Bienvenue au café des liches!

La Chute des Titans, par Cornelis Cornelisz van Haarlem [Public domain], via Wikimedia Commons, 1588, Statens Museum for Kunst (Copenhague)
La Chute des Titans, par Cornelis Cornelisz van Haarlem [Public domain], via Wikimedia Commons, 1588, Statens Museum for Kunst (Copenhague)

Janus :

Soyez les bienvenus au café des liches, âmes perdues, paroles conquérantes, séraphins sans destin ! Ici siège la raison ! Déposez un instant votre déraison et buvez au calice des vérités ! Je vous vois nombreux ce soir, prêts à bondir sur scène ! Alcooliques avides de vie, fossoyeurs de miracles, trouvez ici votre bonheur ! Allez dansez ! Avec moi dansez et festoyez ! De cette scène je voie vos âmes, j’entends vos cris ! Criez avec moi ! Repentez-vous ! Lamento, saint père obscur, martèle frénétiquement le clavecin des amants ! Nous ne devons plus entendre le moindre cœur ! Douce mélopée des enfers, combien ont sacrifié leurs cordes vocales à la création de ton art ? Peux tu compter les octaves criardes de ton instrument sulfureux ? Chante voix des âmes ! Hurle la douleur des sanctifiés ! Chantez liches assemblées ! Hurlez la joie des sacrifiés ! Mais que vois-je descendre de ces escaliers vers nous ? Le maître des lieux et sa dame ! Je m’incline devant vous Exodus des sombres jours. Je vous embrasse et regrette la distance Phalène des vérités déicides ! Si ce baiser vous me rendiez, je deviendrais aussi pourpre que cette ample robe qui nous dissimule vos charmes.

Phalène:

Mais je ne saurais lequel de vos visages je devrais embrasser, Janus tant apprécié. Si des lèvres de l’un d’eux je m’emparais, votre autre se lamenterait. Afin de conserver votre équilibre, je ne vous rendrai qu’un sourire sans provoquer chez vous le moindre soupir.

Janus:

Diantre dame, vous me touchez au cœur et vous sais gré de vous soucier ainsi de mes facultés !

Exodus des sombres jours:

Diantre Janus, je vous pensais sans cœur et sans désir ! Où est donc passé cet être empli de rancœur et d’envie de détruire ? Un troisième visage ce soir s’apprêterait-il à surgir ?

Janus:

Que nenni, sombre seigneur, je ne fais qu’être la voix de nos convives. Que disent-ils en cet instant comme à chacun ? « Phalène, un baiser ! Phalène montre nous la vérité !! » Haut les cœurs baladins venus vous aviner ! Comme à chaque soir la dame nous apporte sa générosité ! Au plus offrants ses vertus ! 

Phalène:

Tout doux mes tendres amis, être en ces lieux ne vous permets pas encore d’être de mes vœux. Mon époux, portez moi sur une de ces tables que je sois entourée de nos invités. Alors mes tendres hères, en quoi puis-je vous contenter ?

La foule:

Phalène, offre nous un baiser !

Phalène:

Êtes vous surs de le supporter ?

la foule:

Phalène, offre nous la vérité !

Phalène:

Êtes vous surs de la mériter ?

La foule:

À toi ! À toi ! À toi !

À jamais nous sommes liés !

Phalène:

Haha ! fol esprit que celui qui nous veut m’attacher !

Exodus des sombres jours:

À moi vos lèvres ! Dans mes bras ma belle ! Regardez questeurs ayant échoués, voyez celui qui a su s’emparer de la vertu et de la vérité !

Janus:

Sombre seigneur, à mon autre visage je parle tout bas. Tu ne m’entends pas mais tu sais que comme toi et ta dame je vois. D’ici peut viendra celui qui pourrait mettre ton supplice à bas. Est ce là la raison de ton humeur badine ? De savoir que tout peut se finir même si les chances sont minimes ? Mais qui vois-je s’approcher d’une table isolée ? La misérable petite servante de ces lieux, celle dont le seul nom est Vertu ! Hola Vertu, ne t’approche pas trop près de cette vieille attablée qui porte le nom effrayant de Chasseresse pénitente ! Veux tu encore te faire houspiller ?!

La Chasseresse pénitente:

Silence bouffon bifronce ! Bien qu’édentée, je peux encore t’arracher ce qui te sers à vomir tes infernales logorrhées! Viens ici Vertu, j’ai à te parler loin de ces oreilles dégénérées !

Exodus des sombres jours:

Hé bien mon cher ami, ce soir auprès de nos dames vous semblez fuir l’état de grâce.

Janus:

Ne pas s’approcher d’elles, noble seigneur, ce serait là être véritablement sagace. Mais voyez comme vertu s’approche des vieilles lèvres de la chasseresse pénitente.

La chasseresse pénitente:

Approche plus près petite trainée. Je ne veux pas être entendue par leurs oreilles dépravées. Tu es belle. Je te hais pour ça. Tu es moi mais tu es aussi cette catin borgne. Qui sait ce qui se cache sous ses coutures de soie ? Son œil qui voit au delà des cieux, je le connais. Il regarde la vie tandis que sous son bandeau elle ne voit que la mort. Mais nous savons, petite trainée qui t’es offerte au maître des lieux mieux que je ne l’ai jamais fait, qu’il la garde dans son lit pour la même raison qu’il te tient en laisse. Ne me regarde pas comme ça ! Tu es idiote ! Tu as été moi à une époque ! Tu me dégoûtes ! Bientôt tout sera fini ! Même cet auteur maudit à double visage le sent ! Même cette foule ivrogne le sent ! Il approche !

Exodus des sombres jours:

Oui, il approche.

Phalène:

Oui, il approche !

La foule:

Oui! Il approche !

Janus:

Approche !

Approche !

Approche !

Fait rugir le clavecin des mannes Lamento, seigneur de la meute !

Que ta sonate transperce les brumes !

Trinquons à notre invité !

Que règne le silence ! de ma canne d’obsidienne je vais marteler le sol à trois reprises !

Que s’ouvre le ciel !

Je ne pus que me mettre en colère quand je la vis si peinée de m’avoir arraché le cœur. Elle avait fait ses valises dès mon départ. Depuis elle m’attendait sur le lit, se demandant comment me présenter la chose. Elle me parle mais je n’entends rien. Mes oreilles bourdonnent. Des bruits sourds dans mon crane. Un goût de métal dans la bouche. Je la regarde se tordre les mains dans tous les sens. J’ai la vision de ses phalanges se brisant sous la pression. Elle se brise sous la pression de mon regard. Que me dit-elle? Je n’arrive à saisir que quelques mots. Elle me parle pendant des heures. Avant même que je ne m’en rende compte, le soleil s’était couché. Quand elle finit enfin, ses yeux sont bouffis par les larmes, ses joues desséchées. Elle me regarde. Je ne dis rien. Quelqu’un frappe à la porte. Quelqu’un frappe en moi. Je ne bouge pas. Elle va ouvrir et reviens avec celui que j’appelais mon meilleur ami. Il n’ose pas me regarder et se dirige directement vers les valises. Ses lèvres bougent dans ma direction. Je vais à la cuisine et les laisse seuls dans la chambre. Je reviens. Ils ont peur. Je suis calme à présent. Mon âme s’ouvre à eux tandis que leurs corps s’ouvrent à moi. Leurs chairs s’ouvrent avec tant d’ardeur sous mes doigts, leurs corps réagissent avec entrain aux caresses de ma lame. J’éructe d’une joie infantile tandis que leurs vies s’écoulent en moi. Je mon fondais dans leurs entrailles. À elle, je fais l’amour pour la dernière et la première fois; à lui, je fais l’amour pour la première et la dernière fois. Enfin je pense connaître le plaisir, enfin mon cœur est libre, enfin je peux oublier le ciel.

Phalène:

Il fait peine à voir à entrer ici nu et couvert de sang. Quoique son aspect cru lui donne un air élégant.

Moi:

Où suis-je ?

La chasseresse pénitente:

Il pue et tu mens.

Moi:

Où suis-je ?!

Janus:

Au moins il est venu. Lamento, fais donc résonner le clavecin des amants.

Moi:

Où suis-je ?!

Exodus des sombres jours:

Je dois dire qu’ainsi dévêtu il a l’air fringant.

Moi:

Où suis-je ?!

Où suis-je ?!

Où suis-je ?!

Exodus des sombres jours:

Mais sur l’île où les rois se reposent bien sûr, terre d’infini et d’impossible où tout ce que tu crois est aussi vrai que le mensonge.

Janus:

Quels piètres hôtes nous faisons, et moi, je manque à tous mes devoirs : bienvenue au café des liches ! Je suis Janus, troubadour de déraison et d’obscurs savoirs. Le noble seigneur que voici a pour nom Exodus des sombres jours, maître de ces lieux à jamais et pour toujours. À son bras, cette borgne à l’œil malin aussi chaste que la dernière des catins se nomme Phalène des vérités déicides. Nul ne peut lui dicter sa conduite, elle seule décide. Ne nous regarde pas ainsi, tu sais très bien ce que tu fais ici. Mais finissons de nous présenter. Jette un regard de côté afin de contempler Lamento pour qui chaque âme est à prendre. Il est le seul que je pourrais appeler ami, c’est pourquoi il n’en sera jamais ainsi. Ah ! Chasseresse pénitente, cette table, jamais tu la ne quittes ! Est-ce la lassitude de ne plus entendre les cantiques jadis chantés par tes priantes ? Je vois où ton regard se pose: Vertu est le nom de cette pauvre petite chose. Autour de nous, les autres invités du seigneur Exodus des sombres jours et de Dame Phalène, tous ceux qui sur l’île où les rois se reposent se sont perdus et ont erré jusqu’ici comme des âmes en peine. Enfin, quant à ce vieil homme qui n’a qu’un œil et encapuchonné dans une grande robe noire, tu le connais déjà.

Moi:

…je suis…

Exodus des sombres jours:

Cela n’a aucune importance. Tu es ce que tu es. Tu es ton alpha et ton oméga, et notre invité.

Ce squat me dégoûte. Pourtant je ne peux faire autrement. Je suis obligé de m’y rendre. Cet appel est trop fort. Je me sens si sale que je me retiens de respirer pour ne pas inhaler plus de crasses. Et pourtant je trouve mon âme si belle quand je commence mon shoot. À chaque fois que je sors mes outils de la mallette, je me retrouve un peu. Mon couteau est pris de violentes érections quand il voit l’objet de son désir. Mes cordes se frottent, se caressent quand elles revoient la lumière du jour. Chante ma seringue ! Éjacule ton poison d’espoir ! Me voici sur le seuil. Elle m’attend. Elle me supplie. Elle se jette sur moi et me promet monts et merveilles contre sa libération. Je ris et lui montre la porte grande ouverte. Mais je sais de quoi elle parle. Je la regarde et lui dit : « ne pleure pas, je ne t’ai pas encore fait tout le mal que tu désires » Elle hoche la tête et doucement retourne s’asseoir dans un coin de sa piaule. Je sors ce qu’elle attend. Chante ma seringue! Emplis la de mon poison! Elle me tend religieusement les mains. J’y dépose son hostie. Je la regarde pour la dernière fois. Je ne sais même pas son nom. Tandis qu’elle décolle vers Shamballah, je lui raconte tout ce que nous ferons, nos voyages, notre amour. Elle plane sans savoir que jamais elle ne redescendra. Elle s’effondre le plaisir aux lèvres. Tendrement, mes cordes glissent sur sa peau et l’enlacent. Ma lame frétille de désir. Je la sors enfin. Je ne sais pas son nom, je ne la vois plus. Dans ses chairs je vois mon âme.

Janus

A moi un instant, je vous prie ! Approchez donc et ne vous faites guère de souci, ici vous êtes entouré d’amis. Venez donc, ne soyez pas si timoré et de grâce, laissez donc cette lame ensanglantée. 

Moi

Que fais-je ici ? Quelle est donc cette île où les rois se reposent ?

Janus

Vous me semblez être de lettres et de maux alors en quelques mots entendez ma prose: ici siège l’absence de lois sans que nul en votre monde n’en ressente un quelconque émoi. Libre vous êtes de rêver à votre vie au lieu de souffrir de vos envies. Ici nul ne vous tiendra rigueur de vos débordements car là où siège la déraison se trouve la vérité de celui qui ment. En a t-il fini pensez-vous ? Que nenni ! Mon visage qui ne voit rien cédera un jour la place à celui qui voit tout.

Moi

J’en ai assez, laissez-moi partir à présent !

Janus

Vous êtes libres. À vous de franchir ce seuil que vous avez ouvert quand vous avez décidé de vivre. Jamais en ces lieux vous ne serez prisonnier. Après tout, comment pourrions-nous tenter de lier notre frère condamné ?

Cette histoire avait défrayé la chronique, celle du nouveau Caïn, assassin de son frère. Il naquit dans une famille de fervents croyants qui ne rêvaient que d’une chose, recréer le paradis éternel précédant le péché originel, avant même le meurtre premier. Ses parents lui donnèrent naissance et le cachèrent aux yeux du monde. Ils vivaient tous trois dans une ferme isolée d’une quelconque région qui ne connaissait guère de fréquentations. Des travaux de la terre ils vivaient, de rien ils n’avaient besoin. Le père était Adam. La mère était Ève. Ils le nommèrent Caïn pour suivre les saintes écritures. Durant toute son enfance, jamais Caïn ne sut qu’il y avait un monde au-delà du jardin d’Éden créé par son bourreau, au delà des hectares dont ils étaient les propriétaires par héritage. Il n’a jamais posé de question, il n’a jamais cherché à voir au delà. Les choses étaient ainsi telles que le voulait le seigneur. Puis un jour son père tomba malade, puis sa mère. Ils moururent et laissèrent seul celui qui n’était encore qu’un enfant. Le hasard ou le destin voulut que quelques semaines après, un promeneur le trouva seul au milieu des deux cadavres à qui il continuait de parler car il ne savait pas ce qu’était la mort. Son sauveur le mena vers le monde et le confia à l’orphelinat. Ce fût le premier contact de Caïn avec le monde. Ce fût le second contact du monde avec Caïn. Il n’était alors qu’un petit être empli de piété lorsqu’il fût adopté par un richissime homme d’affaire qui lui apprit tout des joies et des malheurs de ce monde. Comme les choses semblent simples dites ainsi. En grandissant, Caïn rattrapa le retard qu’il avait accumulé, devenant un jeune homme brillant ne manquant de rien et expérimentant tout. Un jour, son protecteur lui apprit qu’il avait un jeune frère. Redoutant que ne se répètent les fautes de l’humanité, ses parents avaient rejeté leur second fils à la naissance. Toutefois, ne voulant avoir le poids de sa mort sur la conscience, ils le confièrent au bon soin de l’église. Caïn partit en quête de son frère. Ce jeune frère eut le malheur d’être appelé Abel par la famille qui l’avait adopté. Il était devenu un homme de bien désireux de dédier sa vie au seigneur mais hésitait car troublé par sa propre identité. Caïn le retrouva, lui parla, mais jamais ne lui dit qui ils étaient réellement. Il le séduisit et le soir où ils firent l’amour, l’aîné tua son cadet et le dévora. Caïn fût arrêté, il ne livra aucune résistance. Il souriait, c’est tout. Suite au procès retentissant qui eu lieu et à sa condamnation, il publia un livre nommé « le testament de Caïn ». Il y raconta tout de sa vie, excepté les derniers mots qu’il avait prononcé à l’oreille de son frère avant de le dévorer. J’étais trop jeune pour avoir pu suivre l’histoire. Je la découvris durant mon l’adolescence tandis que je farfouillais parmi une pile de livres qu’un quidam avait laissé à même le trottoir. Je me sentais coupable de le lire. La question de ces derniers mots me rongeait comme une bête qui déchire vos entrailles. Tant de fois j’ai cherché cette vérité sans parvenir à la trouver. Mais aujourd’hui, j’ai l’occasion de savoir enfin. Sans aucune difficulté j’ai pu obtenir un entretien, ma carte de presse étant le meilleur des sésames. Depuis des années, il refusait toute rencontre. Je suis la seule exception. Il m’attendait dans une salle, âgé, loin du jeune homme fringant dont j’avais lu l’épopée. On m’ouvre la porte. Il sourit à mon entrée et jette un regard malicieux au garde. Celui-ci sort de la pièce et nous laisse. Je tremble. Pas d’excitation, pas d’effroi. Je me sens comme porté par le vide. Je lui demande si je peux fumer. Il me répond par un sourire. Je lui propose une cigarette. Il me répond par un sourire. Nous restons là pendant que ma clope se consume entre mes doigts. Je l’ai allumé mais ne la fume pas. Les cendres tombent en lourds paquets. Il me fixe en souriant. Je ne sais pas comment débuter cette discussion. Les mots sont bloqués en moi par une langue de feu. L’instant d’avant je me sentais bien. J’étouffe, le monde semble ne plus exister autour de moi. Les murs gris de la prison deviennent un océan où je me noie. La brûlure de la cigarette consumée jusqu’au mégot me sort de ma torpeur. Je pousse un petit cri ridicule et rageusement écrase ce qui reste de ma clope. Il me sourit, prend mon paquet sur la table, en grille une, et me la met entre les lèvres sans que je ne me révolte, comme un enfant à qui on donne le biberon. Les larmes me montent aux yeux. Un voile se déchire. Il écrase la moitié de clope restante. Caïn s’approche de mon oreille et me murmure: « ne m’aime pas, je ne t’ai pas encore fait tout le mal que tu désires ». Il déboutonne ma chemise, enlève ma ceinture, me déshabille et moi je ne dis rien. Il m’allonge nu sur le sol de la cellule… Je ressors de la pièce, le garde m’attendait. Il me regarde avec un mélange de tendresse et d’admiration. Je rougis et m’enfuis.

 

Exodus des sombres jours

Permettez mon tendre ami que je vous convie à boire un verre.

Phalène:

Mon tendre époux, votre familiarité semble lui déplaire.

Exodus des sombres jours:

Je promets alors un bref instant de me taire.

Moi:

J’en ai assez de cette hypocrite déférence vous affichez. Bien que votre titre fasse de vous un seigneur, je ne saurais accepter plus d’être traité comme un enfant privé de lumière.

Phalène:

Il me plaît. Son verbe est haut et son regard ne manque pas de culot

Exodus des sombres jours:

Devrais-je donc m’adresser à lui comme si nous étions ses égaux ?

Moi:

Cessez, je vous dis ! Ou d’un geste je décollerai ce qui ne vous sert qu’à porter un chapeau !

Exodus des sombres jours:

Le promettez-vous ? Vraiment le feriez-vous ? Alors vous m’intéressez. Asseyez-vous et pardonnez mes écarts. Vertu ! Apporte je te prie une coupe à notre invité. Il est de ceux qui méritent tous nos égards.

Phalène:

Je vous vois, charmant visiteur, moins attiré par le vin que par les charmes de notre servante. Mais il n’est guère courtois de courtiser l’une quand une autre se prête à votre regard. Ne me jetterez-vous une supplique de désir comme tous ceux qui nous entourent ?

Moi:

Pardonnez-moi dame Phalène, mais je suis arrivé ici hagard et mon humeur ne prête guère à faire la cour. 

Phalène:

Regardez-moi. Préférez-vous la vertu ou la vérité ? Hahaha! Enfin vous me voyez !

Moi :

En d’autres lieux, avec vous je me serais sans doute dévoyé…

Exodus des sombres jours:

Mais vous avez l’impression ici d’être tel un noyé ! Mais enfin, cessez d’être aussi guindé !

Moi:

Alors cessez de m’ennuyer et dites moi ce qui se trouve en dehors de ce café !

Exodus des sombres jours:

Rien qui ne vaille la peine d’être exploré, au risque d’un peu plus vous désolé.

Moi:

Vous mentez !

Exodus des sombres jours:

Comme les mots mentent effrontément à la réalité. Buvons et cessez de vous apitoyer. Vous êtes ici car telle est votre volonté.

Je finis par connaître cet endroit par cœur. Je m’y rends chaque semaine pour les voir eux. Quelles apparences se donnent-ils en dehors des locaux ? Je m’en moque. Tout ce que je veux d’eux, ils me l’offriront ce soir. J’entre seul bien qu’il faille généralement être accompagné dans ce genre de lieu. A présent j’ai mes habitudes. Une musique lancinante recouvre à peine les bruits de la chair contre la chair et des soupirs. Mon corps devient plus lent, il s’habitue à la langueur sensuelle. La pénombre dévoile à peine les corps et excite l’imagination. Les caresses sur les coussins de soie sont un cri sulfureux ; mais moi je ne m’attarde pas. J’ai rendez-vous avec la vie. Ils sont là comme chaque semaine à m’attendre. Cette fois nous allons chez moi. Je les ai convaincus sans peine. Nous prenons leur voiture. A l’arrière, ses mains commencent à s’attarder sur moi. Elle conduit et jette régulièrement des regards concupiscent vers nous dans le rétroviseur. L’excitation de son mari à me faire connaître les plaisirs socratiques est loin de celle que j’éprouve à mon œuvre futur. Dès le premier regard, j’ai su que c’était eux. Nous sommes chez moi. Je les laisse fouiller dans mes disques tandis que je pars en cuisine. Je reviens avec des collations. Il est entrain de sniffer du poppers tandis qu’elle danse nue dans mon salon les yeux mi-clos. Il m’en propose. Je refuse, je veux tout ressentir y compris la douleur. Il me déshabille, elle nous rejoint… Leurs yeux sont restés ouverts. Je tiens à ce qu’ils le restent. Je veux qu’ils se regardent. Je couche leurs corps sur le sol et les dispose pour qu’ils soient enlacés. Autour d’eux, j’ai étalé leurs viscères. J’accomplis ma fresque divine. Au dessus d’eux j’ai suspendu leurs cœurs mais je suis insatisfait. La porte ne s’ouvre pas, mon âme reste désespérément silencieuse. 

Janus:

Votre dîner s’est-il bien passé ? Avez-vous pu connaître enfin la raison de votre venue en ces lieux ou avez-vous déjà renoncé ?

Moi:

Parlez moi d’eux.

Janus:

Vous me répondez sans agressivité ?! Diantre ! À moi de saisir cette opportunité de développer notre amitié !

Moi:

Je croyais que  lamento seul aurait pu être votre ami. N’est-ce pas ainsi que vous le présentiez à mon arrivée ?

Janus:

Touché. Je tâcherais de me souvenir de tout ce que je vous ai dit.

Moi:

Qui est Lamento ? Quel est donc cet instrument aux mélopées si féroces dont il nous abreuve ? Suis-je donc le seul à en être dérangé ?

Janus:

Que dire de Lamento et de son clavecin qui fait sonner un la comme un si ressemblant à un do ? Il est de ceux qui en cette taverne se sont perdus sur L’île où les rois se reposent. Comme vous il est arrivé un jour et le clavecin l’attendait. Chaque octave est la voix d’une personne qu’il aimait. Pour nous chaque jour une nouvelle symphonie il compose. Mais ne cherchez pas à causer avec lui de musicalité, vous n’auriez pour réponse qu’un silence endeuillé.

Moi:

Et pourquoi celle que vous appelez la chasseresse pénitente me regarde avec tant de dédain ? 

Janus:

Ne prenez ombrage de celle qui fût chaste déesse et qui devint putain du jour au lendemain. Elle croyait à sa Vertu mais celle-ci ne fut que feu de paille lorsque le seigneur Exodus des sombres jours fit en sorte que tout ce en quoi elle avait cru s’en aille.

La chasseresse pénitente:

Je t’interdis sinistre bouffon de conter mon histoire ! Crois-tu que tes manigances peuvent échapper à celle qui chassa les bêtes les plus féroces ?! Que n’ai-je mon arc pour décrocher d’un trait tes pauvres attributs de masculinité !

Janus:

Écartons-nous je vous prie. Être privé du peu ne me donne guère envie. Vous ne m’avez pas répondu : Ce dîner vous a-t-il à ce point plongé dans l’ennui ?

Moi:

Dame Phalène est une hôtesse charmante quoique très entreprenante.

Janus:

Avez-vous trouvé sa présence dérangeante ?

Moi:

Non ! Mais son œil unique semble voir à travers moi. Je n’ose imaginer quelle folie à l’image de ces lieux se dissimule dans l’autre. Elle me répugne autant qu’elle me fascine.

Janus:

Mon autre visage, je te parle tout bas car enfin je comprends ce qui se dessine… Et Le seigneur Exodus des sombres jours?

Moi:

Je le hais déjà sans détour.

Janus:

Fichtre ! Vous êtes donc le premier dans cette cour ! Ô mon autre visage, la gémellité prend de bien étranges détours… Une question si vous permettez à laquelle, je l’espère, vous répondrez avec honnêteté. N’est-ce pas parce que vous avez remarqué que c’est pour lui que Vertu enfile ses plus beaux atours que vous ressentez tant d’animosité ? Ne niez pas, vos rougeurs parlent mieux qu’une langue châtiée. Vous la désirez ?

Moi:

Depuis le premier regard je le confesse.

Janus:

Et vous ne supportez l’idée que notre maître puisse se permettre la moindre caresse ?

Moi:

Tout le repas devant moi sa main se baladait sur la cuisse de Phalène tandis que l’autre mordillait Vertu et son hymen!

Janus:

Cela est son droit car il a conquis la vérité et la vertu.

Moi:

Je ne comprends rien à ce babillage Janus ! Racontez-moi quand bien même les actes seraient trop crus ! Qui est-il pour ainsi être le maître ?

Janus:

Je dirais simplement que nous sommes les créances, il est la lettre. Il est celui qui le premier découvrit ces terres et nous accueillit. Est-il le premier ou est-ce la Café des Liches ? Je crois que lui-même a oublié et s’en fiche. Il n’est plus qu’une ombre ivre prête à mourir. Il a tant de fois conquis son malheur que son bonheur serait de perdre ce qui fait son honneur.

Moi:

Je n’ai rien à voir dans tout ceci !

Janus:

C’est pourtant vous qui avez choisi de rester ici.

Moi:

J’en ai assez que l’on me réponde toujours ainsi !

 

Je ne ressens riens. Je m’ennuie. Le monde n’est pas ici. Pourquoi les gens éprouvent-ils le besoin de parler autant? Je n’ai pas besoin d’eux. Mon corps est désespérément lourd, ancré au sol. Pendant cette interminable réunion je rêve que je lève doucement les bras vers le ciel. J’imagine le soleil brûler ma peau et dévoiler ma chair. Je rêve qu’elle fond à son tour et révèle mon squelette. Je baisse mes yeux et regarde mes collègues l’un après l’autre. Je vois la moisissure les recouvrit et reprendre ses droits sur leurs âmes tandis que j’accède à la pureté. Je glousse sans savoir que c’est le bon moment. J’ai fait plaisir à un de mes pigistes qui croit avoir réussi à faire rire son patron. Il me regarde toujours avec dévotion. Ne m’admire pas, je ne t’ai pas encore fait tout le mal que tu désires.

 

Moi:

On vous nomme ici la Chasseresse pénitente ; accorderiez-vous à la chose errante que je suis devenu un instant ? Je meurs de ne savoir ce qui se passe ici, tous sur mon passage murmurent et rient. Vous seule à mon arrivée vous êtes montrée sans complaisance au spectacle de ma pitoyable nudité. Je vous pense honnête, vous chez qui je pressens une antique présence. M’aiderez-vous à voir au-delà de l’ivresse de ceux qui errent en ces lieux ?

La chasseresse pénitente:

Tu es comme lui, flagorneur et beau parleur. Votre babillage m’insupporte ! Crois-tu réellement que rimer de la sorte et faire plier le verbe à ta volonté cachera à mes yeux de déchus le monstre que tu as toujours été ?! Je te hais car tu es pareil à celui que j’ai tant aimé ! 

Moi:

Ne rejetez pas celui qui ne demande qu’à être votre enfant ! Laissez-moi être votre bâton de marche tandis que votre esprit m’aidera à tenir debout ! 

La chasseresse pénitente:

Je n’ai rien à te dire ! Éloigne-toi et ne me pousse pas à bout !

Moi:

Vieille putain. Ainsi toi aussi tu te détournes de moi ?

La chasseresse pénitente

Hahaha ! Ainsi tu te révèles mon mignon. Pensais-tu que mes vieilles oreilles ne sauraient entendre tes jurons marmonnés ? Que n’ai-je quelques siècles de moins pour te corriger…

Moi:

Qu’ai-je donc fait pour mériter ton ire ?

La chasseresse pénitente:

Va-t-en, je n’ai rien à te dire.

Moi:

Dis moi seulement quels sont mes torts !

La chasseresse pénitente:

Tu pues la vie et tu transpires la mort. Tu es pareil au centaure. Homme en tête et animal de corps. Tu sais faire semblant au dehors, mais céans, tous nous connaissons ton sort.

Moi:

Parle-moi !

La chasseresse pénitente:

Il ne saurait être question de cela.

Moi:

Je t’en prie !

La chasseresse pénitente:

Hors d’ici !

Moi:

Répond-moi !

La chasseresse pénitente:

Cesse donc cela ! En mon temps tu ne serais que la proie qui me fuirait aux abois.

 

Je sentais le contact de son genou contre le mien. La promiscuité d’un bus occulte si bien l’éloignement quotidien. Je l’entends me murmurer de brèves excuses hypocrites avant qu’elle ne fasse mine de replonger dans sa lecture. Les secousses du bus rapprochent de nouveau nos corps. Les contacts se prolongent un peu plus chaque fois. Elle me sourit timidement. Je lui rends son attention. Je la vois jeter régulièrement de rapides coups d’œil à la liste des arrêts. Je ne dis mot. Je consens à son manège. Le bus freine brusquement. Elle exagère le geste et pour se rattraper pose la main sur ma cuisse. Elle me rougit effrontément. Elle sort son stylo et fait mine de prendre des notes. Ce jeu devient agaçant et le trajet interminable. Il est temps pour elle de descendre, elle referme ce livre dont elle a parcouru la même page pendant dix minutes mais laisse négligemment tomber sur mes genoux un marque-page où se trouve griffonné son numéro de téléphone. Sans me regarder elle descend rapidement du bus. Je la suis et la surprend. Elle pousse un cri de surprise que j’étouffe par un baiser inattendu. Elle se laisse aller dans mes bras inconnus. Elle me conduit chez elle et nous faisons l’amour. Tandis que mes doigts caressent sa gorge je lui murmure: « ne gémis pas, je ne t’ai pas encore fait tout le mal que tu désires ». Elle ne comprend pas et continue de se pâmer. Tandis que son souffle s’exalte, je pose tendrement ma main sur sa bouche; elle l’embrasse, elle la lèche. Mes lèvres s’attardent sur sa gorge. Je sens la vie qui s’agite en elle, je suis pareil à Jacob devant l’échelle. Sa transpiration me chavire, je veux plus d’elle, je veux aller au delà d’elle. La main qu’elle pourlèche étouffe ses soupirs tandis que je déchire sa gorge de mes dents. Sous ma caresse de mort, sa chair tressaille tandis que son âme d’élève en moi. Son corps se débat pour vivre tandis que je l’aspire et me déverse en lui. Je me sens sur le seuil mais mes doigts ne font qu’effleurer la porte. J’explore son enveloppe charnelle, je suis tel un priant arpentant le cadavre putréfié de son Dieu, avec ferveur.

Moi

Tu es Vertu ? Est-ce bien ainsi que l’on te nomme ? Tu dois me trouver sot de t’approcher ainsi. J’ai mes raisons, mais comme chacun ici tu dois déjà les connaître. Nul ne sait me dire pourquoi je suis ici. Tous me rejettent et se gaussent. J’ai cherché, j’ai interrogé, sans trouver d’autre réponse que le mépris. Je sais à présent que c’est toi que je suis venu chercher. Tu n’as pas l’air surprise ? Tu ne décroches mot. Est-ce à cause de mon arme ? Alors je la dépose devant toi et je me mets à genoux. Est-ce mieux ainsi ? Comme tu es étrange. Comme tu es belle. Le sang dont je suis couvert ne semble provoquer chez toi aucun effroi. Mon cœur est à toi Vertu. Je me mets à genoux devant toi et t’offre mes péchés. Me prendras tu un instant dans tes bras ? Non, c’est trop tôt. Je ne t’ai pas encore démontré tout mon amour. Hahaha, c’est si soudain. Je me trouve ridicule. Je te parle mais tu ne me réponds pas. Tu restes là devant moi. Est-ce ton maître qui t’a forcé ainsi à la soumission ? C’est lui, j’en suis sûr. Il est ce genre de monstre qui ne sait s’incliner devant les chrysanthèmes. Ton silence est celui d’une sainte. Vertu, je te libérerai de ces chaînes. Je te le promets. J’irai voir le seigneur Exodus des sombres  jours et je le convaincrai de te laisser partir. Ensemble nous retournerons dans mon monde et je ferai de toi un astre sans pareil. Je comprends ton silence. Tant de fois ces mots plein d’ardeur ont dû t’être prononcés. Combien de chevaliers errants t’ont mis dans leurs couches en retour de vaines promesses ? Je ne serai pas de cet ordre. Ne parle pas, je ne t’ai pas encore fait tout le mal que tu désires. Prends-moi simplement dans tes bras comme un serment qui nous lie. Juste un moment que je goûte à la pesanteur d’un instant. J’étais si seul avant de te connaître Vertu. Caresse-moi un instant la joue que je sache le bonheur qui sera mien. J’étais si désemparé avant que mes yeux ne se posent sur toi. Un baiser, Vertu, je t’en prie, que je connaisse à mon tour la joie de m’endormir dans un songe si proche de la mort. Laisse-moi un instant ainsi.

 

J’échappe à la surveillance de mes parents et cours en direction de la forêt. Je m’engouffre et me sens comme un explorateur. En cet instant je découvre la liberté. Je cours sans que nul ne me rattrape. Je prends un bâton et joue au chevalier. Je me bats contre les arbres et mon rire s’élève en écho au chant des oiseaux. J’entends le bruit de l’eau. Je cours et parviens jusqu’à une petite rivière. Je regarde les grenouilles et les petits poissons se mouvoir avec grâce dans l’eau. Je saute de rochers en rocher tel un géant parcourant le monde, et je tombe comme les titans dont on m’a raconté les histoires. Mon genou est ouvert par une pierre. J’ai mal mais je ne pleure pas. Je n’arrive pas à bouger. Je détourne le regard du sang qui coule jusque dans ma chaussette. J’avais oublié que le ciel pouvait être si beau sous les nuages. Je regarde autour de moi et je vois une colonie de fourmis. L’une d’elle s’avance vers moi et monte sur ma chaussure. Elle monte un peu plus haut vers ma blessure et commence à goûter mon sang. Une grosse larme rouge coule de ma plaie et la submerge. Elle est engluée. Elle se débat. Elle se noie dans mon fluide. Elle est morte. Je commence à pleurer. Je ne veux pas mourir. Je crie aussi fort que je peux. Personne ne m’entend. Les oiseaux continuent à chanter avec indifférence. Puis je vois mon sauveur. Une barque approche. A l’intérieur il n’y a qu’une personne, un vieil homme encapuchonné dans une grande robe noire et qui n’a qu’un œil. Avec sa rame, il me soulève par le col et me fait tomber dans sa barque. Il ne me dit rien. Moi, je m’endors. Je suis réveillé par ma mère en larmes qui me sert contre elle. J’étouffe. Mon père me crie dessus et me traite d’inconscient. Ma jambe me fait mal. On m’emmène à l’hôpital.

Moi

Seigneur Exodus, accordez-moi un instant. laissez-moi vous présenter ma requête.

Exodus des sombres jours

Diantre, mon tendre ami ! Quelle étrange solennité ! Entre nous à présent, il n’est rien qui ne soit permis. Sachez toutefois que bien que préférant la féminité, je me ferais un devoir de satisfaire votre virilité. Il ne sera point dit que le seigneur que je suis laisse un quidam sortir de sa couche frustré.

Moi

Cessez de vous moquer ! Il m’est assez pénible d’être en ces lieux. Je ne suis nullement seigneur à votre image ni orateur selon votre panache ! D’où je viens mon nom est envié tandis qu’ici il n’est que moqué ! Du tout je deviens le rien. Cessez donc de vous moquer et laissez-moi je vous en prie m’exposer. A nu je suis apparu devant vous, bien que vous connaissiez d’avances mes doléances. Il m’est pénible de demander, moi qui n’ai toujours eu qu’à accorder.

Exodus des sombres jours

Pour un piètre orateur, vos mots volubiles emplies de noirceur sortent aisément et je ne peux que m’incliner devant leur ardeur. Parlez, je vous prie, je suis tout ouïe.

Moi

Vertu. À ce nom je vois votre aimable visage s’assombrir mais je le redis : Vertu. Elle est mienne à présent et vous l’avez perdu. Dans mes bras elle s’est confondue sans que vos chaînes ne puissent la contenir. J’ai embrassé ses lèvres et j’ai regardé en elle. Vertu désire ce que j’ai à lui offrir. Laissez partir celle par qui vous êtes servi. N’a t-elle point suffisamment pâti de vos attentions ? Ne peut-elle être heureuse enfin ? Bien que seigneur je vous sais gentilhomme. S’il le faut à vos genoux je me jette et vous supplie de n’avoir la cruauté de ne nous laisser convoler. Répondez je vous en prie, vos yeux mi-clos ne me laissent entrevoir le fond de vos pensées.

Exodus des sombres jours

Langue exaltée, cœur assoiffé, âme désaltérée, esprit magnifié, depuis quand ne suis-je guère plus qu’un égaré ? Je vous envie mon ami. Votre humilité a su bien plus que votre agressivité ourdir ce cœur que je croyais enfoui. Ici votre quête s’achève. Vertu est à vous et je m’engage à ce que personne ne vous l’enlève. Ensemble vous retournerez vers vos cieux. Votre proie est belle, et bien que vous me fassiez offense, cela est mieux. Ainsi va ma sentence.

Moi

Ainsi donc je peux croire que la bonté se dissimule au sein des plus profondes obscurités ? Vous ne vous moquez pas ? Réellement je peux la prendre dans mes bras et fuir vers des terres éloignées ?

Exodus des sombres jours

Mon bon ami, vous galéjez si vous me pensez capable de tant de piété.

Moi

Vous aviez juré !

Exodus des sombres jours

Comme la guillotine promet au condamné ! Un seul instant pensiez-vous pouvoir demander audience et me voir dans un état de repentance ?! Votre stupidité, mon misérable ami, ne connaît d’autres bornes que votre fatuité ! En quoi donc pensez-vous satisfaire Vertu vous qui ne savez que vous cacher ?! Falot et sot vous êtes ! Seul mon devoir d’hôte m’ôte l’idée de suspendre au balcon votre tête ! Sortez céans et sans demander ce que vous pensiez être votre dû. Je vous laisse en vie, vous qui viviez dans le luxe, car ici face à la poussière vous ne valez guère plus. Faquin, faraud, vous n’êtes que mon ombre. Je ne supporterais de vous voir au delà de la pénombre !

Je fais semblant de pleurer. On m’a annoncé sa mort mais je ne savais pas comment réagir. Rire nerveusement ? Pleurer ? Je fais ce qu’on attend de moi. Nous sommes sur les marches de l’église. Une amie se jette dans mes bras. Ses larmes me dégoûtent, me salissent. Elle s’agrippe à moi. J’ai envie de la pousser et de voir son crâne fracassé sur le sol. Un ami vient et me sauve. Il la prend tendrement par l’épaule et l’emmène boire à la fontaine non loin. L’office est terminé depuis longtemps mais personne ne se résout à partir. C’était un banal accident, il est tombé d’un escabeau. J’ai soudainement envie de hurler. Cela n’a aucun sens. Personne n’était là pour voir sa chute. Personne n’était là pour humer son dernier souffle. Le gâchis me donne envie de vomir. Je cours dans un coin et y crache ma rancœur. On vient me voir et on me réconforte. Juste des paroles dénuées de toute profondeur. Je me relève et verse des larmes. C’était un homme bien. Je te hais. Il nous manquera. Je te hais. Il vivra toujours en nous. Je te hais, tu es mort avant que je te fasse tout le mal que tu désires.

Janus:

Est-ce ainsi que tout commence et que tout se finit ? Vois mon autre visage, comme il semble désespéré. Il a compris comme tous ceux ici que la rédemption n’était qu’une promesse de dévots avinés. Avec quelle folle piété il s’adresse à Vertu. Nous pourrions certes l’empêcher mais le temps est venu. Bientôt d’autres échoueront. Ceci est la loi du cénacle. 

Moi:

Pourquoi ne me suis-tu pas ? Jamais il ne te laissera aller. Jamais il n’acceptera que tu te prélasses dans d’autres bras. Viens, suis-moi. Pourquoi ne bouges-tu pas ? Pourquoi rester là ? Tu me rejettes ? Tu le préfères à moi ? Est-ce parce que je ne t’ai pas encore fait le mal que tu désires ? Est-ce cela ?! Répond-moi !

Janus:

Vois mon autre moi comme le désespoir fait dresser sa lame.

Moi:

Réponds-moi !

Janus

Pauvre chose qui toujours se louvoie ; tu n’étais qu’un acteur de ce drame.

Moi:

Réponds-moi !

Janus:

Chacune de ses imprécations est une entaille supplémentaire dans Vertu. Cet insensé ne voit pas le sang qu’il répand sur les murs. Il plonge ses doigts tremblants dans le cœur de celle qu’il n’aura jamais eu. Ô comme il le porte encore chaud à ses lèvres. Comme il le dévore sans s’en rassasier. Il se prélasse dans ses chairs. Le réveil sera âpre et la vérité éphémère.

Moi:

A moi Janus ! Qu’ai-je fait ?! Je l’adorais ! Tandis que je la poignardais, elle me souriait ! Sa tête gisant entre mes mains semble encore me murmurer ses espoirs ! Ce n’est pas moi ! C’est Exodus ! Je le hais !

Janus:

Pour vous je ne puis rien. Je ne saurais défaire ce que vous avez fait. Mais Exodus des sombres jours approche. Votre destin est le sien.

Moi:

Vous vous disiez mon ami ! A moi Janus ! La folie me guette ! Les murs prennent vie et viennent me chercher. Quel est donc ce chant qui s’élève en moi ? Janus je vous en prie, dites à Lamento de cesser ces complaintes mélancoliques ! Le sang que j’ai répandu sur les murs s’agite ! Quelles sont ces mains qui agrippent ?! Janus ! Les murs me parlent et me racontent ! Je n’en peux plus ! Je ne supporte plus leurs regards ! Ces yeux me toisent et me blessent ! Je ne veux pas de leur compassion ! Aidez-moi Janus ! Ne les laissez pas me réconforter !

 

Le sang coule dans mes yeux. La douleur transcende le plaisir. Le plaisir vient au delà de mes souffrances. On me force à marcher. Je l’aurais fait sans contrainte. Je ris, je hurle de joie, certains se lamentent pour moi, je tombe, on me relève. Mes jambes se brisent. La jouissance de l’instant leur échappe. Pourquoi pleurent-ils ? Soyez heureux pour moi. Les épines transpercent mon cerveau. Je suis votre roi. Le monde n’est plus que sang et souffrance. Le fouet me déchire et me dresse face à la foule. Ma chair est à nu. Bientôt mon âme sera révélée au grand jour. Les pierres viennent se planter en moi. Votre haine déchaînée est votre première preuve d’amour. Regardez-moi. Maudissez-moi. Dévorez-moi. Ouvrez mes veines pour y contempler votre enfer. Mourrez à travers moi. Je suis suspendu ici pour vous. J’étouffe. Vous êtes rassemblés pour moi vilains corbeaux. Je suis au delà de ce que vous ne serez jamais. J’expire, et vous lègue mon poison. Vous le boirez en mémoire de moi. Je suis en paix. Vous êtes en moi.

Phalène

Pauvre et frêle agonie, comme tu transpires, comme tu frémis. Viens, viens dans mes bras, épanche ton sang contre cette poitrine que j’offre à toi. Tu refuses ? Alors reste là, assied-toi. Vertu s’est livrée à toi et toi, tu l’as satisfaite à hauteur de ce qu’elle demanda ? Que désires-tu maintenant ? Moi ? Ô, ne rougis pas, entre nous il ne saurait être question que de cela. Tu as tant de fois offert aux autres ce qui les faisait frémir, à ton tour à présent de pouvoir t’assouvir. Ne jouis pas, je ne t’ai pas encore fait tout le mal que tu désires. Vois comme je retire mes bottines; est-ce cela ton bon plaisir, un pied léger que tu lutines, ou sa base forte comme l’améthyste ? Non ? Et si je retrousse mon ample robe ? Retire tes mains, ne me cache pas ton plaisir. Je veux voir ce que vais encourir. Je suis homme et je suis femme à la fois ; veux-tu de moi, la femme dévouée à ton bon plaisir, ou l’homme qui va te conquérir ? Non ? Pourtant je vois monter en toi les exhalaisons. Non bien sur, tu veux, plus, tu veux le souffle du dragon. Innocent enfant, comme je suis attendrie par tant de passions. Approche tandis que mes voiles glissent sur le sol. Vois tu enfin ? Viens, et laisse ta main se balader sur mon sein. Sens tu s’agiter les âmes en pagaille et la force des guerriers ? Tu le sais toi que ce sont des restes de dévoyés haïssant ces lieux sans que nul ne s’en aille ; mais toi, tu es resté. Sont-ce mes lèvres que tu souhaites dévorer ? Non ? Alors viens tout de même que je t’accorde pléthore de baisers. Non ? Non , bien sûr, toi tu veux la vérité. Et si je retire mon bandeau, ton désir sera-t-il soulagé ? Non, bien évidemment, ta vigueur par trop prolongée veut s’y prélasser. Dans mon orbite vide tu vois ce que peu ont eu la force de contempler, le monde et ses mystère dissimulés. Alors viens, viens donc connaître après la vertu la vérité, même si tu sais que tu ne pourras la supporter.

 

Je gis au milieu de cadavres qui n’ont jamais eu la chance d’exister. Je flotte. Dans ce bouillon saumâtre je cherche une autre présence. Je suis seul/seule. Personne n’existe pour partager ce qui n’est pas. Mon cri est étouffé par la solitude. Je suis le monde. Je me suicide pour ne plus connaître l’absolu. Une partie de moi se déchire, la douleur s’élève dans un premier cri. Mon flanc souffre. Je vois l’autre qui faisait partie de moi. Je suis heureux/heureuse car l’autre n’est pas moi. J’ai peur car l’autre n’est pas moi. L’autre a peur de moi. L’autre ne me comprend pas. Une partie de moi m’a été arrachée. Je suis incomplet/incomplète mais je me rappelle de l’absolu. L’autre ne sera jamais moi. Je suis pris d’effroi. Je l’attrape et le/la force à revenir en moi. Il/Elle se débat. Je l’absorbe. Il/Elle résiste. Je l’engouffre. Reviens en moi, redeviens moi. Plus jamais nous ne serons un. Je lui ai fait mal. J’ai mal . De cette union sans fusion apparaît un/une troisième autre. Il/Elle est un peu de moi comme il/Elle est un peu de l’autre premier/première. Il/Elle a peur. Il/Elle est aussi incomplet/incomplète que moi et l’autre Il/Elle veut redevenir moi et se jette sur nous. Il/elle ne sera jamais moi. Surgissent de nouveaux autres. De moins en moins moi, de plus en en plus en quête de l’autre. Mais le moi a disparu. Ils/Elles se répandent et transmettent à chaque fois ma malédiction.

Moi

Soyez les bienvenus au café des liches, âmes perdues, paroles conquérantes, séraphins sans destin ! Ici siège la raison ! Déposez un instant votre déraison et buvez au calice des vérités ! Je vous vois nombreux ce soir, prêt à bondir sur scène ! Alcooliques avides de vie, fossoyeurs de miracles, trouvez ici votre bonheur ! Allez dansez ! Avec moi dansez et festoyez ! De cette scène je voie vos âmes, j’entends vos cris ! Criez avec moi ! Repentez vous ! Lamento, saint père obscur, martèle frénétiquement le clavecin des amants ! Nous ne devons plus entendre le moindre cœur!  Douce mélopée des enfers, combien ont sacrifié leurs cordes vocales à la création de ton art?  Peux tu compter les octaves criardes de ton instrument sulfureux ? Chante voix des âmes ! Hurle la douleur des sanctifiés ! Chantez liches assemblées ! Hurlez la joie des sacrifiés !

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