ne sont jamais à la hauteur de l’imagination. Pensais-tu réellement que je me contenterais de’un cloître en gris obscène ? Mon Révérend-consort et moi-même sommes loin d’avoir fini, mais nous avons en fin de compte quelque chose qui nous ressemble : un lieu sympa pour accueillir nos proches. L’ambition ne saurait supplanter nos vérités, c’est finalement plus proches de ce que nous sommes.
Mais je m’égare car je voulais te parler de mon intérieur pour partager avec moi un moment enchanteur. Nous avons la chance d’avoir de grandes fenêtres, du sol au plafond, nous offrant une belle lumière donnant sur le parc de la résidence. Nous sommes arrivés tandis que les arbres étaient en fleurs. Un jour il y eut tant de vent que cette cour était envahie par une tempête de pétales roses. je me suis juste assis par terre devant la fenêtre et j’ai regardé. Cela a duré un bon moment mais la journée entière aurait été trop courte, touché que j’étais par cette vision.
Le fait d’avoir changé de lieu de vie me fait aussi changer de vie, j’ai maintenant plus « de temps de cerveau disponible » pour m’occuper de l’Orpheo Mundi et de ma plume. C’est avec plaisir que je rédige ce que vous lirez bientôt. Je vais pouvoir m’occuper de mon futur à présent que le passé est assimilé et qui sait, peut-être sauras-tu pour qui voter aux prochaines présidentielles ?
Je t’abandonne car un verre d’absinthe m’attend. Je bois à ta santé et poursuis la rédaction du prochain chapitre de « La chair des corbeaux »
Je t’embrasse,
Eugène
Ton révérend
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