L'étrange coeur de Saba

« Le monde est divisé en deux catégories : les putains et les maquereaux. Je suis un mac qui rêve d’être une pute et je suis une pute qui rêve de trouver son mac. Toi, tu ne sera jamais mon mac et tu n’es même pas digne d’être ma putain. Toi, tu continueras à m’appeler Saba. »

A peine ai-je prononcé cette sentence que je me prends une nouvelle mandale dans la gueule. Je sens un craquement ; une dent en moins. J’ai tellement de sang dans le bouche que je le dégueule sur moi. Impossible de bouger de ce fauteuil où je suis cloué au pilori au sens propre. Mes mains et mes pieds sont transpercés par de lourds rivets. La sueur me dégouline dans les yeux. Je n’ai jamais aussi bien vu le monde. Mon corps est en charpie mais je n’ai pas mal. Mon bourreau s’excite de plus belle et me hurle que je ne suis pas Saba.

Je suis né avec le prénom de Jean-Léon. Mes parents, de grands amateurs d’arts, ont voulu que je porte le prénom du peintre Gérôme. Certains auraient été gênés ; pas moi. Jean-Léon n’a jamais été mon nom. Tout ce que j’avais à faire c’était y répondre et accepter le diminutif affectif de J.L. Si le nom donne vie aux choses, alors ma vie était le rêve de mes parents. Si le nom donne vie aux choses, alors je n’ai jamais vraiment existé. Je ne suis que le vague souvenir d’un fol espoir. A ma naissance, je n’ai pas crié ce qui avait angoissé la sage-femme. Elle voyait que j’étais en vie mais ne me voyait pas réagir ; elle craignait que ma naissance ne soit entachée de quelques maux. Ce n’est que le septième jour que j’ai poussé mon premier cri. J’étais lassé de voir mes géniteurs et des inconnus en blouse blanche me manipuler dans tous les sens. J’avais compris que c’était la seule manière pour être tranquille. À partir de là j’ai été un enfant parfait. Je me suis très vite sociabilisé en pleurant suffisamment pour rassurer ma famille. Je souriais avant qu’on ne me le demande. J’ai acquis une habileté suffisante pour anticiper les attentes de mes proches puis des inconnus. Je jouais avec les autres enfants et prêtais mes jouets. Je faisais attention à faire parfois quelques bêtises publiques sans conséquences qui n’auraient d’autre effet que de déclencher des crises de fous rires à leurs évocations lors des interminables repas dominicaux. Dans mon intimité, je restais assis tranquillement et j’attendais. Je ne dirais pas que depuis ma naissance je connais l’ennui car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Pour s’ennuyer, encore faut-il s’amuser. Je n’ai toujours fait que participer aux activités attendues de moi et pour moi sans en faire plus que nécessaire. Non vraiment, ce n’est pas de l’ennui. Ce que je voulais moi, c’était une réponse ; La Réponse. Tandis qu’à cet instant où des clous sont plantés dans ma chair, je la trouve enfin. J’avais pourtant tout fait pour la trouver. Mais dee grâce, ne vous dites pas en lisant ce récit que je suis le fruit d’une éducation abominable ou de sévices infligés ; épargnons-nous ces clichés. Ma parentèle était de celle qui fait envie. Aisée car issue d’une famille nobiliaire ayant su s’adapter à leurs époques successives, conscients de leurs responsabilités sociales, respectueux avec ceux qui leurs étaient inférieurs. Pour ne rien gâcher, c’était des gens aimants et généreux. J’ai évolué dans les plus grandes écoles en faisant en sorte d’être un modèle d’excellence. Je ne connaissais que le première place en prenant soin d’obtenir l’amitié des autres élèves par un comportement humble et amical.

C’est à l’occasion d’un anniversaire qu’a débuté ma quête. Mes parents avaient organisé tout le gotha mondain à l’occasion de cette party. Afin de me divertir ainsi que mes petits camarades, ils avaient fait appel aux services d’un clown réputé. C’était l’un des meilleurs, tous les invités sont repartis avec le sourire. Personne n’avait vu ce moment où les regards de l’histrion et le mien se sont croisés. Je savais ce qu’il attendait de moi et de chaque enfant présent. Il avait vu que j’avais compris. Il s’est mis à blêmir. Je me suis mis à lui sourire. Il est reparti en saluant tous le monde et en remplissant son carnet de commandes. Il ne m’a plus regardé. J’étais fasciné par ce déguisement qui dévoilait sa nature profonde en la cachant. J’ai compris ce jour là que je me moquais de ce que les gens montraient. Seul ce qu’ils cachaient m’intéressaient. Le silence entre les mots en disent plus que les mots en eux même. Ce jour-là, j’ai autant appris de ce qu’il a fait que des gestes qu’il n’a pas accompli et de l’absence de mots entre ses pitreries. Plus tard, à l’adolescence, pour mon seizième anniversaire, j’ai demandé ce clown comme cadeau, prétextant que j’avais envie de revivre mon enfance une dernière fois avant de commencer à devenir adulte. Mes parents ont accepté. Il a accepté. Ce jour en pleine lumière, son numéro était mauvais, il perdait le fil, il tombait en poussant des jurons qui ont choqué l’assemblé. Les spectateurs déçus ignoraient que la veille il avait reçu un message disant que s’il ne venait pas, tout le monde saurait. Ce même message disait que s’il venait tout le monde saurait. Il a fait une dernière chute. Il était au sol, il haletait, il suffoquait. Il a sorti un pistolet de sa veste. Au départ, l’assemblé a cru qu’il s’agissait d’un jouet. Rapidement la réalité est apparue à tous comme un battement d’ailes. Il s’est mis le canon de l’arme dans la bouche et a pressé la détente. Au milieu des cris et des gens qui courraient dans tous les sens, je n’entendais que le silence. Dans la panique ambiante, je n’ai pas eu de mal à récupérer la perruque qui m’avait tant fasciné cette nuit là. Elle était poisseuse, imprégnée de sang. Des bouts d’os et de matières organiques étaient restés coincés. Plus tard je l’ai lavé et conservé précieusement à côté des autres cadavres que je gardais dans un petit coffre.

Quelques années plus tard, j’ai décidé de partager ce que j’avais fait. J’ai choisi pour ça le confesseur de mon école, un brave prêtre apprécié de tous. Il ne s’agissait pas d’une occasion particulière ni de l’envie de me laver de mes péchés. Je voulais qu’il me connaisse comme je le connaissais. Je suis entré comme de coutume dans le confessionnal, et je lui ai tout raconté de la lettre que j’avais envoyé, de ce jour où j’avais entamé mon voyage. Je l’entendais sangloter en même temps. Je me suis rapproché un peu plus de la grille nous séparant pour lui murmurer : « Vous pleurez car vous auriez voulu être le clown ? » Il s’est mis à nier entre deux balbutiements. Je lui ai répondu que ce n’était pas grave, que je comprenais, que lui aussi portait un costume, mais qu’aussi bien le mort que lui et que moi en étions conscient. Je lui ai dit qu’il avait assez résisté. Il m’a dit que j’étais « la Reine de Saba qui cherchait à corrompre les hommes avec sa sagesse perverse ». Je lui ai dit de me rejoindre. La porte du confessionnal s’est ouverte pour se refermer sur nous. Son cœur n’a pas tenu, le mien s’est réveillé un bref instant; sa petite mort qui lui fut fatale m’a fait renaître. Ma résurrection fut trop brève mais m’a ouvert les yeux. Je suis parti en le laissant tel quel, la soutane relevée et souillée de sa semence. Ce sont là les avantages de la bonne société : personne ne pose de questions. Un voile pudique fut posé sur sa défroque. Les zones d’ombre doivent hélas le rester.

J’ai commencé à sortir à dix-sept ans. Avant, cela aurait été trop tôt ; mes parents ne devaient pas s’inquiéter. Lors des soirées organisés par mes amis, je prétextais le couvre-feu pour partir tôt. Une fois dans la rue, je me rendais dans les quartiers populaires. Je choisissais le rade le plus minable pour me changer ; ceux où le silence préserve toutes les réputations. Ce silence est la règle de ce monde. Il a toujours retenti en moi comme un glas. Je ressortais avec une perruque, une jupe moulante, des cuissardes et un maquillage approprié. J’ai les traits fins, cela facilitait grandement les choses. Selon mon bon plaisir, j’arpentais les boulevards, les bois ou les bars. Lorsqu’on me demandait mon nom, je répondais que je m’appelais Saba.

J’ai toujours accédé aux demandes de tous mes clients sans aucun tabou. Lorsque mon corps était trop marqué par mes activités nocturnes, je prétextais un rhume ou une douleur pour ne pas me rendre aux cours de sport. On me faisait trop confiance pour douter de ma parole. Si cela devenait trop répété ou que mon absence devait être prolongée, il me suffisait de demander à notre bon médecin de famille un certificat. Je l’avais rencontré un soir dans une ruelle. Je l’avais reconnu. Dans le noir, avec ma tenue et mon maquillage, il avait fait l’erreur de ne pas faire de même. Ce n’est qu’une fois nos affaires terminées que je lui ai demandé si l’exposé de sa fille était prêt pour la semaine suivante. Il n’avait pas compris de suite que le camarade de classe, le garçon qu’il soigne depuis son enfance, était le travelo qu’il venait de prendre à la hussarde entre deux poubelles. Notre accord a tenu jusqu’à l’obtention du bac. N’ayant plus de cours obligatoires je n’avais plus besoin de dispenses. Tandis que les élèves de ma classe, y compris sa fille, fêtions cette tape importante, lui se faisait une injection mortelle. Quelques jours avant, je lui avais laissé le choix entre cette solution ou la révélation publique de ses habitudes. Quelques années plus tard, je lui ai rendu hommage en demandant sa fille en mariage.

Afin de me féliciter d’être un enfant parfait et m’aider pour mes études en me rapprochant de l’institut, mes parents m’ont pris un appartement . Cela m’a grandement facilité les choses. Je n’avais plus besoin de perdre du temps à faire semblant. Je continuais, certes, mais avec moins de contrainte. C’est sans doute ce qui m’a poussé à la faute. Rien de ce que ne n’avais pu faire n’avait réussi à me faire trouver La Réponse. Un soir, j’avais tout juste vingt ans à l’époque, j’ai acheté un costume de prisonnier. J’ai coupé le pantalon et l’ai recousu pour en faire une mini-jupe. J’ai découpé un carton jaune en forme d’étoile et j’ai marqué dessus « juif ». J’avais entendu parler par un élève d’une fête en l’honneur de vétérans d’extrême-droite. Je me suis changé dans un impasse à côté. J’ai enfilé mon costume, ma perruque, me suis fait un maquillage outrancier puis me suis dirigé vers la salle de réception. Les gens étaient ahuris dans la rue. Je n’entendais ni les murmures sur mon passage ni les mises en garde. Je n’entendais que le silence. Il y avait une file d’attente. On n’entrait que sur invitation/recommandation. Je suis passé devant tous en gueulant « laissez passer le cadeau du führer ! » Une fois devant les portes, j’ai rapidement été insulté par les skinhead qui assuraient la sécurité. Je me suis mis à rire. J’ai soulevé ma jupe pour dévoiler mes atouts en leur criant : « ça vous excite bande de pédales ! » Les invités qui attendaient étaient choqués et moi je riais de plus belle. On m’a jeté dans une arrière salle. J’étais enfermé avec une dizaine de cranes tondus tandis que deux autres restaient dehors pour empêcher des importuns de nous déranger. Ils se relayaient de temps en temps pour me passer à tabac et/ou prendre ce que j’étais venu leur offrir. On m’a retrouvé plus tard nu, flottant dans le canal. Les médecins ont dit que c’était un miracle si j’avais survécu. J’avais le visage en bouillie et je souffrais de multiples fractures. La police m’a interrogé. J’ai répondu que je ne savais plus trop ce qui était arrivé. J’étais sorti tard de la bibliothèque et que je ne voulais pas rentrer tout de suite. Je me suis promené et j’ai croisé un groupe de noirs qui voulaient me vendre de la drogue. Comme j’ai refusé, ils ont commencé à m’insulter et à vouloir prendre mon ordinateur en me traitant de « connards de bolosse » et de « pute blanche ». Je me suis débattu, j’ai senti un coup sur le crane puis plus rien. Une policière a pris beaucoup de précautions pour me dire qu’en plus du passage à tabac, j’avais été violé par mes assaillants. J’ai fondu en larmes en poussant de grands cris de dénégations. C’est ce qu’on attendait de moi. Le médecin lui a ordonné de sortir de la chambre. Elle est sorti mais j’ai vu dans son regard une chose que je connaissais pas : elle savait que je mentais. Je l’ai revu plusieurs fois ensuite. L’affaire a fini par être classée, sauf dans le regard qu’elle posait sur moi.

Ma convalescence fut longue. Une fois sorti de l’hôpital, mes parents m’ont fait rentrer chez eux le temps que je me remette. Ils sont essayé plusieurs fois de m’en parler et de m’envoyer voir un psychothérapeute. Je leur répondais à chaque fois que je n’étais pas prêt. Ce petit jeu a duré près d’un an. Afin qu’ils me laissent tranquille une fois rentré chez moi, je me suis dit que je devrais me trouver une petit amie. Le choix s’est porté sur l’une de mes camarades de lycée, la fille de mon médecin suicidé. Je l’avais beaucoup soutenu dans cette épreuve. Je l’ai comblé en lui proposant que notre amitié prenne un autre ampleur. Elle n’attendait que ça depuis que nous nous sommes rencontrés. Je lui offert tout ce qu’elle souhaitait, y compris de réveiller la souffrance en évoquant régulièrement ce père qu’elle aimait tant et respectait comme une dieu. Petit à petit je suis devenu son nouveau père. Je faisais en sorte que nous soyons vus dans toutes les soirées mondaines et la présentait à ma parentèle trop heureuse de voir leur fils de nouveau heureux. À ceux qui demandaient si c’était sérieux, je répondais qu’elle et moi avions connu des drames. Ces douleurs dans nos vies nous avaient rapproché. En dehors de l’aspect grand public, je prétextais des révisions pour la voir le moins possible. Je devais de nouveau être Saba pour trouver La Réponse. Ce n’était toutefois plus comme avant. J’avais l’impression d’être suivi à chaque instant.

Deux ans plus tard, tandis que je tapinais sur les grands boulevards, une voiture s’est arrêtée devant moi. Le conducteur a baissé la vitre. C’était un jeune homme aux traits délicats cachant ses yeux de grosses lunettes noires. Il m’a fait signe de la tête de soulever ma jupe. Je comptais au départ refuser. La journée avait été longue, chargée d’obligations sociales ; pour une fois je m’en serais bien passé. J’étais toutefois intrigué par cet homme. Alors je me suis exécuté en inclinant la tête et en faisant un petit sourire pervers. Il a ouvert la porte côté passager et m’a fait signe d’entrer. Il a conduit longtemps. Je me foutais de l’endroit où on allait ou de ce qui allait se passer. Nous avons quitté le centre ville pour nous arrêter dans une zone industrielle. Il n’a pas décroché un mot. Quelque chose n’allait pas ; pour une fois un élément m’échappait. Alors qu’il commençait à me caresser, j’ai dit d’une voix timide : « je m’appelle Saba. Et toi ? » Il m’a répondu d’une voix trop douce, faussement grave, que je n’aurais qu’à l’appeler Salomon. J’ai plongé ma main entre son entrejambe et sans surprise je n’y ai senti aucun pénis. Je lui enlevé les lunettes, ce qui a confirmé ce que je pensais : la petite fliquette vue à l’hôpital. Je lui ai demandé si c’était elle qui me suivait depuis. En fait je me moquais de ce qu’elle avait à dire. Avant qu’elle ne perde du temps en paroles inutiles, je l’ai embrassé. Ses gestes étaient tendres et pieux. C’étaient les gestes d’une putain lavant les pieds de son messie. Cela n’avait aucun sens pour moi. Une fois la plaisanterie terminée, elle s’est mise à parler de la vie formidable que nous aurons ensemble. Je lui ai alors annoncé la bonne nouvelle du jour : « Au fait, je ne t’ai pas dit ; je viens de demander ma copine en mariage. ». Elle est devenue folle furieuse à hurler je ne sais quoi qui était couvert par l’absence de bruit en moi. Cette créature qui m’avait intrigué et avait soulevé en moi l’espoir n’était finalement qu’une déception. Je ne lui répondais pas. Je me contentais de remettre du rouge à lèvres. Elle a sorti son arme de service et me l’a mise sous le nez en m’ordonnant de « descendre de cette putain de caisse ». Elle a démarré en trombe m’a laissé en plein dans cette zone industrielle. Je suis rentré grâce à un camionneur en négociant mes charmes.

Mes parents étaient heureux que je me marie avec « une femme formidable qui saura me rendre heureux ». Ma belle-mère était heureuse que j’épouse sa fille « car elle pourrait enfin achever sa guérison ». Ma fiancée était heureuse que je l’épouse « car l’enfant qu’elle portait sera entouré d’amour ». Le jour du mariage, tandis que le prêtre célébrait notre union, les portes de l’église se sont ouvertes bruyamment. Une femme portant une robe de mariée est entrée et s’est assise au fond. Le voile recouvrant son visage n’aurait su me cacher le visage de la fliquette. Elle s’est assise au fond sans dire un mot. Le murmure de l’assemblé parvenait à mes oreilles. Je les entendais cette fois. Je sentais mon cœur battre à tout rompre. Des amis sont allés la voir. Avant qu’ils ne lui parlent, elle s’est levée et est repartie aussi ostensiblement qu’elle est entrée. Les gens parlaient, me regardaient. J’étais mis en accusation. Ma fiancée me regardait les larmes aux yeux en me suppliant de lui expliquer. Je savais ce qu’elle voulait. Je me suis ressaisi. Je lui ai dit sous le ton de la confidence mais suffisamment fort pour que les premiers rangs entendent et le répètent que c’était la policière qui s’était occupée de mon enquête et que depuis elle me harcelait. Je n’osais pas en parler parce qu’elle est policier et que personne ne m’aurait cru. J’ai fondu en larmes devant elle « parce que c’était trop dur de vivre ça ». Mon père à demandé au prêtre de suspendre la cérémonie quelques instants le temps que nous nous remettions. Il a accepté. J’ai demandé à être seule avec la future mariée. Elle se caressait le ventre pour sentir notre enfant. On devinait à peine son ventre rond sous sa robe de mariée. Il me restait une dernière chose à faire : lui offrir le souhait qu’elle se cachait depuis des années. Je lui ai pris les mains tendrement, et je lui ai raconté ce qui était arrivé à son père. Comment je l’ai croisé un soir, comment il m’a pris, comment je le faisais chanter, pourquoi il est mort, pourquoi je l’ai épousé elle, ce qu’était ma vie. Pendant tout mon récit je l’obligeais à me regarder pour qu’elle ne crie pas. Elle était tétanisée. Son regard vide était magnifique. Je me suis levé, j’ai pris une paire de ciseaux que je lui ai mise entre les mains. Je lui ai caressé les joues en lui disant « soit gentille ma chérie, laisse-moi dix minutes avant de rejoindre ton père ». Je suis sorti et j’ai refermé la porte doucement. J’ai dit à nos proches anxieux qu’elle avait besoin de se reposer et qu’il ne fallait pas la déranger. Quand à moi, j’avais besoin d’être seul. Ils ont respecté nos souhaits. Je me suis éclipsé. Tandis que je quittais les lieux, j’entendais les cris d’agonie de celle qui m’aimait et les cris d’effroi de ceux qui la rejoignaient. Je suis monté en voiture.

La fliquette m’avait donné son numéro lorsqu’elle était supposée enquêter sur mon agression. Je l’ai appelé. Elle était surprise que je la contacte, mais en était aussi heureuse qu’une enfant à Noël. Nous avons convenu d’un lieu de rendez-vous. Elle m’a indiqué la zone industrielle où nous avions couché ensemble. Elle est arrivée avant moi, elle faisait les cent pas. Quand je suis descendu de voiture, elles s’est jetée dans mes bras pour me couvrir de baisers. Elle portait encore sa robe de mariée. Elle disait que nous fuirons ensemble, qu’elle prendrait soin de moi, que Saba était morte, que maintenant Jean-Léon pouvait vivre. Je l’ai jeté au sol et je lui ai dit froidement que « décidément, elle était trop conne ». Je me suis retourné pour me diriger vers la voiture. J’ai pris tout mon temps pour que tout se termine. J’ai senti un coup sur le crane puis ma tête s’écraser lourdement sur le bitume. Le vide. La vie. La Réponse. Mon cœur qui bat en moi.

Je me réveille dans un entrepôt. Mes jambes et mes pieds sont menottés à une chaise pourrie. La fliquette parle toute seule. Elle fait les cent pas. Elle dit qu’elle peut me soigner, qu’elle seule en est capable, que je suis possédé par l’esprit de Saba mais qu’elle sait comment l’obliger à sortir. En voyant que je suis réveillé, elle me fout une grosse claque. Elle me roue de coups en hurlant que le démon en moi doit partir. Je ris, je l’insulte, elle me frappe de plus belle tellement fort qu’elle doit s’arrêter pour se masser les mains. Elle pleure, elle hurle. Elle atteint le point de rupture. Elle sort d’un sac des clous et un marteau. Elle en pose un sur mon pied gauche et tient le marteau haut levé. Sa respiration est haletante. Elle me supplie de lui dire que Saba est partie. Je lui crache au visage et aussitôt le marteau s’abat sur le clou. Je hurle, mon corps est pris de soubresauts. Elle pose un deuxième clou sur mon pied droit. Elle refait sa demande. Même réponse ; même châtiment. Même douleur, même cris. Ma main gauche puis ma main droite. Mon cœur vibre et chante plus fort encore que la souffrance. Je pourrais m’évanouir mais je refuse. Je jouis enfin d’un instant. J’ai peur de mourir. J’ai envie de mourir. Je refuse de mourir. Je comprends le sens de « mourir ». Elle m’implore de lui dire pourquoi. Je lui répond qu’elle ne sera jamais mon mac et qu’elle n’est même pas digne d’être ma putain. Qu’elle continue à m’appeler Saba, elle n’est bonne qu’à ça. Ses coups ne me font plus mal. Je suis heureux car j’ai La Réponse. Un authentique sourire se dessine sur mon visage tuméfié. Elle hurle de plus belle. Elle se dirige une dernière fois vers son sac. Elle en sort un long couteau. Elle me dit fiévreusement que je serai à elle que je le veuille ou non. Elle le plante lentement dans ma poitrine et le dirige vers mon cœur. Elle découpe mes chairs elle creuse. La douleur, la douleur, la douleur, la douleur, la douleur, la douleur ! Elle extrait La Réponse ! Elle plonge ses mains en moi et en ressort mon cœur battant ! Il est si beau, il vibre avec le monde. Je suis mort. Je suis heureux. J’existe. La Réponse m’apparaît dans un battement d’ailes. Un corbeau se pose près près de nous et contemple mon agonie. Mon bourreau met mon cœur chaud sur sa poitrine. Avec le même couteau avec lequel elle m’a donné la vie, elle le plante sur son cœur et expire en tombant lourdement sur le sol. Jusque dans la mort est est grotesque. Son corps est pris de spasme, le sang coule de sa bouche. Je suis en vie. Le corbeau se rapproche d’elle et commence à dévorer mon cœur. Sa vie fut grotesque mais elle fait une belle assiette. C’était là sa seule raison d’être. Tu as bien mangé corbeau ? Apporte La Réponse à ton Maître. Je n’en ai plus besoin.

LE DIEU PÉCHEUR

Que m’apportes-tu, corbeau ?

Déverse dans ma gorge ta pitance

que je sache ce qui tue un homme.

Son histoire est celle d’un cœur mort,

Est-ce cela ton message ?

Pour mourir il faut que je sois conscient de ma vie ?

Je sens la plaie se refermer un peu plus.

Apporte-moi d’autres livres de chairs !

Apporte-moi l’histoire des hommes

Que je connaisse à mon tour le bonheur de mourir !

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