L'écrin des cris (VI)

Regarde Les Hommes Tomber : s/t (Les Acteurs De L’Ombre Productions / 2013)

RLHT - st

Regarde Les Hommes Tomber. Tout un programme. Le groupe fut signé par son label avec quelques titres instrumentaux. Cela en dit long. En effet, ce premier album tend à imposer le groupe sur la scène française mais également internationale, dans l’espoir qu’il transforme l’essai prochainement avec un deuxième album. Parce que ce premier album…

Sans nécessairement jouer la carte de l’originalité, RLHT oscille entre le black-metal et le post-hardcore, un mélange qui devient récurrent actuellement, mais qui n’atteint pas toujours ce niveau de qualité. Assez rarement même. Sobre sans jouer la carte de la facilité, le combo français dégoupille une jolie grenade dans la foule, juste histoire de s’amuser à regarder les gens, ahuris, hébétés, courir de manière incohérente dans tous les sens, du sang leur coulant des oreilles. Cet opus, à défaut d’investir totalement le chaos, le laisse en germe, beaucoup plus insidieux, beaucoup plus incisif.

La magnifique illustration s’inscrit d’ailleurs dans un tel concept : la tour de Babel, dans un style classique évoquant les gravures à l’eau-forte de Gustave Doré, vient effectivement balancer de l’acide pour laisser apparaître des merveilles autant classiques qu’inattendues. Inespérées. Comme un regain de haine profonde qui intervient à temps pour en découdre avec la puanteur du monde.

Le prélude annonce la couleur des hostilités, avec un martèlement assourdissant, consumé d’amertume et d’une douleur incandescente. Une bête ignoble, tapie dans l’ombre observe sa proie pour surgir au moment opportun et la broyer de son impitoyable mâchoire.

Pas de fioritures, pas d’élucubrations techniques, tout est en place pour malgré tout poser une ambiance complexe, remplie de braises sanguinolentes, comme en immolant un écorché vif. Les rares nuances ne font que renforcer la tension omniprésente et qui semble n’avoir pour but que la destruction. Les reliefs de la rythmique construisent un édifice de colère sur lequel vient rayonner des harmonies féroces et acérées. Et si le rugissement devient parfois une narration ou une incantation, ce n’est que pour mieux laisser l’obscurité s’étendre, juste avant d’asséner une nouvelle offensive, encore plus sordide d’efficacité.

L’enfer devient épique, prenant l’allure d’un champ de bataille babélique, sous un feu nourri de vociférations enténébrés et térébrantes. Chaque vertèbre de cette colonne de rage nous plonge au tréfonds d’un bolge gonflé de lave. Comme si le soleil s’était liquéfié pour mieux moisir parmi les ossements de ces résonances inquiétantes.

Les yeux s’enfoncent dans la chair pour la scarifier d’une plaie maléfique. Stigmata diaboli. L’atmosphère toujours pesante donne à la violence une monstruosité dépouillée, encore plus implacable. Aucune errance. Aucun retour. Une simple agonie tordue de spasmes, et qui continue de hurler même lorsque le chaos semble s’être éteint, enseveli dans une mémoire brûlée à vif. Un écho prolonge d’un œil torve le sentiment d’horreur de ceux qui ont subi l’atrocité. Et qui ne pourront oublier, au point de reproduire sur d’autres la même ignominie ignivome.

« Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde à ne pas devenir monstre soi-même. Si tu plonges longuement ton regard dans l’abîme, l’abîme finit par ancrer son regard en toi. » (Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, IV, §146) Ne regarde pas les hommes tomber. Pousse-les dans l’abîme.

http://rlht.bandcamp.com/

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