Considérations psycho-illogiques

On ne s’est pas regroupé parce qu’on pensait la même chose.

sp3 carbone à quatre liaisons (Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/dossiers/d/chimie-mille-facettes-carbone-815/)
sp3 carbone à quatre liaisons (Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/dossiers/d/chimie-mille-facettes-carbone-815/)

Il n’y a qu’à voir ce qui arriverait si l’on enfermait Lady K et Janus dans une pièce blanche, circulaire et sans fenêtre. A moins d’une résolution par la copulation, ce qu’ordonnerait la nature à terme, il y a fort à parier qu’un meurtre mettrait un point final à l’expérience. Par bonheur, ces deux-là se pourfendent à distance. L’une aime l’amour, l’autre la Révolution. Tous les deux sont idéalistes, et à leur manière changent l’eau en vin, ce qui n’est pas pour déplaire à leurs lecteurs, dont je fais partie.

Janus, le dieu des portes, aime l’ouvrir en toute circonstance, pour peu qu’on lui laisse la possibilité de n’être pas d’accord.  Spécialiste des portes dérobées, passeur anarchiste dans le meilleur sens du terme, Janus est un grand farceur, un phallocrate fasciné par les productions menstruelles du deuxième sexe, ce qui a le don d’énerver Lady K, née un 8 mars, pourfendeuse par naissance de la domination masculine. Elle a choisi le boudoir pour étendre ses pensées, le boudoir, domaine de l’intériorité, imposé aux femelles par les mâles depuis qu’ils existent. Elle y assume le Sentiment, s’y dénude, et emmerde les cyniques par la force de son idéal.

Aucun lien de covalence possible entre ces deux-là. Ils représentent les extrêmes limites de l’Orpho Mundi, ils en délimitent la surface la plus vaste possible, sur laquelle, lecteurs, vous vous promenez. La seule présence d’extrêmes aussi opposés confère à l’Orpheo Mundi son éclectique idéal, entre impossible fusion et timides égo-excentricités.

Tout commence avec le Révérend. A l’époque où il était permis d’enfumer les autres, nous nous rencontrâmes dans le plus petit édicule réservé aux lents suicidaires par le tabac, qui tenait lieu de salle de pause d’une entreprise dont je tairai le nom et toute autre mémoire que celle de notre rencontre. Vp Loose était présente elle aussi. Avant de liquéfier brillament son entrejambe cérébral avec Moore, elle couchait à l’époque avec Hegel. Ça la rendait un peu sombre, cette histoire de dialectique. Maintenant, munie d’une grande épée, elle contribue à la guerre sans fin contre la connerie, elle essaye à sa façon de faire en sorte que ce ne soient pas que les héritiers qui gouvernent le monde. Le Révérend a toujours été sombre. Il est même né comme ça, avec un habit noir, ce qui ne fut pas sans poser des problèmes mécaniques lors de son extraction, dont il est de bonne, paraît-il. Le Révérend est le paradigme du contre-exemple sociologique. Tous les deux, on se vouvoie. Tous les deux on est obsédés par Apollon et Dionysos, à cause d’un type qui les fait niquer ensemble dans la Naissance de la Tragédie. On n’a jamais pu savoir si Apollon était act ou pass, on en a conclu que ça devait dépendre du taux d’alcoolémie de Dionysos.

Le Révérend a du génie la définition qu’on en donnait en Europe il y a cent cinquante ans. Jetez un oeil au phalanstère, ses choix vous éclaireront sur la noirceur des pensées du maître de ces lieux. Mon Révérend, n’êtes-vous pas un romantique? Un lien de covalence tout pleins d’électrons vous unit à Lady K, et j’éprouve d’ailleurs pour vous deux un amour sans faille, aux conséquences différentes, pourvus que vous êtes d’organes génitaux dissemblables. Le Révérend a des bras très larges, très ouverts, et un sens de l’accueil digne d’un five star; encore un point commun avec Lady K. Si ces deux-là ouvraient un hôtel, j’y planterais mon chevalet, avant que Janus n’y déposât une bombe, ou urinât dans la piscine entourée de joueurs de lyre et de pourpres canapés sans fond.

Dans cet hôtel, on trouverait assis à une table dehors, écoutant d’une oreille distraite les musiciens, un homme rêveur, au profil d’airain et aux lunettes d’or. Eternel méditerranéen, premier homme, vêtu d’un costume sans plastron recouvert d’un pull-over bigarré, Gzom serait là écrivant furieusement dans le calme du jardin. Il serait distrait par les belles danseuses que Lady K aurait disposées ça et là sous de cotonneux éclairages, il recommencerait une phrase, encore, pour qu’elle collât à la formule de son esprit précis. Mais qui est cet homme, demanderait-on au maître d’hôtel? « On l’appelle le cutter de là-bas », parce qu’il tranche, rationnel, cynique, profond et amoureux.

Et moi?

Moi je la ferme, et je regarde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

%d blogueurs aiment cette page :