Révérend, je suis ton père!
Il faut quand même avoir un grain pour écrire sous le nom du « Révérend », vous ne croyez pas? C’est ce que je me dis de temps en temps.
Ce surnom s’est imposé lors de mon passage dans ma joyeuse cour des miracles. Plus précisément c’est là que ce pseudonyme est devenu pour moi officiel. Nous étions quelques télé-enquêteurs triés sur le volet et volontaires pour une étude délicate portant sur des questions de santé. Nous interrogions des gens parfois dans des stades avancés de leur maladie. C’est lors des séances de débriefing collectif pour nous soulager que je fus réellement nommé ainsi pour la première fois. Question de tempérament j’imagine, et de style vestimentaire assurément. Une amie m’a avoué que lorsqu’elle m’a vu arriver dans la boite, elle a dit à mes futurs compères qu’un « pasteur noir américain avait débarqué ».
Depuis ce moment à l’adolescence où l’on commence à choisir ses vêtements, à quelques détails près ma tenue est invariablement la même: chaussures de ville noire, pantalon de ville noire, veste noire, chemise noire ou blanche. Ma « tunique » fétiche est composée d’une veste à col mao noire et en dessous, une chemise blanche, ce qui me donne donc de faux-air de pasteur. Je passerai sur la période assez longue où j’arborais une bague-armure en forme de griffe, du vernis noire sur les ongles et du col sur les yeux. Vraiment névrosé ce jeune homme. Au fait, pour les amis qui me liraient: non, je ne changerai pas mes grosses lunettes de ringard !Vous vous interrogez sur la source de tout ceci ? Comment ça vous n’en avez cure ?! Bon, pour ceux qui ont survécu jusqu’ici à mon habituel verbiage, voici l’horrible vérité: mon père est pasteur et son propre père était aussi pasteur. Toutefois cette dynastie cessera avec moi, à moins bien sur que par miracle l’un de mes frères choisisse cette voie. Aux questions que l’on me pose sur cette filiation, je réponds invariablement que j’ai tiré de cette situation un Oedipe surdéveloppé. Tuer le père, je veux bien, mais c’est un peu plus complexe quand le père représente en même temps le guide, le mentor et le dieu. Afin de couper court à toute ambiguïté, je tiens à préciser qu’il ne nous a jamais mis de pression quand aux questions religieuses, nous laissant libre de croire ou non; ni lui ni les autres membres de la famille. Que demander de plus?
Pour vous faire une idée: il arrivait qu’il invite à la maison ses collègues de travail. Généralement je m’enfuyais vite dans ma chambre une fois la récolte de cadeaux des convives achevée. Une fois, ils sont arrivés à 24; 24 membres d’élite du corps pastoral à qui il fallait faire 4 bises chacun… Je me suis arrêté à la douzaine et après un bref salut collectif mais chargé d’émotions, je me suis réfugié dans ma chambre pour jouer au Transformers (pour ceux qui s’inquièteraient de ma santé mentale, je précise que j’étais en primaire) Toutefois, je n’ai pu connaître la paix longtemps. Que font 25 pasteurs rassemblés et une mère qui voulait entrer dans les ordres? Je frémis encore en y repensant: ils chantent des cantiques. Et quand ils sont togolais et béninois, ils chantent de plus belle. Furieux d’être dérangé pendant que j’organisais la défaite d’Optimus Prime après le sacrifice de toutes ses troupes, je me suis mis à taper sur le mur pour réduire les importuns au silence. C’est ma mère qui m’a rappelé récemment cette anecdote. Comme vous le voyez, enfant, j’étais déjà un sale gosse.
Toutefois, chaque famille ayant ces histoires, j’ai développé un rapport névrotique à l’aspect religieux, ce qui est aisément perceptible dans mes thématiques. Je parlais tantôt d’Oedipe, c’est là la source de tout. Ce syndrome semble présent dans ce type de famille: apparemment, on retrouve régulièrement dans ces fratries au moins un névrosé oedipien partant un peu en vrille. Vous devinez de qui il s’agit dans mon cas. D’autant plus que parmi mes frères, j’étais celui qui ressemblait le plus à notre père, et lui même ressemblait le plus au sien. Tuer le père quand on lui ressemble… à défaut de réussir, j’ai fait en sorte de lui ressembler pour soit le dépasser, soit pervertir son-image-qui-était-aussi-la-mienne. On peut ici parler d’un semblant de travestissement zoomorphique. Enfant, une de ses amies, une grande suisse-allemande robuste qui me soulevait à chaque fois du sol pour m’embrasser et me serrer très forts dans ses bras, m’avait parlé d’un livre qu’elle avait écrit. De mémoire, il s’agissait d’une étude qu’elle avait menée sur les fils de cléricaux et les troubles qu’ils pouvaient ressentir. J’ai été très impressionné par l’histoire qu’elle m’a raconté d’un jeune homme qui en grandissant avait commencé à boire, à abuser d’autres substances, à tout faire pour se détruite et qui avait fini par se jeter par la fenêtre. Voulait-elle me mettre en garde? Je ne le saurai sans doute jamais. Des années plus tard, tandis que j’étais en terminal, j’ai croisé tous les jours au lycée un autre fils de pasteur. Il était toujours habillé en noir et portait autour du cou une croix renversée. Il avait choisi une voie totalement opposée. On n’a jamais échangé un mot mais je me demande ce qu’il devient. Toutefois, en le voyant pour la première fois, j’ai compris pourquoi le directeur du lycée avait grimacé en apprenant ma généalogie tandis que je lui présentais la pièce que je voulais monter sur le procès de Satan qui finit en procès de Dieu… mais ça, c’est autre histoire. Pour en revenir au sujet de la dérive, vous rappelez-vous de la série « 7 à la maison »? Et bien dans ce vibrant documentaire, la petite Marie, jouée part Jessica Biel devient la bad girl de la famille: elle fume, elle boit, elle ment, bref, ce personnage est affublé du même syndrome. Je vous demanderai toutefois, quand vous lirez à l’avenir, de ne pas imaginer cette jeune actrice. Et oui, je regarde 7 à la maison! On a tous des zones d’ombres.
Et là, vous me poser tous la question piège en coeur: « Mais mon révérend?! Et vous?! Croyez-vous en Dieu?! » Ma réponse est simple: je ne me pose pas la question de croire ou non. Je me suis plutôt interrogé sur les textes, leurs sens, leurs omissions, leur histoire, sans jamais y trouver ce que je cherchais. Si je devais définir ce en quoi je crois, ce n’est pas au religieux en dépit de mon surnom, en dépit de ceux que l’on m’a donné, que ce soit bien sur le révérend, Satan, Shaïtan, le pape, ou encore samedi en faisant les courses, frères hadj et j’en passe. Si je devais définir mes croyances, elles sont plus basiques: je crois en mes amis, je crois en mon petit copain, je crois à l’art, je crois aux actes même infimes de l’humain qui le rend meilleur, je crois à mon Orpheo Mundi, non pas mon site, mais à ce concept qui mène ma vie; au Rêve-errance, cette barque folle qui me dirige petit à petit vers mon île-où-les-rois-se-reposent. Je n’ai pas « besoin » de croire en Dieu, je crois déjà en tout ce que j’ai cité. La seule chose en laquelle je ne crois pas encore, c’est moi, mais je me soigne.
Par rapport à mon père… Et bien je suis fier de lui, et même si on ne s’est pas vu physiquement depuis des années, je l’aime très fort et je suis fier d’être son fils (je sens que je vais me faire charrier par mes amis aussi charognards que moi pour ce message personnel). Et je dois dire que j’adore l’entendre m’appeler de temps avec ses intonations de Bill Cosby togolais, le révérend.
Le révérend parle au révérend. Je suis ce que je suis.
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